Vox geographica
Armelle Choplin
17 juin 2010
Nouakchott (Mauritanie), une capitale nomade ?
Armelle Choplin, Maître de conférences en géographie, Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
EA Analyse comparée des pouvoirs et UMR PRODIG armelle.choplin@univ-paris-est.fr
1960 : un État, une nation, une capitale. La Mauritanie naît et avec elle surgit du sable
Nouakchott. Personne ne s’attendait à voir apparaître si rapidement et en pareil lieu une
agglomération de cette taille. Avec ses 800 000 habitants (soit un Mauritanien sur quatre), la
capitale mauritanienne s’impose désormais comme la plus grande ville du Sahara. Récemment
encore, la Mauritanie n’était évoquée que pour ses hommes bleus, son système tribal, ses
dunes et ses chameaux. Dans cette représentation perçue comme immuable, Nouakchott
apparaissait comme une capitale politique créée ex-nihilo, habitée par des nomades victimes
de sécheresses et sédentarisés sous la contrainte. Pareilles visions « traditionnelles » de la
Mauritanie et de sa capitale sont aujourd’hui tout bonnement dépassées.
Ces dernières années, la Mauritanie semble être provisoirement entrée dans une phase
particulière, proche de l’état de « transe » qui mêle exaltations fébriles et vives inquiétudes
(Choplin, 2009). Transition démocratique avortée, transactions financières liées aux
investissements pétroliers, transit de migrants qui tentent l’aventure vers l’Europe,
transformations des paysages urbains avec la croissance économique, transferts d’argent de la
diaspora mauritanienne, transit encore de stupéfiants et de marchandises illégales… Le préfixe
« trans » rend ici compte, dans sa dimension spatiale, des diverses circulations de personnes,
de biens et d’idées qui traversent le pays, et, dans sa dimension temporelle, de
transformations sociales et politiques. A l’évidence, ces nombreux changements se
conjuguent, se condensent et s’expriment à Nouakchott, qui donne à voir cette phase liminaire
de « transe ». Une certaine forme d’effervescence s’observe dans ses rues et les
comportements de ses citadins. Effervescence mais également anxiété car si un seuil s’apprête
à être franchi, nul ne connaît pour l’instant la direction à prendre, pas plus que l’issue. Certes,
la monographie n’est plus guère à l’ordre du jour en géographie, supplantée par les études
comparatives. Pourtant, nous pensons qu’elle offre dans ce cas une clé de lecture pertinente.
Pensée et créée de toutes pièces par le politique, Nouakchott demeure une jeune et petite
capitale. Sa taille réduite, « humaine » pourrions-nous dire, permet une observation dans son
ensemble de mutations qui ailleurs sont plus diluées.
A l’heure où le centre-ville se métamorphose et que de frêles voix de contestation
commencent à se faire entendre dans les quartiers périphériques, on s’interroge sur le devenir
de celle qui a longtemps été surnommée la « capitale des nomades ». Que reste-t-il du
campement d’hier, de ce village-ville où dominait l’interconnaissance ? Et de ce centre
politique que les dirigeants Maures voulaient façonner à leur image, au détriment des autres
composantes de la société mauritanienne ? Comment aujourd’hui une petite capitale africaine,
perdue dans les marges de la planète, s’inscrit-elle dans la mondialisation ?
Figure 1 : La Mauritanie
Source : A. Choplin, 2009 a, p. 36
Du « no man’s land » au « nomads’ land »
Jusqu’aux années 1950, le nom même de « Nouakchott » ne renvoie qu’à un vulgaire puits
autour duquel évoluent quelques nomades. A l’évidence, le besoin de construire une capitale
dans ce Sahara « espace du vide » ne s’est fait sentir que tardivement. Car, faut-il le rappeler,
les Français sont davantage intéressés par la vallée du fleuve Sénégal qui leur permet de
rentrer plus avant dans les terres que par cet immense territoire austère. Pacifiée au début du
XXème siècle, la zone reste dans l’orbite du Sénégal et est administrée depuis Saint-Louis du
Sénégal (ancienne capitale de l’AOF). Mais, au moment de la reconnaissance de la Mauritanie
indépendante, le besoin de désigner une capitale politique se fait pressant car « un pays sans
capitale est comme un corps sans tête » selon les mots du premier président Moktar Ould
Daddah. Nouakchott est alors choisie pour sa position quasi centrale et neutre (ni trop près du
Sénégal, ni trop loin du Maroc). Dans ce quasi « no man’s land », les Français ne trouvent
guère de résistance pour s’approprier les terres parcourues par quelques tribus. Plus difficile
est de faire venir les fonctionnaires réticents à quitter Saint-Louis pour s’installer au milieu
des dunes. Pourtant, quelques années après, la tendance s’inverse : la nouvelle capitale connaît
une croissance extraordinaire suite à de grandes sécheresses qui poussent les ruraux sans
ressource vers ce pôle urbain naissant. De façon tout à fait inattendue, tous les plans
d’urbanisme sont mis à mal : alors que l’on tablait sur 8 000 habitants pour 1970, la ville en
compte déjà 70 000. Comme le relève J.-R. Pitte (1977), « à peine avait-on mis les principales
infrastructures et planifié les aménagements ultérieurs que ce chiffre était atteint » et d’en
conclure que « la planification dépassée cède le pas à l’improvisation ». Dès lors, les autorités
se trouvent dans l’incapacité de faire face à cet afflux d’individus qui, faute de trouver des
logements, dressent leurs tentes et autres baraques au sein et autour de la capitale. Les
bidonvilles (appelés kebbe) se multiplient au point de constituer l’habitat majoritaire.
Dès 1974, devant l’afflux massif de populations, les autorités prennent l’initiative de distribuer
gratuitement des lots de recasement. Mais cette solution ne suffit pas : les parcelles sont
immédiatement cédées par les bénéficiaires. Ne disposant pas de moyens suffisants pour
construire en dur, ils les revendent pour s’installer quelques mètres plus loin, de nouveau dans
l’illégalité. Les populations prennent conscience que la revente de parcelles peut fournir
facilement et rapidement une importante source de revenu. Le cercle vicieux de la spéculation
est enclenché. Depuis cette époque cohabitent dans le paysage nouakchottois deux types
d’habitat spontanés : les kebbe et la gazra. A priori rien ne les distingue : tous deux se
caractérisent par un habitat précaire et sont l’illustration parfaite du bidonville. Pourtant, la
gazra n’est pas occupée exclusivement par les couches sociales les plus démunies. Les
demeures construites en dur y sont plus nombreuses. Certains individus, y compris
relativement aisés, cherchent à obtenir des terrains, et pour ce faire, érigent illégalement une
petite pièce en banco. Ils squattent les terres en vue d’obtenir un bout de parcelle lors des
prochaines distributions étatiques. Quasi institutionnalisé, le phénomène d’occupation illégale
s’observe aujourd’hui dans tous les quartiers de Nouakchott : l’espace public est régulièrement
morcelé, bradé ou envahi.
Figure 2 : Extension spatiale de Nouakchott (1950-2008)
Source : A. Choplin, 2009 a, p. 77
Figure 3 : Le kebbe à la conquête des dunes (commune de Dar Naim)
Les plus pauvres érigent des baraques en attendant d’être régularisés. Cliché : A. Choplin,
Novembre 2006