BULLETIN D’INFORMATIONS DE L’A.B.F.
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LES ÉCOLES DE F O R M A T I ON P R O F E S S I O N N E L LE
EN A L L E M A G NE
Deux facteurs essentiels, déjà signalés, distinguent foncièrement
l’organi
sation de la formation professionnelle en Allemagne de celle que nous
connaissons en France.
1° L’organisation fédérale de l’Allemagne de l’ouest, en particulier dans
le domaine de l’enseignement et des affaires culturelles, exclut toute école
nationale de bibliothécaires et entraîne l’existence dans chacun des grands
Länder d’une école d’importance et de rayonnement inégaux. Il en existe
à Cologne, Francfort, Stuttgart, Munich, Hambourg, Hanovre
(en cours
d’organisation) et Berlin, sans compter les écoles confessionnelles catholique
à Bonn et protestante à Göttingen. Les diplômes sont d’ailleurs valables dans
l’ensemble de l’Allemagne de
l’Ouest.
(Wissenschaft-
2° La distinction
très nette entre bibliothèques d’étude
(Öffentliche
Bibliotheken)
et bibliothèques publiques
liche Bibliotheken)
explique l’existence de formations parallèles coexistant parfois, mais rare
: des écoles comme celle de Stuttgart
ment, dans un même établissement
ne comportent que la préparation au Diplôme de bibliothécaire
(Bibliothekar-
Diplom) des bibliothèques publiques, qui serait un peu notre C.A.F.B. option
Lecture publique si celui-ci demandait deux ou trois ans de préparation ;
d’autres, comme celle de Munich, assurent seulement la formation des divers
inter
personnels des bibliothèques d’étude
médiaire (Bibliothekar-Diplom), et bientôt, niveau «moyen» (la formation
poussée des Diplom-Bibliothekare
entraîne actuellement la création en Alle
magne d’un personnel d’assistants techniques, alors qu’en France la formation
professionnelle limitée des sous-bibliothécaires peut suggérer la création d’un
corps intermédiaire entre les bibliothécaires et les sous-bibliothécaires).
: niveau le plus élevé, niveau
Seule l’Ecole de Cologne assure la formation de toutes les catégories du
personnel scientifique et technique, les trois niveaux des bibliothèques d’étude
comme les bibliothécaires des bibliothèques publiques ; elle organise, de plus,
des cycles de perfectionnement pour les bibliothécaires en fonction. Toutes
ces écoles, d’esprit parfois assez différent — l’Ecole de Munich est nettement
plus traditionnaliste que celles de Cologne et surtout de Berlin — ont des
traits communs :
— Toutes sont placées sous l’autorité supérieure du Directeur des biblio
thèques du Land et sont administrées par un Directeur.
— Toutes se trouvent auprès d’une grande bibliothèque (Bibliothèque univer
sitaire de Cologne, Bibliothèque d ‘ E t at de Bavière, Gedenkbibliothek
de
Berlin) et, le plus souvent, dans ses locaux ; les élèves participent aux acti
vités de la bibliothèque tutrice ; ce qui n’exclut pas l’existence à l’école même
d’une petite bibliothèque dont les élèves assurent la gestion sous la direction
d’un ou deux professeurs.
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— Les professeurs sont choisis principalement parmi les conservateurs des
bibliothèques de la ville ; toutefois, à Cologne, 6 professeurs sont attachés
à l’Ecole à plein temps, à côté des 25 chargés de cours.
— Les élèves sont rétribués et perçoivent un traitement qui est de l’ordre
du tiers de celui des titulaires pour le niveau le plus élevé, de la moitié pour
le niveau intermédiaire.
— Les programmes comportent toujours, à peu près à temps égal : d’abord
un stage d’au moins un an, précédé le plus souvent par trois mois (« semestre
d’été» de mai à juillet) de cours d’initiation; ensuite un enseignement d’au
moins un an.
— L’effectif des diverses écoles est relativement élevé, compte tenu de leur
multiplicité : à Cologne, 29 élèves pour le niveau le plus élevé (dont 21 hommes),
56 pour le niveau intermédiaire (dont 17 hommes), 79 pour les bibliothèques
publiques (dont 5 hommes), soit à peu près pour une seule école — il est
vrai la plus importante — respectivement la moitié de l’effectif de l’Ecole
nationale supérieure de bibliothécaires, le tiers des candidats au concours
de sous-bibliothécaires et au C.A.F.B.
On notera la proportion élevée des hommes (quatre sur cinq au moins)
pour le niveau supérieur (à Munich, la première étudiante s’est inscrite à ce
niveau en 1961) et, en revanche, la proportion très élevée des étudiantes pour
le niveau intermédiaire (plus des deux tiers à Cologne, 95 % à Munich) et
pour les bibliothèques publiques (95 % à Cologne) ; les responsables des écoles
déplorent le caractère temporaire — bien plus sensible qu’en France — de
nombreuses vocations féminines de bibliothécaire.
Les cycles de formation sont très distincts selon les niveaux et l’orien
tation préalable (qui peut être révisée après les trois mois d’initiation) ; il
existe toutefois dans certaines écoles quelques enseignements communs aux
candidats aux Diplômes de bibliothécaire des bibliothèques d’étude et des
bibliothèques publiques.
La formation des cadres supérieurs des bibliothèques d’étude est assurée
à Cologne et à Munich. Les élèves, tous docteurs (actuellement, du moins),
ne passent pas de concours d’entrée et ne signent pas d’engagement.
Après leur année de stage, ils suivent deux «semestres»
(mai-juillet,
octobre-février) d’enseignement ;
les horaires comportent environ 440 h
(Cologne), plus 300 h (18 h par semaine) d’applications pratiques à la Biblio
thèque universitaire de Cologne, soit 740 h sur 28 semaines, donc plus de 25 h
de séances obligatoires par semaine ; les élèves rédigent, de plus, un mémoire.
On note dans le programme des enseignements proprement dits : 90 h
d’histoire et technique du livre, 40 h de bibliographe, 70 h de catalogage,
73 h d’organisation des bibliothèques, 42 h d’histoire des bibliothèques : soit
une répartition assez voisine — sauf sur ce dernier point — de celle que nous
connaissons.
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Les enseignements de la paléographie et de l’étude des manuscrits (60 h)
et d’introduction à la documentation (20 h) font l’objet d’une option.
Ces enseignements sont sanctionnés par un examen de sortie assurant
un classement, mais non forcément une affectation
immédiate.
La formation des cadres intermédiaires des bibliothèques d’étude est assurée
à Cologne, Munich, Francfort, Hambourg et Berlin. Les élèves titulaires de
(et souvent de titres plus élevés, ce qui entraîne parfois l’organisation
l’Abitur
d’une section particulière) ou diplômés des professions voisines
(librairie,
édition, documentation) passent, le plus souvent, un examen d’entrée. Cet
examen à Munich comporte : une dissertation sur un sujet général, une épreuve-
test (correction d’un texte comportant des erreurs, définition et regroupement
de mots sous une rubrique générale, classement alphabétique), une interro
gation orale sur un sujet d’actualité.
Les trois ans de formation (Cologne) comprennent : un « semestre » d’été
(mai-juillet) d’introduction générale ; un an de stage dans une bibliothèque
d’étude (plus trois mois dans une bibliothèque spécialisée ou administrative
et trois mois dans une bibliothèque publique) ; trois « semestres » et demi
d’enseignement.
Les programmes prévoient : des enseignements généraux (75 h consa
crées à la littérature allemande et étrangère ; 20 à 40 h à des exposés sur les
diverses disciplines scientifiques ; 75 à 140 h à l’étude des langues : anglais,
français, latin — surtout à Munich — et russe à Cologne) et des cours et
exercices plus strictement professionnels : 60 h consacrées au droit adminis
tratif et constitutionnel, à la comptabilité, à l’administration des bibliothè
ques ; 50 h à l’histoire et aux techniques du livre ; 36 h à l’édition et à la librai
rie ; 160 à 200 h à la bibliographie ; 100 h (Cologne) à 250 h (Munich) au cata-
logage ; 25 h à l’histoire des bibliothèques ; 60 h (Munich) à 150 h (Cologne)
à l’organisation des bibliothèques ; enfin, il faut ajouter 70 h de visites à ces
programmes — dont les différences s’expliquent surtout parce qu’ils tiennent
plus ou moins compte des applications pratiques. Nous sommes bien loin
des horaires d’enseignement de la préparation au concours de sous-biblio
thécaires et même de l’Ecole.
A Cologne, deux fois par semaine, les élèves participent à deux séries
au moins de séances de travail (études ou discussions du type « étude des
cas ») sur des sujets particuliers tels que : les bibliothèques publiques aux
Etats-Unis, la presse contemporaine, l’étude de l’œuvre de quelques grands
écrivains, les critères du choix des livres d’art, l’utilisation des cartes perfo
rées, les problèmes de classement dans les bibliothèques en libre accès.
L’examen de sortie et de classement, conférant le Diplôme de bibliothé
caire, comporte une dissertation générale, une composition sur l’acquisition
et le traitement des livres, une composition sur la bibliographie, une épreuve
de catalogage et deux épreuves de langue : anglais obligatoire et deuxième
langue (latin, français ou russe). Il ressemble donc plus à l’examen de sortie
de l’Ecole qu’au concours de sous-bibliothécaires.
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La formation des bibliothécaires des bibliothèques publiques est assurée
à Cologne, Stuttgart et Berlin ; elle comporte, après un examen d’entrée,
trois ans d’exercices professionnels sous le contrôle indirect ou direct des
Ecoles : trois mois d’initiation générale, un an de stage dans une bibliothèque
publique, deux mois de stage dans une bibliothèque d’étude (les élèves biblio
thécaires allemands se familiarisent
toujours avec des bibliothèques diffé
rentes de celles auxquelles ils se destinent) et enfin un an et deux mois d’en
seignement.
On note dans les programmes (Ecole de Cologne) l’importance des cours
généraux : 300 h consacrées à l’étude des grandes disciplines (dont 110 à
la littérature, 50 aux sciences) et 120 h à la « bibliographie des belles lettres »
: 25 h sont réservées au livre, à l’édition et à
(Bücherkunde Schöneliteratur)
la librairie, 56 h à la psycho-pédagogie (sociologie du livre, psychologie des
lecteurs, éducation des adultes), 50 h aux problèmes particuliers des biblio
thèques d’enfants. La place des enseignements strictement professionnels est
relativement faible (mais il faut tenir compte des trois mois d’initiation et
des stages) : 33 h de bibliographie générale, 30 h d’administration, 100 h d’or
ganisation des bibliothèques, 90 h de catalogage, plus des visites et des séances
de travail comme pour les cadres moyens des bibliothèques d’étude ; enfin
cette formation est complétée par la rédaction d’un mémoire et par un voyage
d’étude annuel en Allemagne ou à l’étranger. Elle est sanctionnée par le Diplôme
de bibliothécaire des bibliothèques publiques.
Quels enseignements peut-on tirer de cette étude un peu schématique de
la formation professionnelle en Allemagne, plus conforme à celle des autres
pays que la nôtre ? Il faut d’abord souligner l’importance — deux ans et le
plus souvent trois ans d’études — accordée en Allemagne à la formation des
cadres moyens des bibliothèques d’étude : il est évident que pour consacrer
le bibliothécaire à des tâches vraiment scientifiques, il faut assurer au per
sonnel technique la formation lui permettant d’assumer pleinement ses fonc
tions. D’autre part, il semble qu’il y ait lieu de réfléchir sur l’importance des
cours généraux, et plus spécialement des enseignements de la
littérature
nationale et étrangère suivis en Allemagne par les bibliothécaires appelés à
diriger les bibliothèques publiques de moyenne importance. Enfin l’étude de
la formation des bibliothécaires en Allemagne et dans d’autres pays étrangers
suggère de ne pas exclure a priori, parmi les solutions que rendraient possibles
— et aussi, qui rendraient possibles — les deux ans de formation profession
nelle souhaités par tous, celle d’une année de stage précédant et non suivant
l’enseignement de l’Ecole : stages successifs dans une bibliothèque munici
pale (conjointement avec un cycle d’une centaine de séances théoriques et
pratiques d’initiation, tel qu’il en existe déjà à Paris, Lyon, Clermont-Fer-
rand, Montpellier pour la préparation au C.A.F.B. et au concours de sous-
bibliothécaires) et dans
les sections d’une bibliothèque universitaire ; les
élèves suivraient ensuite, la deuxième année, du 15 septembre ou du 1er oc
tobre au 30 juin, les enseignements de l’Ecole. Cette solution enlèverait à
l’enseignement son caractère théorique, accéléré et un peu gratuit, et laisserait
à l’Ecole, déchargée d’un rôle d’initiation qu’il lui est difficile d’assumer, le
soin de couronner la formation professionnelle, d’assurer les spécialisations
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éventuelles et de présenter aux élèves, devenus plus aptes à les comprendre, les
méthodes nouvelles de la profession et aussi les divers aspects de leurs respon
sabilités de cadres et de futurs chefs d’établissement. Mais il s’agit là d’une
solution parmi bien d’autres, d’une hypothèse à ne pas exclure et, si l’on veut,
d’un sujet de réflexion.
Voilà les remarques personnelles que nous inspire la visite des Ecoles
de bibliothécaires de Cologne, Munich et Berlin.
P. R O U X – F O U I L L ET