L’HUMANISME
ET LA
FORMATION DE L’ESPRIT
LE sujet qu’annonce mon titre est un ample et beau sujet, si
ample et si beau que je crains de décevoir un peu et même
beaucoup en disant sous quel angle particulier je veux l’a
border ici : celui de la réforme de l’enseignement. Mais c’est que
mes réflexions pourront en prendre un tour plus concret et qu’on
verse facilement sur ce thème dans les généralités ambitieuses et
vides. En regardant d’un peu près ce qui voudrait être la pièce
maîtresse du projet déposé devant le Parlement, ce fameux tronc
commun, ces fameuses « écoles moyennes » qui ont déjà fait couler
beaucoup d’encre, on se rend mieux compte en effet de ce qu’une
conception, à mon avis, mal comprise de certaines exigences techni
ques de l’heure actuelle risque de coûter â la formation humaniste
et à la culture française. On voit mieux combien le sens même de
celles-ci échappe -v- et de la meilleure foi du monde — à certains
et combien, du point de vue même qui les guide, celui du progrès
technique, ils risquent de commettre une erreur irréparable. En
parlant à nouveau du tronc commun, mais dans cette perspec
tive, jç^ laisserai naturellement de côté des aspects de la question
fort importants pour les hommes politiques responsables, par
exemple ce qu’il en coûterait aux finances d’un pays déjà sur
chargé. Je ne dirai également qu’un mot de la question de la démo
cratisation. Ce que je veux me demander surtout ici, c’est, si du
point de vue de la pédagogie et de la culture, ce proj»t n’est pas
foncièrement infidèle â certaines exigences fondamentales.
Si je veux insister ici surtout sur l’objection pédagogique,
c’est qu’elle est ^objection majeure, celle qui fait qu’en aucun
cas, quelles que soient les possibilités offertes à l’Université par
LA. BEVUE K» 15
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LA REVUE
un Etat soudain devenu généreux et conscient de ses responsabi
lités, une institution comme ces écoles moyennes ne serait souhai
table. Cette objection est bien connue, elle a souvent été formulée
mais il faut toujours y revenir ; c’est que le projet verse ‘dans un
même moule des enfants appelés à des carrières très .différentes,
qu’il méconnaît par là la nécessité qu’il y a de prendre assez tôt,
vers dix ou onze ans, les élèves qu’on veut acheminer vers les
études prolongées et vers l’enseignement supérieur, grandes écoles
et Facultés, en leur donnant tout de suite la formation opportune.
Qu’est celle-ci ? D’un mot, la formation secondaire. L’opposition
de tant de maîtres qualifiés de l’enseignement secondaire au tronc
commun vient de ce qu’à leurs yeux il rompt la continuité néces
saire à cette « imprégnation » qui doit commencer tôt et n’être pas
différée ou compromise par des années d’essais et de tâtonnements.
Une telle objection est fondée sur l’expérience quotidienne que ces
maîtres font dans leurs classes ; elle traduit toute la conception
qu’ils ont de leur rôle. On ne doit pas s’étonner de la force qu’elle
revêt pour eux et c’est le point où l’incompréhension de leurs adver
saires apparaît la plus éclatante. Car ils veulent à tout prix penser
qu’elle n’est que le fruit d’un préjugé dépassé, une affirmation
gratuite derrière laquelle se dissimule une sorte d’impérialisme
professionnel, qui ferait que ces maîtres n’entendent rien lâcher
du domaine sur lequel ils régnent. Il n’est donc pas inutile de
regarder les.choses de près.
Celui qui nous y aidera, ce sera, s’il y consent, le ministre lui-
même par la définition qu’il a donnée, devant la Commission
de l’Education nationale, de ses écoles moyennes. Je l’emprunte
au très beau rapport de M. Hippolyte Ducos, rapport qui n’a pas
eu dans la presse la diffusion et les analyses qu’il méritait et dont
la lecture cependant est indispensable à quiconque se préoccupe
de la question. P. 70, on peut lire ceci : « L’enseignement moyen
est un enseignement qui se propose de relever autant que possible
les aptitudes des enfants par tous les moyens que la pédagogie
moderne met à notre disposition, en particulier par les moyens
audio-visuels. Il -dort être le plus concret possible sans préjuger,
bien au contraire, du développement de l’intelligence abstraite
et théorique. C’est également un enseignement pratique. Pour
développer cette formation pratique et les aptitudes particulières
de l’enfant, il doit être un enseignement individualisé. Les classes
seront de vingt-cinq élèves au maximum. Tous les élèves de onze
»
L’HUMANISME ET LA FORMATION DE L’ESPRIT
387
à treize ans y seront soumis. Ils recevront tous le même enseigne
ment la première année et il n’y aura d’options que la deuxième
année. Ainsi pourront être orientés tous les enfants selon leurs
aptitudes et leurs tendances. »
Dans cette définition il convient de laisser de côté ce qui
concerne le nombre limité à vingt:cinq. C’est là une réclamation
formulée par tous, parents et maîtres. Elle n’est en rien, liée à la
question des écoles moyennes. Et, elle serait utilement satisfaite
dans nos sixièmes et nos cinquièmes telles qu’elles sont. C’est
un véritable abus que présenter parfois cette limitation comme
propre au tronc commun. C’est aussi arbitraire que si on avait dit :
« Les classes seront chauffées l’hiver, convenablement aérées, etc. »
et si on venait ensuite prétendre que le tronc commun, ce sont les
classes chauffées, aérées, etc. Si j’insiste sur une remarque aussi
grossière, c’est bien parce que certaine propagande officieuse fait
précisément ce que je dénonce.
Je retiendrai par contre que l’enseignement donné dans les
écoles moyennes serait à la fois concret et pratique, qu’il userait
largement des moyens audio-visuels et des ressources de la péda
gogie moderne. Or, je ne suis pas contre les moyens audio-visuels.
Je suis plein de révérence, comme il se doit, pour les” diverses res
sources de la pédagogie moderne. On peut estimer aussi qu’il est
bon de faire appel au concret, à l’esprit d’observation des élèves.
Je suis déjà beaucoup moins sûr que tous doivent recevoir un ensei
gnement pratique. Et surtout j’estime que donner, partout et
pour tous; à ces exigences variées le pas sur les autres, c’est juste
ment refuser aux enfants doués pour la formation secondaire de
recevoir celle-ci en ses premiers éléments de la manière qui convient.
On nous assure, il est vrai, que cette pédagogie ne préjugera pas
(le mot n’est ni clair ni heureux) du développement de l’intelli
gence abstraite et théorique. Mais c’est clause de style et visible
ment l’accent n’est pas mis là-dessus. On ne veut pas voir que c’est
là ce qui est au premier plan de. l’enseignement secondaire actuel
parce- que c’est ce qui doit l’être. Si celui-ci ne doit refuser ni les
moyens audio-visuels, ni les ressources de la pédagogie moderne,
ni les uns ni les autres ne peuvent le détourner de ses moyens de
toujours, ni des fins propres qu’il veut atteindre par ces moyens.
Il importe toujours notamment de donner à l’enfant la maîtrise
raisonnée, aussi raisonnée que possible, des moyens d’expression,
de sa langue maternelle et d’autres langues comme celles de l’Anti-
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LA REVUE
quité ou des grandes civilisations européennes. Ceux des scienti
fiques qui sont véritablement désireux de voir l’enseignement
secondaire leur fournir les esprits dont ils ont besoin, c’est-à-dire
des savants, des professeurs, des techniciens dominant leur techni
que par une culture générale, conviennent volontiers et ils devraient
tous comprendre que cette formation abstraite par
l’analyse
grammaticale, par la composition française, par les thèmes et les
versions, par les explications de textes, est pour leurs futurs étu
diants une préparation préliminaire presque indispensable.
Le concret ? Les moyens audio-visuels ? Ils assaillent de toutes
parts les enfants d’aujourd’hui avec le cinéma, la radio, la télé
vision. C’est une raison de plus, dira-t-on, d’apprendre à en faire
un usage correct. On n’en disconviendra pas. Mais précisément cet
usage ne sera correct, du point de vue de l’enseignement secondaire,
que si l’esprit de l’enfant est affermi de manière à n’en être pas
submergé. Il est difficile d’arracher de jeunes cerveaux à l’envoû
tement du cinéma, de la télévision ? Mais plus c’est difficile, plus
l’observation des règles grammaticales,
c’est nécessaire. Plus
l’analyse du langage dans un sens large, l’habitude de classer ses
pensées et d’en ordonner l’expression est nécessaire, si l’on veut
former des esprits actifs, et non passifs, critiques et non mou
tonniers, libres et non esclaves.
Il ne semble pas que la pédagogie la plus moderne oblige à
méconnaître ce qui est le profit capital des humanités, depuis
que Platon, critiquant les sophistes, nous a appris que, se détourner
provisoirement du flux des apparences pour regarder ce qui dure,
est la première condition de la vie de l’esprit. On comprend certes
que les peuples anglo-saxons, naturellement portés à un certain
empirisme, aient pu méconnaître ces exigences fondamentales
de la formation de certaines intelligences. Mais leur erreur n’excu
serait pas la nôtre. C’est un fait que cette pédagogie tournée vers
le concret ; cette foi dans le pratique et le réel, qu’on veut imposer
â tous dans les écoles moyennes ont largement échoué en ce qui
est de satisfaire les exigences des scientifiques. Plus d’un Américain
est en train d’en prendre conscience et l’on choisirait ce moment
pour nous demander de renoncer à l’âme de nos humanités ? En
vérité, c’est mal choisir son heure. Ni le goût du savoir désintéressé,
ni la vigueur du jugement intellectuel et aussi moral ne résistent
à cette pédagogie qui, contrairement â la tradition grecque et latine,
flatte les sens et fait le moins possible appel à la raison abstraite.
L’HUMANISME ET LA FORMATION DE L’ESPRIT
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Le ministre auteur du projet actuel est un brillant agrégé des
des lettres. Il permettra à un de ses anciens de déplorer que la
séduction des « moyens audio-visuels » lui ait ainsi fait oublier
pour un instant ce qu’il sait mieux que personne. Je voudrais
l’inviter à relire certaines pages qu’on vient de rééditer ;’ elles sont
d’un maître qui eut comme lui un vif souci de la démocratisation,
qui, comme lui, je crois, appartenait au parti radical, d’un maître
qu’il lui sera difficile de récuser : je veux parler d’Alain, cet Alain,
qui, comme psychologue, en valait, je pense, bien d’autres, et
comme pédagogue aussi ! Il faut souhaiter beaucoup de lecteurs
au bulletin n° 5 où l’Association des amis d’Alain a groupé sous le
titre Alain et Venseignement des propos inédits à côté d’autres
déjà connus. « Moyens audio-visuels ?» Ecoutons ceci : « L’école
est un lieu admirable. J’aime que les bruits extérieurs n’y entrent
point. J’aime ces murs nus. Je n’approuve point qu’on y accroche
des choses agréables à regarder, même belles car il faut que l’at
tention soit ramenée au travail. Que l’enfant lise ou qu’il écrive,
ou qu’il calcule, cette action dénudée est son petit monde à lui qui
doit suffire. » (p. 20). « Education pratique » ? — « L’apprentissage
est l’opposé de l’enseignement… Il y a du jeu dans la pensée. Mais
si on voulait que l’école ne soit qu’un jeu, on se tromperait encore.
L’école est tirée en deux sens, au jeu et à l’apprentissage : mais
l’école est entre deux. Elle participe du travail par le sérieux, mais
d’un autre côté, elle échappe à la sévère loi du travail ; ici l’on se
trompe, l’on recommence ; les fausses additions n’y ruinent per
sonne » (P. 16-17) ; et encore : « L’homme qui gagne sur l’esclave
a toujours dit et dira toujours : « Faites des écoles professionnelles,
où chacun apprendra la pratique d’un métier. Voilà le bon sens !
Or remarquez que, quand ce métier serait de régler les compteurs
électriques et de monter proprement un poste récepteur, il n’en
éclairera pas mieux l’esprit » (p. 34), et encore : « Cette sévère
méthode, qui raccourcit si bien les vues sur le monde, est justement
celle qui y donne entrée » (p. 20). « Enseignement concret ? » —
« Allons à ces difficultés véritables dont l’arithmétique offre les
exemples les plus simples. Cela est ennuyeux, j’en conviens. Cela
est abstrait, comme vous dites… Ces théorèmes sévères ne sont
jamais intéressants par eux-mêmes ; c’est que par eux-mêmes ils
ne sont pas ; il faut les faire et les soutenir. Mais cette lumière alors
qu’ils montrent est plus belle que l’aurore; c’est l’aurore de l’es
prit. A ce moment le petit homme naît une seconde fois ; il se sait
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LA REVUE
esprit ; il a saisi cet instrument admirable dont Descartes parlait »,
(p. 21). Quand on lit ces lignes, elles-mêmes admirables, on ne songe
pas, sans mélancolie ni colère, que l’Université, dont elles sont la
fleur, est menacée par je ne sais qu’elle conjonction de la démagogie
et de la cuistrerie.
Celui qui refuse aux enfants de onze ans qui en sont dignes le
bénéfice immédiat des disciplines abstraites enseignées dans l’esprit
humaniste d’un Alain, se berce d’une fâcheuse illusion s’il croit
qu’il facilitera ce recrutement des scientifiques dont on a un tel
besoin. Jamais un Henri Poincaré ne l’aurait pensé, lui qui écrivait :
« Les humanités anciennes concourent admirablement à former
l’homme de sciences. » Et de nos jours une telle formule serait
souscrite sans aucune réserve par un Paul Montel qui rappelait
naguère aux lecteurs de YEducation nationale la fécondité de
ces disciplines. Retirer au latin quelques demi-heures pour les
donner aux mathématiques est une idée absurde et sacrilège et
il est comique qu’on puisse croire donner ainsi à la France les ingé
nieurs et les savants qui lui manquent. Je sais un professeur de
mathématiques d’un de nos grands lycées de Paris qui professe
qu’au niveau de la sixième, c’est le latin qui forme le mieux les
futurs scientifiques. Le goût de la connaissance désintéressée d’une
part, la formation d*esprit d’analyse et d’abstraction d’autre part,
voilà les fondements pédagogiques de la science, non les vaines
curiosités, si justement suspectées par Alain.
Ainsi, dira-t-on, en pleine révolution technique, vous hè voyez
pas la nécessité d’une révolution scolaire ? Vous trouvez parfait
ce qui existe ? Parfait, ah ! certes, non ; je vois tout ce qu’il y
aurait lieu de corriger, quand ce ne serait que les classes trop
nombreuses, la surcharge des programmes « démentiels », la ten
dance à la dispersion des efforts. J’ai déjà dit qu’un emploi raison
nable et raisonné de toutes les techniques nouvelles d’éducation
paraît souhaitable. Mais qu’il y faille une révolution, c’est ce qui
ne me semble pas évident. Notre temps abuse véritablement
beaucoup de ce mot et trop d’esprits sont enclins à penser qu’il est
le sésame de toute action. Le plus souvent du reste il sert d’alibi,
comme on dit aujourd’hui, à la plus parfaite inertie. Depuis di>;
ans il eût sans doute mieux valu parler un peu moins de révolu
tion et prendre les mesures qui s’imposaient en matière de recru
tement des maîtres et de construction de locaux scolaires.
– La révolution technique dont on fait si volontiers état est
L’HUMANISME ET LA FORMATION DE L’ESPRIT
391
avant tout le bruit du progrès scientifique et il .est incontestable
que la France n’a pas tout réalisé de ce qui aurait été nécessaire
pour favoriser celui-ci. Mais, quoi qu’on imagine pour l’accélérer
et l’étendre, le progrès scientifique suppose toujours à la base
une élite d’esprits capables de se vouer à la recherche pure. Il
suppose un grand nombre de maîtres assez épris de la joie de
communiquer leur savoir, pour rester insensibles aux tentations
de situations qui dans l’industrie seront fatalement toujours plus
riches de promesses. II suppose enfin des techniciens de l’ordre
supérieur, capables de comprendre, de diriger et d’organiser les
hommes. Pour former une élite de ce niveau, les méthodes d’hier
sont aussi très largement celles de demain, parce qu’elles sont
celles de toujours.
Sur la façon de la recruter il y a certes bien des choses à dire. Il
est trop d’enfants qui ne sont pas à leur place au lycée, et plus
encore sans doute qui devraient y venir et qui n’y sont pas. C’est
un grave problème. Ce n’est pas celui que je traite ici, mais il faut
en souligner au passage l’urgence impérieuse. Il faut rappeler
aussi combien il importe de développer les enseignements des
cours complémentaires et des collèges techniques. En résultera-t-il,
comme lé disent les adversaires de l’enseignement secondaire sous
sa forme actuelle, un clivage social jugé antidémocratique ? En
fait s’il s’agit de la réussite dans la vie et dans les carrières, il
n’apparaît guère que les esprits plus aptes à recevoir l’enseignement
technique y doivent être défavorisés. Les parents s’en aperçoivent
souvent et s’en apercevront toujours davantage. Il y a place pour
bien des maisons dans la demeure du Père céleste et le problème
n’est pas tant de recruter une élite que d’en recruter plusieurs.
Notre civilisation a certainement rendu sa dignité à un type
d’intelligences appliquées aux tâches de la technique : cela ne signi
fie pas qu’il faille sur lui modeler toutes les autres. Il y a un homo
faber à côté de Yhomo sapiens ; cela ne signifie pas que Y homo sapiens
doive être désormais un homo faber. Cela ne signifie pas qu’il faille
imposer pendant deux ou même quatre ans aux enfants qui sentent
naître en eux Yhomo faber le même apprentissage qu’à ceux qui
portent en eux Yhomo sapiens. Les uns bâilleront aux leçons de
français, si on les fait trop littéraires pour eux, les autres devant
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LA REVUE
l’établi de menuiserie et tous perdront leur temps, et avec leur
temps, l’argent de la nation, de la nation qui n’en a pas à revendre.
Ces quelques remarques, faites en marge du projet de réforme,
sont loin, et j’en suis le premier conscient, d’épuiser le sujet annoncé.
A bien des égards elles ne font que l’effleurer. Mais peut-être aperçoil-
on mieux la portée de l’objection pédagogique faite aux écoles
moyennes. Peut-être comprend-on mieux la menace que leur ins
titution ferait peser, le mot n’est pas trop fort, sur la culture de
notre pays. J’ai voulu faire sentir l’urgence de prévenir certains
contresens, l’urgence de prendre conscience de ce que c’est réelle
ment, concrètement que l’éducation humaniste dans une société,
qui, pour être technicienne,l n’est pas affranchie de certaines lois
de formation de l’esprit. Les savants se rendent chaque jour mieux
compte que la recherche pure, ou, comme on dit, la recherche
fondamentale, commande la recherche appliquée. Eux comme nous
doivent se rendre compte que quelque chose commande la recherche
pure elle-même : et c’est l’humanisme. L’humanisme non pas dans
le sens vague et multiforme qu’on lui donne volontiers, mais dans
celui d’une culture fondée sur la communication entre les hommes
par les techniques et les arts du langage, communication qui
implique recours aux valeurs esthétiques et aux valeurs morales,
qui implique aussi des exercices scolaires précis, humbles d’appa
rence, riches de portée, sur les vertus desquelles j’aimerais m’étendre
si d’autres ne l’avaient fait mieux que je ne saurais le faire, comme
mon collègue et ami, Fernand Robert, dans son petit — et grand —
livre sur VHumanisme, comme Alain dans ces propos dont je citais
quelques trop brefs extraits. A cette culture littéraire et classique
la culture mathématique, qui reste la base de la culture scienti
fique, surtout au niveau de l’enfant, se lie naturellement. Je vou
drais pour conclure écouter encore Alain : « Je trouve ridicule
qu’on laisse le choix aux enfants et aux parents d’apprendre ceci
plutôt que cela. Ridicule aussi qu’qn accuse l’Etat de vouloir
leur imposer ceci ou cela. Nul ne doit choisir et le choix est fait.
Napoléon, je crois bien, a exprimé-en.deux mots ce que tout homme
doit savoir le mieux possible : géométrie et latin. Elargissons :
entendons par latin l’étude des grandes œuvres, et principalement
de toute la poésie humaine. Alors tout est dit.
PIERRE BOYANCÉ.