WABERI Abdourahmane A., Cahier nomade. Paris, Le Serpent à
plumes, 1996. 137 pages, 80 F
Document généré le 8 juil. 2021 19:22
Études littéraires africaines
Jacques Chevrier
Numéro 1, 1996
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1042694ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1042694ar
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Association pour l’Étude des Littératures africaines (APELA)
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ISSN
0769-4563 (imprimé)
2270-0374 (numérique)
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Chevrier, J. (1996). Compte rendu de [WABERI Abdourahmane A., Cahier
nomade. Paris, Le Serpent à plumes, 1996. 137 pages, 80 F]. Études littéraires
africaines,(1), 49–50. https://doi.org/10.7202/1042694ar
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(APELA), 1996
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COMPTES·RENDUS AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE (49
vouloir renoncer au développement. Le genre de l’anecdote subversive
issue des productions des radio-trottoirs souligne la lucidité politique des
peuples en lutte. Les personnifications de la ville sont certes des clichés
dans la littérature réaliste et sociale, mais on ne peut guère s’en passer et
elles sont bien amenées dans ce roman. On ne peut rester insensible aux
scènes où le peuple paysan prend la parole, scènes difficiles s’il en est pour
les raisons que j’ai exposées, mais que l’auteur a abordées avec courage et
émotion. Les scènes de travail ne peuvent laisser aucun lecteur indifférent,
même si elles n’ont pas la puissance épique de celles de Thomas Gordeiev.
Le cynisme de l’Etat et des fonctionnaires qui font l’impossible pour ne
pas payer le travail productif est chose connue, mais on ne peut décrire la
quotidienneté urbaine, ni tenir le propos politique de Bamikile sans le
rappeler, ce qui est fait magistralement, encore qu’il reste difficile de com
prendre l’essor économique des entreprises du héros dans de telles condi
tions. « Flicage >>, manigances du pouvoir, ordre militaro-policier sont
évoqués avec justesse dans cette fresque.
L’auteur a peut-être tenté d’être, comme l’orateur du Groujoué, un
<< amplificateur >> (p 1 05) qui essaye de dire ce que dirait le peuple. Sous
d’autres cieux, Valles a énoncé une logique du discours progressiste en des
termes fort proches. Les difficultés inhérentes au genre ne devraient pas
nous empêcher de répondre favorablement à un texte tel que Bamikile .
• Michel NAUMANN
• WABERI ABDOURAHMANE A., CAHIER NOMADE . PARIS, LE SERPENT A
PLUMES, 1996. 137 PAGES, 80 f.
Si, de Pouchkine à Maupassant et Pirandello, la nouvelle constitue l’un
des fondements majeurs de la prose romanesque occidentale, on sait aussi
qu’elle connaît un grand succès à travers tout le continent africain.
Depuis belle lurette, le concours de« la meilleure nouvelle de langue fran
çaise >> institué par Radio France internationale nous a en effet familiari
sé avec les productions des différents espaces d’expression française, mais
jusqu’à une date récente, la corne de l’Afrique orientale demeurait absen
te du palmarès francophone.
C’est donc avec le plus grand intérêt que la critique a accueilli le pre
mier recueil de nouvelles d’un jeune auteur originaire de Djibouti,
Abdourahmane Waberi, intitulé Le pays sans ombre, et publié par Le
Serpent à plumes en 1994. Sous une apparente simplicité de structure, le
lecteur pouvait y découvrir une série de nouvelles, tantôt satiriques, tan
tôt poétiques, qui, mélangeant comme c’est l’usage, scènes de genre, ins
tants magiques et dérives de l’imaginaire, nous proposaient une vision à
la fois fidèle et insolite de Djibouti, parrie d’Abdourahmane Waberi.
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Profondément marquées par une constante tension entre l’ici et l’ailleurs ,
les nouvelles qui composent Le pays sans ombre disent l’ennui de cette
Afrique écrasée de soleil, abrutie de paradis artificiels (le fameux << khat >>
que « broutent ,, à longueur de jours ses habitants) , et menacée d’ une
zombification que compense mal le désir lancinant d’une fuite toujours
différée.
Deux ans après cette première publication, Abdourahmane Waberi réci
dive avec un nouveau recueil, Cahier nomade. Organisé en deux grandes
parties, significativement intitulées «Traces ,, et «Trames n, cet ensemble
de récits brefs s’articule pour l’essentiel autour de la quête du pays absent
– l’auteur vit en France depuis plus de dix ans -, une quête au cours de
laquelle surgissent à la fois les fantômes du passé et les images d’un pré
sent qui apparaît aussi figé et immobile que dans le précédent recueil.
De cette plongée à la fois nostalgique et lucide dans l’antan de Djibouti,
on retiendra surtout les images d’un pays aussi mal arrimé à sa géographie
qu’à son histoire. <
avant de déplorer ce « pays inabouti .. . , cette ville où toutes les mytholo
gies firent escale avant de s’échouer un peu plus loin >> (« Une affaire à
vivre »). Mais Cahier nomade se fait aussi chronique du temps passé, évo
quant tantôt le souvenir de la visite du Général de Gaulle, en 1966, et de
sa re ncontre inopinée avec des « porteurs de pancartes >> réclamant l’ind é
pendance de la Côte française des Somalis … , tantôt les fastes cinémato
graphiques d’une ville qui proposait alors au choix des spectateurs jusqu’à
quatre salles aux noms plus prestigieux les uns que les autres, Al-Hillal, Le
Paris, L.:Odéon, L.:Olympia … , salles désormais muettes et aveugles .
Si l’heure d e la dernière séance a sonné pour ce « pédoncule » rattachant
l’Afrique à l’Asie, les jeux parlementaires en revanche y prospèrent, à l’égal
d’ailleurs des émissions de timbres-poste dont, curieusement, note
Waberi, la beauté semble inversement proportionnelle à la misère du pays
émetteur. Misère sociale certes- exception faite de quelques «bagnolés>> et
« parabolés >> – mais aussi et surtout misère sexuelle d’une population
féminine qui n’a d’autre alternative que la prostitution ou le mariage , le
plus souvent synonyme de maternité à répétition, de mauvais traitement
et d’humiliantes répudiations. « Terre de femmes occultées, abusées,
contrôlées et excisées >> , commente sobrement le narrateur, avant de
rendre un dernier hommage à son père, d édicataire du Cahier nomade et
figure tutélaire dont le chant, à jamais tu, n’en finit pas de hanter la
mémoire de l’ écrivain.
• Jacques CHEVRI ER