L’évolution du métier de caissière d’hypermarché :
quels enjeux pour la Gestion des Ressources Humaines
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IGR-IAE, Doctorant à l’IGR/IAE, Université de Rennes 1, CREM UMR CNRS
Amadou BA
6211
Christophe VIGNON
Maître de conférences à l’université de Rennes 1 – IGR/IAE, Université de
Rennes 1, Membre du CREM UMR CNRS 6211
IGR/IAE Rennes – 11, rue Jean Macé – CS 70803 – 35708 Rennes cedex 7
Tél : 02 23 23 77 79
Fax : 02 23 23 78 00
Christophe.vignon@univ-rennes1.fr
L’évolution du métier de caissière
L’évolution du métier de caissière d’hypermarché :
quels enjeux pour la Gestion des Ressources Humaines
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Cet article étudie l’évolution du métier de caissière d’hypermarché. Nous développons
une analyse empirique à partir d’une recherche de terrain dans l’un des hypermarchés
français les plus avancé en matière d’automatisation des caisses. Les résultats obtenus
mettent en évidence le changement radical du métier de caissière engendré en grande
partie par l’introduction massive des nouvelles technologies de l’information. Le
changement du métier de caissière accéléré par l’automatisation des caisses pose la
question du devenir de ce métier et des pratiques RH découlant de ces évolutions
Mots clés : Caissière, automatisation des caisses, GRH, conditions de travail, santé au
The evolving role of hypermarket cashier : which
consequences for HRM
Résumé :
technologiques.
travail
Abstract:
This research studies the automation of cash desks in hypermarkets. As we study
cashier’s work since many years we have collected data from a fieldwork in one French
hypermarket that is probably one of the most innovative on this topic. Our results show
that we are facing a radical change in cashier’s work. Since 40 years, with the effect of
IT this work as progressively changes but we are now facing a radical and fastest
change. These changes need new HR practices in retailing.
Key words: Cashier, cash desk automation, Human Resource Management, working
conditions, health at work
L’évolution du métier de caissière
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Résumé managérial
Depuis quelques années l’automatisation des caisses est un sujet délicat dans la grande
distribution. D’un côté elle permettrait de réduire les TMS dont les caissières sont les
principales victimes dans ce secteur professionnel. D’un autre de nombreux emplois
risquent de disparaître (40 000 selon certaines estimations). Cette recherche se veut être
une contribution au débat actuel. En effet, nous étudions depuis de nombreuses années
le travail des caissières et nous avons actuellement l’opportunité de mener une
recherche de terrain dans l’un des hypermarchés français les plus avancé en matière
d’automatisation des caisses.
Sous l’effet des nouvelles technologies et des politiques d’accueil client, le métier de
caissière a connu de nombreuses évolutions depuis une quarantaine d’années. Toutefois
l’évolution actuelle est beaucoup plus radicale car elle modifie en profondeur le métier.
Autrefois simple exécutante d’une chaîne taylorienne dans laquelle le client servait de
régulateur, la caissière à qui l’on demandait d’accommoder son accueil de scripts de
comportements plus ou moins personnalisés et souriants gagne maintenant en
autonomie. En effet, sur les caisses automatiques ce n’est plus la caissière qui saisit les
articles mais le client. Nous sommes passés d’un travail d’exécution à un rôle plus
commercial d’accueil mais aussi de formation et de surveillance des clients. A priori ce
travail apparaît moins pénible que sur une caisse traditionnelle. Pourtant les longues
stations debout et la complexité accrue des tâches instaurent de nouveaux enjeux pour
éles politiques RH des enseignes de distribution. Pour accompagner l’automatisation
des caisses il faut revoir l’ensemble de l’organisation du travail sur les chaînes de
caisse, notamment en ce qui concerne la répartition des tâches, le temps de travail et la
santé au travail, mais aussi changer les critères de recrutement et former les hôtesses en
conséquences.
L’évolution du métier de caissière
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INTRODUCTION
Le management des ressources humaines dans la grande distribution fait davantage
l’objet d’un débat passionné, souvent relayé par les médias, que de recherches
scientifiques visant à mettre à jour les régularités humaines et organisationnelles qui
prévalent dans ces entreprises. Les ouvrages qui évoquent ce secteur sont le plus
souvent des pamphlets assez virulents de la part d’anciens employés, de médecins du
travail ou de dirigeants qui dénoncent de manière unilatérale les pratiques de gestion de
ces entreprises. Il en est ainsi de l’ouvrage de Sam (16).
Alors que les changements survenus dans ce secteur et ses pratiques de gestion
interpellent directement la gestion des ressources humaines, les études académiques se
situent pour l’essentiel dans une perspective marketing (6, 11) sociologique (20, 9, 18,
5), de stratégie (4, 7, 19) ou d’économie industrielle (13). Malgré leur nombre sans
cesse croissant, rares sont celles qui s’intéressent aux pratiques de GRH (2, 17).
L’automatisation des caisses dans les hypermarchés fait l’objet d’un débat médiatique et
controversé entre les différents acteurs du secteur. Les professionnels et les syndicats
des travailleurs sont notamment soucieux des conséquences sociales de ce changement
introduit dans l’univers de la grande distribution. Si pour les décideurs l’automatisation
permet l’amélioration des conditions de travail, les syndicalistes craignent une
suppression massive des emplois notamment pour les caissières. Ainsi, en 2007, la
CFDT avec le soutien des clients, soucieux des conséquences de ces technologies sur
l’emploi des caissières, a lancé une opération médiatique portant sur la pétition SBAM,
“Sans Bornes Automatiques, Merci”. Cependant, pour répondre aux syndicalistes et
continuer cette automatisation les dirigeants des enseignes mettent en avant l’argument
de la santé des caissières de plus en plus menacée par les Troubles Musculo-
Squelettiques (TMS). Pour éviter une suppression de 40 000 emplois d’ici 2015, la
négociation entre les différents acteurs a abouti à la signature d’un accord de gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) en novembre 2008.
Dans notre société de services, la généralisation de l’usage des technologies de
l’information et de la communication contribue largement aux transformations du
rapport au travail. Alors que l’on a initialement assisté à une importation des processus
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industriels vers les services on constate maintenant une universalisation des relations de
service qui, à leur tour, influencent les principes d’organisation de l’industrie (10). Le
progrès rapide des technologies (au premier rang celles de l’information et de la
communication) n’agit pas seulement sur l’organisation du travail mais aussi sur
l’adoption des nouvelles pratiques commerciales. Ce recours intensif aux technologies
de l’information et de la communication est présenté comme devant améliorer la
relation de service. Toutefois, si elles contribuent à l’adoption de nouvelles pratiques
commerciales visant notamment à fidéliser les clients, elles introduisent également de
nouveaux modes de contrôle du travail en caisse qui ne sont pas sans conséquence sur
l’exercice de leur métier par les hôtesses. Ce point constitue un enjeu crucial des
recherches réalisées jusqu’ici sur l’évolution du travail des hôtesses de caisses.
L’automatisation actuelle des caisses, en raison d’une concurrence accrue, s’inscrit dans
une logique qui vise à remplacer l’individu dans le processus productif, ainsi qu’à
augmenter le contrôle, tout en renforçant la dimension commerciale au détriment de la
logique technique (17). Toutefois, il ne s’agit plus, comme lors des évolutions
précédentes, d’une adaptation limitée des postes de travail aux caisses. Nous assistons à
un véritable changement de paradigme dans le travail des hôtesses. Les conséquences de
celui-ci en matière de GRH qui ne semblent pas encore bien mesurées. C’est cette
question que nous souhaitons traiter dans la présente communication.
Nous présentons dans la première partie de cet article les différentes thèses en présence
sur l’évolution du métier de caissière. Puis nous décrivons, en encadré, la méthode de
recherche utilisée. La dernière partie met en évidence les résultats et les implications
managériales découlant de la mise en place des Caisses Libre Service (CLS).
LES THESES SUR L’EVOLUTION DU METIER DE CAISSIERE
Depuis 40 ans le métier de caissière a fortement évolué. Les premières caisses
mécaniques nécessitaient deux opératrices et une compétence technique de saisie des
prix des articles. Le rythme de travail était beaucoup moins élevé qu’actuellement et la
présence de deux personnes par poste permettait une certaine solidarité entre collègues.
L’évolution du métier de caissière
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Conséquences de l’évolution du métier sur les conditions de travail
Pour pouvoir accomplir son travail sur une caisse traditionnelle la caissière doit
connaître la machine enregistreuse, les touches, les codes des rayons et le protocole de
chaque opération : enregistrement du prix d’un produit, choix du rayon auquel il
appartient, annulations, déductions (bouteilles, coupons, etc.). Comme la vitesse est une
caractéristique exigée des caissières, elles finissent par connaître, par cœur, la plupart de
ces opérations. Parfois, les caissières développent le “doigté aveugle”, c’est-à-dire
qu’elles tapent les prix et les codes des rayons sans être obligées de regarder le clavier
de la machine. Les caissières doivent aussi connaître quelques procédures liées à la
manutention des machines, en particulier les changements de rouleaux et le nettoyage.
En outre, les caissières doivent connaître tous les produits qui existent dans le magasin,
puisqu’elles doivent localiser chaque produit dans son rayon respectif. C’est le cas pour
les promotions en cours dans le magasin. L’informatisation a permis d’accélérer le
passage des produits en caisse et ainsi de répondre à une accélération des styles de vie
engendrant des comportements de plus en plus pressés de la part des clients. Pour ces
derniers le passage en caisse constitue une source de frustration liée à l’irruption de la
réalité financière suite aux rêveries face aux rayons regorgeant de produits. Ceci induit
des comportements parfois agressifs de leur part envers les caissières.
Le travail à la caisse exige de la force et de la résistance physique et émotionnelle (18).
La caissière doit rester debout ou assise pendant des journées de travail dont la durée
peut atteindre dix heures. Dans la plupart des cas, les caissières restent assises alors que
les clients dans une position debout. Ceci affecte la relation entre client et caissière et
affaibli cette dernière en cas d’agression (10).
L’évolution des conditions de travail, si elle affecte la santé physique sous forme de
TMS, concerne également les modalités de contrôle des hôtesses, leur rapport aux
clients et le travail émotionnel. Nous allons analyser plus précisément ces trois derniers
points.
Le contrôle
Au cours des dernières années de nombreuses recherches sur l’évolution du travail des
caissières oscillent entre une posture qui diagnostique la taylorisation croissante de cette
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activité en raison d’un contrôle exacerbé résultant du développement des nouvelles
technologies de l’information : chronométrage de la vitesse de saisie de chaque article,
contrôle automatisé du nombre d’erreurs de saisie, travail émotionnel accru engendré
par les politiques de fidélisation des clients menées par les enseignes et évaluées par des
clients mystères qui mesurent la qualité de l’accueil des clients, caméras de surveillance
vidéo, etc. Il résulterait de ces différents dispositifs une sensation d’effet panoptique
(12) qui donne le sentiment, alors même qu’un dispositif de surveillance n’est pas
activé, d’être quand même sous l’effet d’une surveillance permanente. Cet effet
augmente le stress vécu au travail qui serait notamment la cause de l’épuisement
émotionnel des hôtesses et de l’accroissement important des TMS.
D’autres thèses plus optimistes décrivent une évolution moins radicale dans laquelle,
malgré l’existence de ces dispositifs gestionnaires, une part d’autonomie individuelle
persiste. Il s’agit soit de montrer que le métier de caissière perd progressivement de sa
dimension technique de saisie d’information dans l’urgence pour s’orienter de plus en
plus vers un métier d’accueil et de relation clientèle dont le travail émotionnel devient
une composante essentielle (17). Soit de décrire un sous investissement psychique au
travail, celui-ci ne devenant qu’une composante de la vie globale d’une personne et non
plus un point central de celle-ci, ce qui accroît le nomadisme des salariés (20).
Les changements intervenus dans ce métier ne se résument pas seulement à
l’introduction des technologies. On note ainsi une exigence accrue des clients qui
demeurent plus informés et moins fidèles. Pour les satisfaire et atteindre leurs objectifs
économiques les directions renforcent la surveillance. Le travail des caissières fait alors
l’objet de contrôles étroits qui relèvent de deux logiques antagonistes (17). D’une part,
les caisses sont le lieu de matérialisation financière du commerce, une extrême rigueur
est donc de mise et les erreurs de caisse ne pardonnent pas. D’autre part, la qualité de
l’accueil du client est devenue, depuis une vingtaine d’années, un argument commercial
et fait l’objet de mesures attentives. Le dispositif organisationnel et les politiques
commerciales mis en place par les directions déterminent en grande partie les relations
entre les acteurs en présence notamment clients et caissières.
L’évolution du métier de caissière
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Rapport de pouvoir entre client et caissière
Les thèses en présence sur l’évolution du métier de caissière mettent en évidence des
rapports tensionnels entre client et caissière engendrés par les logiques contradictoires
impulsées par l’encadrement : le principe du “client-roi”, la qualité du service et
l’exigence de productivité croissante. A cela s’ajoutent l’omniprésence du client dans le
travail des caissières et l’excès de pouvoir accordé au “client-roi” par les directions au
nom de la concurrence. Les caissières résolvent cette contradiction par leur
professionnalisme (10, 20) mais la relation entre la caissière et le client apparaît souvent
comme un rapport de force (15).
La grande distribution est organisée de telle sorte que le travail des caissières dépend
largement du flux des clients et offre à ces derniers un rôle central (10). La longueur des
files d’attente des clients fait pression sur le rythme de travail des caissières. Les clients
semblent alors constituer un moyen, plus ou moins délibérément orchestré par
l’encadrement, de maintenir la pression exercée sur les caissières. Dans cette logique le
rapport de pouvoir est favorable aux clients (10, 15). Il en résulte une automatisation du
travail à la caisse en raison de l’intensification du travail et de la répétitivité des gestes,
une dépersonnalisation et une déshumanisation des rapports entre caissière et client.
A1 : Méthodologie de recherche
Depuis le milieu des années 90 nous avons conduit plusieurs enquêtes qualitatives sur le
travail des caissières (17). Nous nous étions notamment intéressés à l’effet des
politiques d’accueil sur le travail émotionnel des hôtesses.
La recherche actuelle a commencé au cours de l’été 2008 lorsqu’un hypermarché a
lancé une opération d’automatisation de sa ligne de caisse avec l’arrivée effective d’une
trentaine de caisses libre service. Ces dernières s’ajoutent aux six caisses installées
depuis 2006 qui ont servi d’échantillon expérimental. En 2008, l’un de nous, dans le
cadre de son mémoire de master recherche, a fait un séjour de deux mois dans ce
magasin avant d’y retourner en janvier 2009 pour conduire une thèse en CIFRE.
Actuellement, ce dernier effectue un temps de présence de 70% du temps complet, soit
vingt six heures par semaine. Dans le cadre de sa mission, il y occupe un poste de
L’évolution du métier de caissière