CIRDEP
Centre interdisciplinaire de recherche
sur l’éducation permanente
Les pratiques et l’organisation
de la
formation en entreprise au Québec
Résumé du rapport de recherche
Paul Bélanger, Maryse Larivière et Brigitte Voyer
en collaboration avec
Dominique Bouteillier, Céline Chatigny, Pierre Doray, Alain Dunberry et Diane
Gabrielle Tremblay
Étude réalisée avec l’appui du Fonds de recherche sur le développement de la main d’oeuvre
UQAM
2004
Cette recherche exploratoire a construit des portraits de la formation et de son organisation
dans 15 entreprises sélectionnées dans 3 secteurs économiques
typiques de
l’économie
québécoise : le commerce de détail, la transformation alimentaire et le secteur biopharmaceutique.
L’analyse de ces secteurs a permis d’observer comment la formation et son organisation varient et
évoluent en fonction de la densité technologique, de la transformation des modes et techniques de
production des biens et services et des tendances plus larges modifiant les attentes et dispositions
culturelles et sociales des individus.
Depuis la petite entreprise jusqu’aux filiales de corporations multinationales, partout la
formation en entreprise se présente ainsi comme une réalité plurielle et mouvante.
Portraits de la formation en entreprise
Dans le secteur du commerce de détail, des changements significatifs sont en voie de se
réaliser dans la formation des vendeurs, lesquels, en majorité peu qualifiés, sont embauchés sur la
base de statuts précaires. Cette formation est donnée en faisant appel à des employés plus
expérimentés qui ont reçu, au préalable, une formation générale de formateurs. Dans les deux
entreprises à caractère plus familial, en l’absence de responsable des ressources humaines, la
formation des vendeurs demeure sous le contrôle quasi direct des propriétaires. Elle est plus
développée dans la première où un consultant externe la prend en charge et, dans la plus petite
entreprise, elle se fait sous forme d’un parrainage relativement spontané. Dans les deux commerces
spécialisés, la situation est différente. La formation des cadres, intensive en raison de la
transformation rapide et de l’expansion récente de ces établissements, est donnée par des
intervenants externes, alors que la formation des « conseillers vendeurs », elle aussi importante et
continue en raison de la professionnalisation du rôle de ces vendeurs spécialisés, est assurée par
des formateurs internes en coopération avec des formateurs de l’extérieur.
L’épée de Damoclès que représente le risque d’une non-observation des normes de qualité
marque profondément le portrait de la formation dans les entreprises de transformation alimentaire
qui doivent, pour se développer, exporter leur production, mais ne peuvent le faire sans recevoir la
certification HACCP. Le poids de ce contexte normatif, que ce secteur partage avec celui des
entreprises de production pharmaceutique, est particulièrement évident dans la formation des
opérateurs des unités de production. La formation à l’embauche porte alors majoritairement sur les
normes de qualité et sur leur application. Elle procède généralement sous la forme du mentorat ou
du « coaching ». À cette fin, certaines entreprises ont mis en place des programmes de formation
de formateurs généraux et techniques. Des formations particulières à l’entrée et en cours d’emploi
sont organisées pour répondre aux exigences nouvelles de ces entreprises, comme la réduction des
risques d’accidents de travail ou une distribution quotidienne des produits de plus en plus ajustée à
des gestions serrées des stocks dans les magasins et chaînes de distribution.
L’instauration dans les entreprises d’un poste de responsable des ressources humaines et de
la formation crée une nouvelle dynamique assurant un développement plus endogène de la
formation, un recours plus intégré aux intervenants externes.
La pression exercée par les organismes externes de réglementation, FDA1américaine et de
Santé Canada, est encore plus marquée dans les entreprises du secteur biopharmaceutique. Le
bureau de la qualité de ces entreprises exige un contrôle encore plus précis et continu des
formations requises par l’application des bonnes pratiques de fabrication. Dans ce contexte, la
direction des ressources humaines tend à exercer un rôle plus limité de support et de suivi.
Autrefois réalisée sur le tas, la formation des nouveaux employés est devenue plus organisée,
s’exerçant selon le modèle du mentorat appuyé par des outils de formation produits par
l’entreprise. Une formation systématique des formateurs et des mécanismes systématique de suivi,
depuis l’analyse des déviations jusqu’à la tenue d’un registre individuel des parcours de formation,
garantit la rigueur de ces formations. Dans trois de ces cinq entreprises, la formation liée à la
qualité est organisée en dehors du service des ressources humaines (Sirois,1995).
Le modèle prédominant de la formation de ces scientifiques est celui d’une organisation
décentralisée sur le plan des équipes. La formation technique et scientifique tend à être suivie à
l’extérieur dans des centres spécialisés ou des institutions d’enseignement, alors que la formation
aux compétences dites transversales liée á l’organisation du travail et à la communication est
organisée sous la responsabilité du service de formation.
Quant à la formation des cadres, elle tend, en général, à devenir normalisée tant dans son
contenu que dans son organisation. Elle est décidée par la direction générale et coordonnée par le
service des ressources humaines qui, à cette fin, tend à faire appel à des organisations externes ou à
procéder en coopération avec elles. Dans les entreprises relevant d’un siège social, celui-ci exerce
un leadership, se réservant la formation des cadres supérieurs et déléguant à l’établissement local
la formation des responsables de la gestion aux paliers intermédiaires et inférieurs. Nous observons
cependant une évolution timide dans l’ensemble, mais déjà évidente dans une entreprise, vers des
modèles plus endogènes de formation des cadres en s’appuyant sur des formes nouvelles de
mentorat. Certes, le recours à des employés formateurs n’est pas nouveau, mais la diffusion et la
systématisation récentes de cette forme d’intervention dans la majorité des entreprises constituent
vraisemblablement l’une des tendances les plus significatives du développement de la formation
en entreprise.
1 Food and Drug Administration.
Portrait de l’amont et de l’aval de la formation
La réalité de la formation en entreprise déborde largement les activités structurées
d’apprentissage, lesquelles ne sont que la pointe visible de l’iceberg. On ne peut plus décrire la
formation en entreprise sans tenir compte d’abord de toutes les pratiques en amont et en aval des
interventions éducatives
immédiates, mais aussi des apprentissages
informels, de
leur
reconnaissance et du soutien varié que lui apportent les différentes entreprises.
L’émergence difficile de la demande de formation de la part des individus est liée, en
partie, à l’absence de médiations et d’espaces pour leur expression. Le diagnostic systématique des
besoins et la programmation de la formation sont, en effet, des activités relativement nouvelles
dans la majorité des entreprises étudiées. Les exceptions sont regroupées dans le secteur de la
biopharmaceutique. L’analyse des besoins d’apprentissage et la planification de la formation des
professionnels et scientifiques y sont généralement laissées aux chefs d’équipe, alors que celles des
cadres tendent à relever d’acteurs externes, qu’il s’agisse de firmes de consultants ou du siège
social de grandes entreprises.
L’instauration récente, dans la plupart des 15 entreprises, d’un poste de responsable des
ressources humaines et de la formation a permis d’opérer certains changements : tenue d’enquête
sur les besoins de formation, élaboration d’un plan annuel de formation, mise sur pied d’un registre
des activités. La demande d’une qualification plus poussée des vendeurs dans certains commerces
de pointe et celle d’un meilleur contrôle des pratiques de fabrication dans les entreprises de
transformation alimentaire et de production de médicaments ont été des facteurs déclencheurs des
nouvelles interventions tant en amont qu’en aval des activités de formation structurée.
Phénomène nouveau, la nécessité de maîtriser les nouvelles compétences dites transversales
(communication, résolution de problèmes, etc.) tend à confier au responsable des ressources
humaines et de la formation un nouveau rôle de planification de la formation des cadres et du
personnel professionnel et scientifique.
En aval, les pratiques d’évaluation tendent à demeurer au premier niveau, celui d’une
vérification de la satisfaction générale des participants. C’est dans la mesure où la formation
devient plus étroitement liée à des exigences de production que l’organisation tend à vérifier l’effet
de la formation dans la pratique, c’est-à-dire dans l’action productive elle-même. La tenue
régulière de comités internes (gestion, service à la clientèle, contrôle de la qualité, santé et sécurité,
relations de travail, etc.) offre des espaces de plus en plus utilisés pour des évaluations informelles
ou occasionnelles des formations ainsi que des diagnostics de besoins futurs. Ce qui laisse
entrevoir une évolution vraisemblable des organisations pour déployer ces deux phases clés de
l’ingénierie de la formation en entreprise.
La reconnaissance et le soutien donné à l’apprentissage informel
Quant à la reconnaissance et au soutien donnés à l’apprentissage informel, notre étude
exploratoire visait moins à répertorier des indices de l’apprentissage informel qu’à vérifier si les
entreprises reconnaissent cette réalité « tacite » et comment elles l’appuient. Nous avons fait deux
constats. Certaines entreprises commencent à reconnaître l’apport « intellectuel » invisible des
employés. Le recours aux employés à titre de formateurs, l’espace donné aux vendeurs-experts,
l’appel à la capacité d’initiative des employés de production pour contribuer quotidiennement à la
résolution de problèmes techniques et au dénouement des crises, la réponse des gestionnaires aux
demandes du personnel pour une organisation moins répétitive du travail ainsi que la modification
des modes de travail sous la forme de rotation de tâches ou de travail en équipe, constituent autant
d’indices d’une tendance observée à tous les niveaux de qualification, bien qu’à des degrés divers.
C’est dans les secteurs et entreprises davantage insérés dans la nouvelle économie du savoir
que nous constatons une systématisation du support à l’apprentissage informel : mise à la
disposition d’un centre de documentation, session de consultation, mentorat continu, extension à
tout le personnel des plans de développement professionnel individuel, etc. Toutefois, la
reconnaissance de l’apprentissage informel, souvent ignorée par une vision de la formation
confinée aux pratiques structurées, commence à émerger dans les trois secteurs.
Partout où la production est soumise à des normes de qualité, la contrainte d’un contrôle
strict des Bonnes pratiques de fabrication constitue pour ces entreprises un nouvel enjeu. S’il est
vrai, comme nous le disent les ergonomes, que le travail réel de l’opérateur ne se résume pas aux
tâches prescrites et met toujours en jeu une contribution imprévue du sujet et, en conséquence, des
apprentissages informels, comment alors l’organisation peut-elle s’assurer que les pratiques seront
conformes aux normes prescrites et, en même temps, créer des espaces pour permettre une
participation idiosyncrasique du sujet dans son travail ? Certaines entreprises des secteurs de
transformation alimentaire et de la biopharmaceutique commencent à se demander si une
formation immédiate à la conformité demeure la seule et meilleure façon d’assurer la conformité
des pratiques. Cette stratégie éducative rigide constitue un défi important, étant donné les
exigences de flexibilité interne liées au nouveau système de rotation et de travail en équipe, ainsi
que la nécessité d’une meilleure prise en compte des contextes et expériences particulières.
La transformation de la demande et les différentes logiques de formation
Nous avons complété ce tableau de la formation en étudiant la pluralité et l’évolution de la
demande et en dégageant les logiques prédominantes de formation. La formation, à l’embauche,
des nouveaux employés est en plein développement. Treize des 15 entreprises ont systématisé ce
type d’intervention et la majorité d’entre elles l’ont fait tout récemment. Ce sont les exigences de
santé sécurité, de contrôle de qualité, d’application des nouvelles pratiques de production, de
spécialisation de la fonction de vendeur, ainsi qu’un besoin de fidélisation du personnel qui ont
conduit à de telles pratiques.
La formation en cours d’emploi a toujours fait partie des pratiques des grandes et
moyennes entreprises. Il est clair toutefois qu’on assiste à un processus de redéfinition et
d’intensification de la demande de ce type de formation. Les compétences non standardisées et non
techniques deviennent également importantes au niveau de la production pour permettre aux
équipes de travail de mieux résoudre les problèmes.
Par ailleurs, les expressions de demande de formation de base sont peu fréquentes dans les
15 entreprises. Voilà qui surprend l’observateur, sachant l’importance de cette demande au sein de
la population active au pays (Statistiques Canada, 1995 ; Wagner, 2002) et la priorité que lui
donnent la plupart des autres pays industriels avancés (Commission européenne, 2002). Cela
s’explique peut-être par la non adéquation des réponses éducatives disponibles à cette fin et d’une
culture de l’éducation des adultes où plusieurs adultes sous qualifiés, de peur de ne pas réussir, se
sont eux-mêmes exclus. Ce problème risque de s’aggraver dans les régions à faible taux de
chômage.
Quant à la formation des cadres et des professionnels, les stratégies de formation, jusqu’à
maintenant passablement normalisées, commencent à être complétées par de nouvelles approches :
la formation aux méthodes de travail en équipe des chercheurs devant évoluer dans des contextes
de plus en plus multidisciplinaires, l’introduction d’un mentorat assisté pour faciliter une formation
« intergénérationnelle » des cadres.
La fonction d’employés formateurs, de « coachs » ou de mentors est reconnue dans
presque la moitié des entreprises analysées. Cette formation des employés formateurs exige une
redéfinition des demandes éducatives où s’articulent de plus en plus les savoirs techniques et
généraux, mais aussi la capacité de les développer continuellement et, surtout, de les transférer
auprès des nouveaux employés et au sein des équipes de travail.
Les différents acteurs.
Comment l’entreprise tend à insérer la fonction formation dans son organisation? La
description du rôle des différents acteurs internes et externes nous éclaire déjà sur cette place de la
formation dans l’entreprise. En effet, 13 des 15 entreprises ont créé, la plupart très récemment, un
poste dédié au développement et la gestion de la formation. À moins qu’il s’agisse de formations
liées aux Bonnes pratiques de fabrication et aux normes de qualité exigées dans les secteurs de la
transformation alimentaire et du biopharmaceutique, on tendra à situer cette fonction à l’intérieur
du service des ressources humaines.
La création d’un tel poste indique à la fois une évolution de la demande de formation et une
différenciation de la fonction de la formation dans les entreprises. L’arrivée d’un responsable de la
formation a permis également un élargissement de la formation à de nouveaux secteurs ou groupes
de personnel, une organisation plus poussée et plus ramifiée des mécanismes formels et informels
d’expression des besoins, ainsi qu’un approfondissement de l’évaluation au-delà d’un simple
sondage de la satisfaction des participants. L’entreprise se trouve ainsi en meilleure position pour
négocier à l’externe avec les fournisseurs et les consultants, ainsi que pour mieux arrimer le
service de formation aux autres services et faciliter les consultations avec les représentants du
personnel et les gérants de la production.
Le rôle exercé par le service de formation à l’endroit des cadres et des professionnels et
scientifiques, sauf pour les formations nouvelles portant sur les compétences transversales, tend
souvent à être réduit à l’administration des dépenses et au suivi immédiat des activités.
La participation des employés aux décisions portant sur les formations exigées d’eux est
encore marginale. Toutefois, dans la majorité des cas où les relations de travail sont gérées par une
convention collective, nous observons une recherche active de participation des représentants des
employés aux décisions portant sur la formation. D’ailleurs, les conventions collectives, en
Amérique de Nord, tendent à inclure de plus en plus de clauses portant sur la formation.
Les acteurs externes de la formation en entreprise sont connus: les fournisseurs, les firmes
de consultants,
les réseaux sectoriels ou associations professionnelles,
les
institutions
d’enseignement et, bien sûr, les organismes externes de réglementation de la qualité et de la santé
sécurité. Le rôle de ces acteurs, tels que les institutions d’enseignement, les bureaux de consultants
et les fournisseurs, demeure important. L’enjeu est de parvenir à intégrer ces apports extérieurs
dans les stratégies propres des organisations, d’où la pertinence d’une instance, à l’intérieur de
l’organisation, qui soit en mesure de les insérer dans des démarches internes de diagnostic de
besoins et de planification des activités.
La Loi favorisant le développement de la formation de la main-d’œuvre