ACFAS 2007
Trois-Rivières
Jean-François Notebaert
Maître de Conférences
IUT de Dijon
Université de Bourgogne
Jeff.notebaert@wanadoo.fr
LA CRÉATION D’UN LIEN SOCIAL VIA INTERNET : UN CHANGEMENT
D’ATTITUDE DES INTERNAUTES PROPRE À ORIENTER LA STRATÉGIE DES
ENTREPRISES
Internet peut être un vecteur de communication favorisant un lien social
entre l’entreprise et ses clients (Notebaert, 2005). L’objectif de cet article
est de définir si un marketing relationnel développé grâce au Web permet
de jouer positivement sur la confiance, la satisfaction et les intentions
comportementales du consommateur. Les résultats de l’étude quantitative
indiquent qu’une simple satisfaction, qu’elle soit cognitive ou affective ne
peut expliquer à elle seule de meilleures intentions comportementales, il
faut pour cela créer une relation privilégiée, basée sur de la confiance. Le
site prend alors toute sa place dans une stratégie CRM. Cette recherche a
permis d’apporter des éclairages sur l’interface homme-machine et ses
conséquences sur l’attitude des internautes. Au niveau des contributions
théoriques, il a été démontré que la mise en place d’un marketing
relationnel permettait d’élargir la sphère d’attractivité d’un site. Deux types
de performance sont améliorés : (1) la performance affective, liée au
développement d’un sentiment positif et (2) la performance instrumentale,
liée aux caractéristiques physiques du site. En ce qui concerne les
implications managériales, la recherche d’une relation solide développée
par le biais d’Internet contribue à donner une image positive de
l’entreprise. Ce média interactif peut donc aider une enseigne à se
positionner par rapport à la concurrence.
Introduction :
Le e-commerce, en progression annuelle de 44 % en 2005, maintient son niveau de
croissance de 2004, portant le volume d’affaires à près de 7 milliards d’euros (Étude du Benchmark
Group du 24 avril 2006). Cependant, cette croissance masque des disparités notables d’un secteur à
l’autre. En effet, en France, pour les produits high-tech et l’électronique grand public, elle passe de
41 % en 2004 à 35 % en 2005 (Journal du Net du 22 avril 2006). Par contre, le e-tourisme
enregistre, comme en 2004, plus de 50 % de croissance et pèse en 2005 plus de 3 milliards d’euros.
Son poids au sein du e-commerce français continue de s’accroître, passant d’environ 42 % en 2004 à
45 % en 2005. Selon l’Organisme Statistique National du Canada, en 2005, les Canadiens ont passé
presque 50 millions de commandes en ligne pour un chiffre d’affaires de 7,9 milliards de dollars.
Comme en France, « les services de voyage » en sont les premiers bénéficiaires.
Par ailleurs, les grandes enseignes de distribution “click and mortar” (Filser 2001b, Belvaux
2004), profitent pleinement de cette évolution. Afin d’attirer l’internaute et de le fidéliser, les
entreprises emploient diverses stratégies marketing, conjuguant des prix de pénétration avec une
stratégie plus relationnelle permettant un contact privilégié avec le consommateur. À côté d’une
performance nécessaire en termes de qualité, de logistique, de disponibilité des produits et de
services, un véritable marketing relationnel doit être mis en place pour se différencier des
concurrents. Ainsi, conserver le client passe par un mix performant et par une relation apportant un
lien entre l’entreprise et le client ; quitte, pour une même enseigne, à proposer des sites différents
1
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selon le type d’information recherchée par le consommateur. C’est par exemple la stratégie de
communication déployée par Coca-Cola qui propose des sites institutionnels et des sites orientés
produits.
Afin de prospérer sur Internet, une relation avec le consommateur doit être créée puis
développée. Des outils humanisant l’interface homme-machine comme un agent virtuel, ou créant
une relation individualisée comme un call center ou l’e-mailing permettent de nouer un lien social
engendrant un meilleur sentiment non seulement envers le site, mais aussi envers l’organisation tout
entière. L’internaute semble dès lors plus enclin à parler de cette entreprise à ses amis, sa famille ou
à son entourage et à défendre ses valeurs (Notebaert, 2005). Cependant, la création d’un lien social,
entre le distributeur et le consommateur, permet-il d’améliorer les performances d’un site, de
fidéliser l’internaute et d’étendre la sphère d’attractivité des entreprises ?
Afin de répondre à cette problématique, il sera exposé en quoi Internet peut être considéré
comme un nouveau vecteur de communication, puis il sera défini si un lien social sur Internet
permet de jouer positivement sur la confiance, la satisfaction et les intentions comportementales du
consommateur grâce à une étude quantitative débouchant sur une analyse multi-groupes. Enfin, des
contributions théoriques et des applications managériales seront proposées.
1. Internet : un vecteur de communication qui rapproche l’entreprise de ses clients.
Plus de 26 millions de ménages français étaient connectés en 2005, dont pour la première
fois en septembre 2004, plus de la moitié à haut débit (source médiamétrie). Selon l’hebdomadaire
d’information Forum (novembre 2005) de l’Université de Montréal, le Canada est le deuxième pays
le plus « branché » après les États-Unis avec une population comprenant plus de 70% d’internautes.
C’est pourquoi, une dizaine d’années après son avènement, Internet est considéré comme un
sixième grand média. Les développements technologiques ont permis de créer des magasins virtuels
et le Web s’impose comme un outil de communication pouvant créer un véritable réseau entre
l’entreprise et ses clients.
Par ailleurs, grâce à son caractère interactif (Dandouau, 2000), c’est le média de
l’individualisation, car il a des atouts indéniables (rapidité, faible coût, connaissance des retombées
commerciales…) pour mener à bien des campagnes de marketing direct. Cependant, Internet peut
être aussi utilisé avec des outils qui personnalisent la relation, non pas dans un objectif one to one
mais plutôt dans un objectif CRM où se confondent sphère marchande et sphère non marchande1.
Ainsi, une entreprise peut gérer une base de données, l’enrichir afin de répondre aux
besoins de ses clients, ce n’est pas pour autant qu’elle fera du marketing relationnel suscitant du lien
social. Il peut s’agir tout simplement d’une stratégie one to one où l’entreprise s’adapte à chaque
client. Sans création de lien social entre l’entreprise et ses clients, encourageant ces derniers à être
« attachés » à l’entreprise, il n’y a pas réellement de marketing relationnel. La relation peut par
contre perdurer dans le cadre d’un échange gagnant/gagnant, comme l’indique le tableau suivant.
1 Il convient de souligner qu’un client n’est pas forcément attiré par un marketing relationnel (Perrien 1998,
Marion, 2001). C’est ce que Boulaire (2003) appelle les clients « transactionnels » ou « relationnels
conditionnels ».
Tableau 1 : Convergences et divergences entre CRM et one to one
Convergences
Divergences
CRM
One to one
La relation entre la clientèle
et l’entreprise est étudiée. Un
échange à long terme est
recherché.
La dimension sociale de
est
consommation
la
prise en compte.
le
sur
Conséquences
type de lien
Échange mêlant relation
non-
marchande
marchande.
et
Individualisation
(réelle
ou non) de la relation à la
clientèle afin d’obtenir
une offre compétitive.
reposant
Echange
sur
une relation marchande
et
rapport
gagnant/gagnant.
un
De plus, en mixant Internet avec d’autres canaux de communication comme un call center,
ou en proposant une interface homme-machine avec des agents virtuels, Internet peut être utilisé
comme un outil de création de lien social entre l’entreprise et le client. Les agents virtuels, destinés
à humaniser l’interface homme-machine, peuvent être utilisés :
– Soit pour abaisser le coût de recherche d’informations (Diehl, Kornish, Lynch, 2003) ;
– Soit pour apporter une plus grande satisfaction au consommateur (Rolland et Wallet-Wodka,
2003) ;
– Soit pour mieux faire comprendre les valeurs de l’entreprise et favoriser l’engagement du
consommateur à son égard. La création de lien social via Internet est alors conçue comme outil de
positionnement stratégique.
Au niveau des pratiques effectives, les agents d’interface sont utilisés essentiellement pour :
améliorer l’ergonomie des sites (corporate ou e-business) ;
réduire les coûts liés au SAV ou au Web Call Center ;
• humaniser la relation client et allonger la durée des visites sur les sites ;
•
•
• véhiculer l’image et les valeurs de l’entreprise ;
• optimiser la fidélisation ;
•
recueillir des informations.
Bien que l’aspect froid et impersonnel de la technologie Internet puisse être décelé
(Boulaire et Balloffet, 1999), il est sans doute possible de créer un lien durable avec le
consommateur en enrichissant un site Internet avec des moyens de communication interpersonnelle.
L’objectif sera de définir si, dans le cadre d’une communication intégrant du lien social, la
satisfaction et la confiance sont des variables explicatives aux intentions comportementales. Elles
seront mobilisées dans notre modèle théorique car dans différents travaux, la confiance (Gurviez et
Korchia, 2002) tout comme la satisfaction (Plichon, 1999), ont été définies comme étant des
antécédents aux intentions comportementales.
2. Les théories de la confiance et de la satisfaction mobilisées
En dépit de son intérêt reconnu dans le développement de relations d’échange, la confiance
reste un concept difficile à définir et la satisfaction paraît provenir de sources diverses.
2.1 Les fondements théoriques de la confiance
Différentes conceptions de la confiance existent.
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2.1.1 La conception unidimensionnelle de la confiance
Dans leur article de 1994, Morgan et Hunt ont utilisé l’échelle unidimensionnelle de
Larzelere et Huston (1980) développée en psychologie sociale. Pour ces deux auteurs, les
dimensions d’honnêteté et de motivation bienveillante, bien que distinctes conceptuellement, « sont
inséparables opérationnellement » (Larzelere et Huston, 1980, p. 596 ; cité par Graf et al., 1999).
2.1.2 La conception bidimensionnelle de la confiance
Le plus souvent en marketing, une conception bidimensionnelle de la confiance est admise.
Pour Graf et al. (1999), l’analyse des relations entre acheteurs et vendeurs nécessite la prise en
compte de trois dimensions qui s’articulent autour de deux composantes de la confiance : la
dimension physique et temporelle, car la relation est un « état d’association », elle est constituée
d’une vaste gamme de connections ; la dimension émotionnelle où la composante affective peut-
être analysée sous l’angle de la bienveillance. Cette notion de bienveillance, dimension affective de
la confiance. La
la confiance est présente dans de nombreuses définitions de
bienveillance matérialise le réel intérêt du partenaire pour le bien-être de l’autre. Selon Graf et al.
(1999), « la confiance est une attente à connotation émotionnelle, au cœur d’une relation et du
concept d’approche relationnelle, s’articulant autour de deux composantes : la crédibilité et la
bienveillance ».
2.1.3 La conception tridimensionnelle de la confiance
Pour Gurviez et Korchia (2002), « la confiance pour le consommateur est une variable
psychologique qui reflète un ensemble de présomptions accumulées quant à la crédibilité, l’intégrité
et la bienveillance que le consommateur attribue à la marque ». Cette définition découle d’une
analyse qualitative issue d’entretiens semi-directifs auprès des consommateurs interrogés sur la
confiance qu’ils ont dans les marques. Chaque terme doit être analysé et différencié, afin de montrer
l’importance d’une dimension tridimensionnelle de la confiance.
La crédibilité attribuée est l’évaluation des capacités à remplir les termes de l’échange
concernant les performances techniques attendues. « Elle repose sur l’attribution à la marque par le
consommateur d’un degré d’expertise quant à ses attentes fonctionnelles sur la satisfaction des
besoins » (Gurviez et Korchia, 2002). L’intégrité est l’attribution de motivations loyales quant au
l’attribution d’une orientation
respect des promesses annoncées. La bienveillance est
consommateur durable concernant la prise en compte de ses intérêts. Ce qui permet au
consommateur d’envisager un avenir moins incertain, car une « pérennité des conditions d’un
échange équitable est ainsi offerte » (Gurviez et Korchia, 2002).
Cette dernière définition de la confiance nous paraît la plus apte à expliquer les rapports de
confiance que peut développer une entreprise avec le consommateur. En effet, notre site Internet
entend développer, grâce à une communication interpersonnelle, une plus grande crédibilité c’est-à-
dire une meilleure capacité technique, une plus grande intégrité, car le lien social doit permettre de
mieux faire accepter le discours de l’entreprise, mais aussi une plus grande bienveillance, car la
relation à long terme, « l’attachement », est recherchée.
2.2 La satisfaction : un processus dual
Comme l’indiquent Audrain et Evrard (2001), plusieurs approches de la satisfaction
peuvent être identifiées, « selon que la satisfaction est définie comme étant une cognition, une
émotion, comme émanant d’un processus affectif et cognitif d’une part, ou selon qu’elle est
appréhendée dans une perspective transactionnelle ou relationnelle, d’autre part ». De nombreux
chercheurs ont mis en avant la dimension cognitive de la satisfaction. Cardozo (1965) a démontré
4
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que la satisfaction ne se limite pas à être la simple évaluation du produit. Elle dépend des attentes
du consommateur et de l’effort qu’il alloue pour obtenir ce produit. Pour Oliver (1981), la
satisfaction est ce qui « résulte d’une comparaison subjective du produit attendu et reçu ». Ainsi, un
point essentiel permet d’expliquer la dimension cognitive de la satisfaction : la non-confirmation
(Plichon 1999). En effet, les recherches concernant l’explication du processus de satisfaction font le
plus souvent appel au concept de non-confirmation (Collin-Lachaud, Plichon et Sueur, 2005), qui se
définit comme l’écart entre la performance et un standard de comparaison. Cette variable sera
considérée comme un antécédent à la satisfaction dans notre modèle théorique.
La dimension affective de la satisfaction a aussi été étudiée. En effet, le rôle joué par les
affects et émotions dans les processus explicatifs de la consommation (Vanhamme, 2004 ;
Vanhamme, 2002 ; Plichon 1999 ; Holbrook et Hirschman, 1982) étant de plus en plus présent, la
satisfaction peut également être définie comme une émotion. Dès lors, comme l’indique Vanhamme
(2004), « le consommateur n’est plus seulement perçu comme une sorte de « machine » analysant et
comparant des paniers d’attributs, mais comme quelqu’un éprouvant également des sentiments, des
émotions et d’autres états affectifs, qui constituent une source importante d’influence sur ses
processus de décision d’achat ». Pour Vanhamme, l’affectif comme le cognitif doivent être pris en
compte pour analyser la satisfaction du consommateur. C’est pourquoi il est très probable que la
satisfaction résulte de deux processus, l’un affectif et l’autre cognitif, qui peuvent interagir (Aurier et
Evrard, 2001).
Plichon a démontré (1999) que la non-confirmation influençait les états affectifs et
Vanhamme (2002) a identifié que deux groupes de variables, l’une affective, l’autre cognitive,
étaient à l’origine de la satisfaction spécifique à une transaction. Il semble donc que la satisfaction
puisse être définie comme étant le fruit d’un processus dual, affectif et cognitif (Windal, 2004).
Nous retiendrons ce processus dual de la satisfaction pour tester si un lien social sur Internet permet
d’améliorer la satisfaction de l’internaute.
3. Proposition d’un modèle théorique et test des hypothèses
Afin de tester si un lien social sur Internet rend un site Web plus performant et influence
positivement la satisfaction, la confiance et les intentions comportementales, nous avons créé un site
présentant Artisans du Monde et ses produits dont la charte graphique a été approuvée par A.
Hubert, responsable de la communication nationale à la date où le site a été construit. Nous avons
comparé les réponses d’un groupe (95 individus) ayant consulté un « site classique » aux réponses
d’un groupe (147 individus) ayant consulté un site favorisant un contact interpersonnel avec le
consommateur grâce à trois outils : le mail, un agent virtuel (réalisé et installé sur le site par
l’entreprise Davi Interactive) et un call center. Par ailleurs, afin d’avoir un échantillon homogène
concernant l’utilisation d’Internet trois critères de sélection ont été mis en place : (1) récence de la
connexion : plus de trois mois ; (2) durée hebdomadaire de connexion : plus de trois heures ; et (3)
fréquence de connexion : plusieurs fois par semaine. Le premier critère (récence de connexion)
assurait une certaine ancienneté dans l’utilisation de l’outil, les deux suivants (durée et fréquence de
connexion) certifiaient que l’Internaute utilisait couramment Internet.