LA POPULATION
DES PAYS ARABES D’ORIENT
Le Moyen-Orient a souvent ete ces dernieres annees, au
centre des preoccupations internationales, soit en raison du
conflit israelo-arabe, soit en raison de la crise petroliere. Mais
l’opinion est peu informee des realites demographiques et
sociales, tres varie’es, de la region. Cette ignorance est d’ailleurs
accentuee par le caractere encore precaire des statistiques
locales, que les jeunes genedrations s’emploient a ameliorer.
Si difficile que soit une description quantitative de ces
pays, que bouleversent le developpement petrolier et de fre-
quentes tensions politiques, il parait indispensable de prendre
date et de la tenter.
Population a dejd rendu compte des travaux de Youssef
COURBAGE et Philippe FARGUES a l’Universite
libanaise de
Beyrouth (*). Ils etendent ici leurs investigations a l’ensemble
des pays arabes d’Asie, presentant des resultats inedits.
Concentre dans les campagnes du Croissant Fertile et de l’Arabie
Heureuse, et dans les grandes agglomerations, en contact avec le desert
ou en bordure du littoral, le peuplement du Moyen-Orient a connu de
multiples facteurs de redistribution. Les derniers en date sont:
l’exploitation du petrole dans les pays riverains du Golfe Arabo-
Persique, qui attire maintenant en masse les migrants, aussi bien autour
des champs petroliers et au debouche des oleoducs, que dans les villes
qui ont indirectement profite de la prosperite petroliere:
les guerres de Palestine et l’exode, au cours du dernier quart
–
–
de siecle, de plus d’un million de Palestiniens.
Les sources.
Pour un premier groupe de pays, oi aucun recensement
n’a encore ete diffuse, ni meme realise, nous n’avons, a
proprement parler, aucune source. L’Arabie Seoudite, le Yemen du Nord
et le Sultanat d’Oman n’ont commence a se moderniser que dans
les
(*’ ? Mortalite et fecondite au Liban >. Population 1974, n? 3, p. 648. < La population du Liban >. Population 1974, n? 6, p. 1148.
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LA POPULATION
Carte 1. – Reperage des pays etudies (en grands caracteres).
annees soixante (1), et c’est seulement une dizaine d’annees plus tard,
aujourd’hui, qu’ils ont projete la realisation de recensements. L’etat civil
y est, pour l’instant, inexistant ou embryonnaire.
On peut ensuite grouper l’Irak et la Syrie, caracterises tous deux
par une economie centralisee et orientee principalement vers le marche
domestique (agriculture et industrie naissante), ou la necessite de la con-
naissance demographique a impose la realisation de plusieurs recen-
sements. L’imprecision de ces derniers tient a la grande dispersion
geographique des habitants dans ces deux pays, ainsi qu’a la faiblesse de
l’instruction chez les adultes. L’etat civil souffre egalement, malgre son
anciennete, de ces deux obstacles. Le Yemen du Sud s’apparenterait
plut6t h ce deuxieme groupe qu’au pr6ecdent, depuis son ind6pendance
en 1968.
En troisieme lieu, dans les petits emirats, gros producteurs de petrole,
Kowei’t, Bahrein et les Emirats Arabes Unis, des recensements, espaces
de cinq ans au plus, et un enregistrement d’etat civil exhaustif sont une
necessite imperieuse. La population de ces pays est, en effet, deja a
majorite etrangere, sauf a Bahrein. L’immigration des chercheurs d’em-
ploi etrangers, qui depasse largement l’accroissement naturel des autoch-
tones, y rend, en outre, impossible toute prospective pour une duree de
plus de cinq ans. L’amelioration rapide des statistiques y est facilitee
par les possibilites financieres qu’offre le petrole, ainsi que par la petite
(1) Le << reformisme >> du roi Faygal d’Arabie, a partir de 1965, la procla-
mation de la republique au Yemen du Nord en 1962, la destitution du Sultan
Ben Taymour a Oman en 1970.
DES PAYS ARABES D’ORIENT
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taille et la forte concentration geographique de la population. Koweit
et Bahrein ont mene plusieurs recensements rapproches, et, dans le
premier de ces pays, l’etat civil est deja complet. A Qatar et dans les
Emirats Arabes Unis, il n’y a eu jusqu’a present qu’un recensement,
a vrai dire un simple comptage. Mais, a coup sir, 1’etat civil et le recen-
sement vont y connaitre des progres decisifs, comme a Koweit.
La Jordanie et le Liban font exception: en Jordanie, la rive Est du
Jourdain, aux ressources economiques pourtant tres limitees, a vu sa
TABLEAU I. – SOURCES DES DONNEES SUR LA POPULATION
Pays
Recensements (depuis 1945)
Enquetes
1962-63 (comptage incomplet, 1972-73 enquete par sondage non pu-
non publi) ; 1974 (a paraitre) bliee.
Arabie
seoudite
Bahrein
Emirats Ara-
bes Unis
Irak
Koweit
Liban
Oman
Qatar
Jordanie
1952 – 1961
1950- 1959- 1965 – 1971
1968 – 1972 (Abu Dhabi)
1947 (comptage)- 1957-
1965-1970 (comptage incom- Enquete E.R.A.D. (en cours)
plet)
1957 – 1961 – 1965 – 1970 1972 et 1973: enquetes au 1/20? (mise a
1975 (a realiser)
jour du recensement) – 1973, enquete
population active.
Enquete population active (continue de-
puis 1963) – Enquete a buts multiples
aupres des menages, 1971 (premiers re-
sultats) Enquete sur la f6condite, 1971
(non publiee).
1964: enquete sur la population au Liban
1970: enquete sur la population active
.1971 enqu6te sur les migrations internes
(a publier) – 1971: la famille au Liban –
1975 : mortalite infantile a Beyrouth
(a realiser)
1975 (villes, a realiser)
1970
~Syrie
1947 (comptage) – 1960 –
1970 –
Yemen du Nord
m d Nd
1972 (Sanaa)– 1975
(villes)
Yemen du Sud
–
(Aden)-1 3 (
1955
1955 (Aden) – 1973 (sonda-
ge au 1/15? publi)
1973 : mortalite infantile a Damas (a pa-
raitre) ; la famille en Syrie (a paraitre)
niveau d’education, emploi et migra-
tion (a paraitre).
1974 : enquete pilote aupres des noma-
des (non publiee)
enquete annuelle sur
l’emploi (projet)
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LA POPULATION
population plus que doubler sous le seul effet des migrations en prove-
nance de Palestine depuis 1948. Bien que deux recensements aient eu lieu,
en 1952 et en 1961, il ne semble pas que l’Etat Jordanien en prevoie
actuellement un autre. Depuis cette date, les quelques enquetes partielles
menees ne suffisent absolument pas a estimer les tendances demogra-
phiques du pays, a cause surtout de la migration de plusieurs centaines de
milliers de Cisjordaniens, vers la rive Est du Jourdain apres juin 1967. II
faut, sans doute, lier les lacunes statistiques du pays a son caractere
binational, et aux problemes poses par la definition de la nationalite
palestinienne (deux-tiers environ des Jordaniens sont Palestiniens d’ori-
gine). L’etat civil, pour sa part, conserve un taux de couverture tres inegal.
Au Liban, on explique couramment l’inexistence d’un recensement
recent par le fait qu’une telle operation pouvait servir a remettre en
question le delicat equilibre politique qui s’etait impose entre les differentes
communautes confessionnelles. En effet on pense souvent que les Musul-
mans se sont accrus plus rapidement que les Chretiens dont la natalite
est plus faible et l’emigration plus forte, depuis le recensement de 1932,
qui a servi a distribuer le pouvoir politique entre les diverses commu-
nautes: les chretiens representaient alors une tres legere majorite. A
cette explication, il faut ajouter que si la realisation d’un recensement
requiert notamment une motivation economique suffisante, I’economie
du Liban, dont le secteur dominant consiste en services orientes plus
vers l’etranger que vers le marche domestique, ne justifie peut-etre pas le
coft eleve d’une operation destinee a connaitre la population residente.
Enfin, dans aucun pays de la region, on ne dispose de series statis-
tiques assez longues pour mesurer l’evolution des phenomenes demo-
graphiques.
Population residente et migrations.
Avec un peu plus de 40 millions
d’habitants, repartis sur plus de
3,5 millions de km2, l’Orient arabe est une zone de peuplement tres
disparate. Domine par un desert clairseme d’oasis et de campements
nomades, ou totalement vide d’habitants (le Rub’El-Khali: < le Quart
Vide >), il comporte aussi des regions de population dense: 412 hab./km2
sur le littoral et le versant Ouest du Liban, 430 dans l’archipel de
Bahrein, pres de 200 sur le littoral syrien, et une densite elevee aussi
dans les vallees fluviales d’Irak (carte 2).
On peut distinguer deux zones d’implantation de la population.
La premiere, traditionnelle, s’etend autour des plaines cotieres
(littoral mediterraneen, Tihama en Mer Rouge, bordure de l’Ocean
Indien) et fluviales (Tigre et Euphrate, Oronte et Jourdain, au Nord,
Hadramaout au Sud), ainsi que dans les montagnes (Mont-Liban et Syrie
DES PAYS ARABES D’ORIENT
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du Nord, Irak du Nord-Est, Yemen, Assir et Dhofar). Dans ces zones,
ou a la limite du desert, de grandes agglomerations assuraient autrefois
le lien entre les populations bedouines et sedentaires, mais surtout entre
l’Orient et l’Occident: Bagdad, Damas, Alep et Jerusalem, puis les ports
de Beyrouth et d’Aden, apres le declin du commerce caravanier. Elles
attirent aujourd’hui les migrants des campagnes.
Le second type d’implantation est apparu, au cours des dernieres
decennies, autour des champs petroliers. I1 n’y a plus, dans ces regions,
de transition rurale entre le desert et l’agglomeration urbaine. Celle-ci
ne remplit plus, en effet, aucune fonction economique, par rapport a
son milieu humain environnant, si l’on excepte l’occupation agricole
tres recente et marginale de quelques terres conquises sur le desert.
C’est dans cette seconde region des pays riverains du golfe arabo-persique
que l’on observe aujourd’hui les plus forts taux d’accroissement du
monde, a peine inferieurs a 10 % par an en moyenne. L’Irak, bien que
riche producteur de petrole, puise dans sa population nombreuse la
main-d’ceuvre necessaire aux activites creees par l’exploitation du
petrole, ce qui l’apparente au premier groupe de pays.
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Iii Moins de 5 hab/Km2
5 a 100 hab/Km2
Plus de 100 hab/Km2
Carte 2. – Les zones de peuplement dans les pays arabes du Moyen-Orient.