LA FORMATION DES ENSEIGNANTS PROFESSIONNELS
Samir HOYEK
RéSUMé
LA PROBLéMATIQUE DE LA FORMATION AU MéTIER D’ENSEIGNANT
1. Enseigner, un métier complexe qui s’apprend.
« Faire cours et faire apprendre, conduire une classe et individualiser son enseignement, exiger des
efforts et donner confiance, susciter l’intérêt, évaluer les aptitudes et percevoir les talents, … (tout
cela ne peut pas être) laissé aux aléas de la vocation pédagogique ou du hasard professionnel » (MEN,
BO 4/1/07). L’environnement dans lequel intervient l’enseignant est dynamique : tout change,
les élèves et les outils, les besoins et les programmes, les valeurs et les attentes sociales. Tous les
enseignants savent qu’aucun groupe classe ne ressemble à aucun autre et que toute promotion est
unique. Par conséquent, l’imitation des chevronnés et les bons conseils ne peuvent pas garantir la
professionnalisation de l’enseignant. Il faudra doter les candidats à l’enseignement d’une capacité
d’autorégulation en développant chez eux « une sensibilité situationnelle, une autonomie importante
ainsi qu’un sens aigu de leur responsabilité » (Beckers, 2007). C’est les aider à construire une identité
professionnelle.
2. La construction de l’identité professionnelle et le développement des compétences
professionnelles
L’identité professionnelle se construit dans la durée et ne se limite pas à la période de la formation
initiale car « ce n’est que par une maîtrise progressive des compétences attachées à l’exercice de son
métier dans sa classe, son école (…), dans le système éducatif ainsi que dans l’environnement territorial,
social et économique que l’enseignant va se forger peu à peu, avec le temps et au contact des réalités
pédagogiques, une identité professionnelle affirmée » (MEN, Circ. 17 juillet 2001).
Nous avons bien dit que les conditions réelles dans lesquelles le professionnel est appelé à
intervenir sont changeantes et ne correspondent pas aux conditions auxquelles il avait été préparé
ou qu’il avait lui-même prévues. C’est pourquoi il s’avère nécessaire d’axer la formation sur une plus
grande autonomie professionnelle, impliquant la capacité de faire face à la complexité et de résoudre
les problèmes mal définis » (Legendre, 1998). Cette capacité à inventer des solutions originales
adaptées aux situations toujours différentes s’appelle compétence.
La compétence suppose la mobilisation des savoirs et leur transfert dans les situations
professionnelles. Or, ni la mobilisation ni le transfert ne se développent automatiquement : ils doivent
être pris en charge par la formation initiale. Si la formation à l’université est généralement dominée
par des logiques disciplinaires liées aux spécialisations des professeurs, Perrenoud rappelle qu’ « il faut
trouver des méthodes qui portent sur l’intégration des savoirs, leur mise en synergie et leur mise en
pratique ».
Pour développer des compétences professionnelles, l’entraînement au transfert devra se faire
à travers non pas une alternance mais une articulation constante de la théorie et de la pratique
(Perrenoud, 2000). Il faudra, d’une part, ancrer l’enseignement autour de situations professionnelles
complexes et variées : complexes pour interdire à l’étudiant les réactions mécaniques et lui imposer
le détour par l’analyse ; variées pour lui permettre, au fil du temps, de dégager des connaissances
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Samir HOYEK
fondamentales et des principes généraux applicables à de nombreuses situations. De l’autre, il faudra
rappeler constamment, à travers des exemples concrets, la finalité et les conditions d’application du
savoir théorique assuré.
3. La formation professionnalisante
a. Au plan de la formation initiale
Le critère d’une formation professionnelle réussie est de voir le professionnel exploiter librement, sans
le soutien des formateurs, les compétences qu’il aurait développées en formation. Pour favoriser cet
engagement personnel, la formation devra assurer à l’étudiant les facteurs de motivation qui sont le
sentiment de contrôlabilité, d’autodétermination et de compétence (Viau, 1994 ; Bendura, 1997) et
devra lui fournir l’accompagnement nécessaire pour l’aider à réussir ses premiers pas. Sur un autre
plan, la formation initiale ne peut pas faire l’économie des activités suscitant des prises de conscience
et des prises de position relatives aux valeurs, aux attitudes, aux engagements et à l’image de soi réelle
et idéale de l’étudiant. Celui-ci a besoin de se découvrir tel que vu par les autres, notamment les
élèves, d’être au clair avec ses motivations profondes, ses propres besoins et désirs, de s’entraîner à la
réflexivité. En vue de le préparer au travail en équipe, il devra « travailler sur son propre rapport à la
coopération, sa propre vision de la professionnalité enseignante, son propre rapport au pouvoir, aux
autres, au contrôle, à la compétition et à la solidarité »(Gather Thurler et Perrenoud, 2005). Pour oser
entreprendre cet apprentissage difficile, les sujets humains, dit Mireille Cifali (2000), ont besoin de
reconnaissance, d’assurance et de sécurité, d’où l’indispensable qualité des relations intersubjectives
dans les lieux de formation ; d’où le souci constant des personnes et de la réalisation de leurs propres
projets.
Par ailleurs, l’universitarisation de la formation peut en garantir le caractère professionnel parce
que, fondant la pratique sur le savoir théorique et sur la recherche, elle empêche la formation d’être
uniquement descriptive, injonctive et répétitive.
b. Au plan de la formation continue
Un rapport international de l’UNESCO (Yogev, 1997) a révélé que les pays industrialisés se
distinguent des pays en développement par la durée plus longue de la formation continue (qui se
compte en semaines et non en jours par an) et par le fait que les programmes de formation sont
décidés en collaboration avec les enseignants et leurs associations (et non pas imposés par les autorités
compétentes).
Compte tenu de ce qui précède, l’idéal serait d’instaurer un processus ininterrompu de
formation dans lequel la formation initiale serait suivie d’une formation tout au long de la vie, avec
une période transitoire d’entrée dans le métier où l’on accompagnerait le débutant pour lui garantir le
succès dont il a besoin et développer son sentiment de contrôlabilité et de compétence.
4. Les deux problèmes majeurs : la formation des formateurs et l’évaluation de la formation
Le recours aux universitaires pour former les futurs enseignants et les enseignants s’avère aussi peu
efficace que le recours aux experts du terrain. Les premiers ne sont pas formés à former et leur maîtrise
disciplinaire ne peut compenser leur manque de formation à former. Les seconds risquent de réduire
la formation à l’apprentissage des « bonnes pratiques » et à l’imitation. D’où la nécessité d’inventer
une solution.
Par ailleurs, il est indispensable de repenser l’évaluation qui ne doit pas servir uniquement à tester les
étudiants, ni même à accréditer les instituts de formation : elle doit évaluer le processus de formation
tout autant que son produit, ce qui lui permet de l’améliorer.
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LA FORMATION DES ENSEIGNANTS PROFESSIONNELS
5. Les spécificités de l’enseignement au Liban
L’enseignement au Liban est marqué par un certain nombre de spécificités. Nous en présentons celles
que, selon nous, la formation devra prendre en considération.
1. Les disciplines scientifiques étant le plus souvent enseignées en langue seconde (le français
ou l’anglais), la formation devra prévoir les dispositifs permettant aux futurs enseignants de
maîtriser suffisamment leur langue d’enseignement. Ceci signifie également que ceux qui
se destinent à enseigner la langue arabe devront savoir comment faire apprendre aux élèves
une langue peu valorisée par un bon nombre d’entre eux parce qu’elle n’est ni la langue des
sciences ni celle de la technologie.
2. Si les enseignants sont chargés de l’éducation des futurs citoyens, la formation initiale des
futurs enseignants devra prendre très au sérieux leur préparation à remplir convenablement
cette mission dans un pays multiconfessionnel qui a connu de longues guerres fratricides où
la séparation démographique a exacerbé l’intolérance et le fanatisme.
3. Comment aider les élèves à avoir un rapport positif à l’écrit dans un pays à tradition orale
où l’écriture n’est jamais qu’un exercice scolaire, où la lecture est le plus souvent considérée
comme une obligation scolaire ? Il y a là un autre défi qui ne peut pas être laissé à la seule
responsabilité et à la seule initiative des nouveaux enseignants.
4. Des coordinateurs de disciplines animent les équipes d’enseignants dans un très grand nombre
d’établissements scolaires publics et privés. Leur existence devra être prise en considération
dans toute réflexion autour de l’accompagnement des enseignants au moment de leur entrée
dans le métier et autour de l’organisation de la formation continue.
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Samir HOYEK
I – LA PROBLéMATIQUE DE LA FORMATION AU MéTIER D’ENSEIGNANT
1. Enseigner, un métier complexe qui s’apprend
Enseigner est un métier qui s’apprend mais qui ne peut pas s’apprendre sur le tas. C’est ce
qu’affirme le Cahier des charges de la formation des maîtres en Institut universitaire de formation
des maîtres en France. « Faire cours et faire apprendre, conduire une classe et individualiser son
enseignement, exiger des efforts et donner confiance, susciter l’intérêt, évaluer les aptitudes
et percevoir les talents, aider à l’orientation. Tout cela nécessite une formation initiale et
continue approfondie : rien ne doit être laissé aux aléas de la vocation pédagogique ou du
hasard professionnel » (MENa, 2007, p.3).
L’analyse des tâches confiées à l’enseignement montre clairement qu’elles ne se réduisent
pas à des tâches de simple exécution mais qu’elles appellent un haut degré d’élaboration.
D’un côté, l’environnement dans lequel intervient l’enseignant est dynamique : tout change,
les élèves et les outils, les valeurs et les attentes sociales. D’un autre côté, le travail enseignant
s’inscrit dans des objectifs à long terme et peu opérationnalisés car « les modifications de
connaissances, de compétences et d’attitudes chez les élèves ne sont pas perceptibles comme
une conséquence immédiate de l’action d’un enseignant ; leur détermination est complexe
impliquant des processus cumulatifs et des processus de restructuration » (Vidal J-P,
2006, p.31). De plus, dans les salles de classe où grouille l’humain et s’entrechoquent les
intentionnalités de plus de trente âmes, rien ne se passe jamais comme prévu et planifié : des
incidents surviennent constamment qui déconcertent l’enseignant et dévoient les objectifs
poursuivis. « Dans les métiers de l’humain, on fait des paris, on travaille avec l’aléa et le hasard,
avec une incompréhension chronique » (Cifali, 1996). Enfin, « l’enseignement-apprentissage
est un processus complexe, multidimensionnel, situé, contingent, imprévisible » (Altet, 2004,
p.107).
Dans ce contexte, ni l’immersion sur le terrain ni l’imitation des « chevronnés » ne
pourra garantir la professionnalisation de l’enseignant car la pratique enseignante ne peut
pas relever du mode du traitement appris. Les « bons conseils », les procédures apprises et
échangées entre collègues et les modalités protocolaires s’avèrent souvent inefficaces parce
qu’ils ne tiennent pas compte de l’ambiance de la classe ni des relations intersubjectives
effectives.
Les spécificités du travail enseignant imposent de doter les candidats à l’enseignement
d’une capacité d’autorégulation en développant chez eux « une sensibilité situationnelle,
une autonomie importante ainsi qu’un sens aigu de leur responsabilité quant aux moyens
exploités et aux effets produits » (Beckers, 2007, p.31). Voici, en quelques mots, les grands
titres du programme de la formation des maîtres dont il faudra garantir l’efficacité compte
tenu que, durant sa carrière, chaque enseignant sera responsable de la formation de milliers
de futurs citoyens et du rapport qu’ils construiront au savoir, aux valeurs, au progrès, à leurs
concitoyens et au monde.
La formation devra professionnaliser l’enseignant, c’est-à-dire lui permettre de construire
une identité professionnelle et de développer des compétences professionnelles. Toute la
question est alors de savoir comment se réalisent cette construction et ce développement en
tenant compte du contexte dans lequel ils devront baigner.
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LA FORMATION DES ENSEIGNANTS PROFESSIONNELS
2. Les spécificités de l’enseignement au Liban
Comme dans tous les pays du monde, l’enseignement au Liban est marqué par un certain
nombre de spécificités. Nous en présentons les plus marquantes, celles que la formation devra
prendre en considération.
1. C’est un enseignement généralement bilingue, c’est-à-dire où l’on utilise deux
langues d’enseignement : les disciplines scientifiques sont le plus souvent enseignées
en langue seconde (le français ou l’anglais). Ceci signifie que la formation devra
prévoir les dispositifs qui permettront aux futurs enseignants de maîtriser leur langue
d’enseignement, notamment à l’oral. Ceci signifie également que ceux qui se destinent
à enseigner la langue arabe, dite maternelle, devront savoir faire apprendre aux élèves
une langue peu valorisée par un bon nombre d’entre eux parce qu’elle n’est pas la
langue des sciences et de la technologie.
2. Si les enseignants sont chargés de l’éducation des futurs citoyens, la formation
initiale des futurs enseignants devra prendre très au sérieux leur préparation à remplir
convenablement cette mission dans un pays multiconfessionnel qui a connu de longues
guerres fratricides où la séparation démographique a exacerbé les fanatismes et où la
différence suscite une autre attitude que l’ouverture à l’autre.
3. Comment aider les élèves à avoir un rapport positif à l’écrit dans un pays à tradition
orale où l’écriture n’est jamais qu’un exercice scolaire, où la lecture est le plus souvent
considérée comme une obligation scolaire ? Il y a là un autre défi qui ne peut pas être
laissé à la seule responsabilité et à la seule initiative des nouveaux enseignants.
4. Des coordinateurs de disciplines animent les équipes d’enseignants dans un très grand
nombre d’établissements scolaires publics et privés. Leur existence devra être prise
en considération dans toute réflexion autour de l’accompagnement des enseignants
au moment de leur entrée dans le métier et autour de l’organisation de la formation
continue.
3. La construction de l’identité professionnelle
L’identité professionnelle est la représentation que l’enseignant a de lui-même en tant
qu’enseignant. Elle constitue l’intersection de la représentation qu’il a de lui comme personne
et celle qu’il a de son rapport aux enseignants et au métier d’enseignant.
–
« La représentation qu’il a de lui comme personne porte sur les connaissances, les
croyances, les attitudes, les valeurs, les conduites, les habilités, les buts, les projets
et les aspirations qu’il reconnaît siens.
– La représentation qu’il a de son rapport aux enseignants et à la profession
enseignante porte sur son rapport à son travail, en tant que professionnel de
l’éducation/apprentissage, à ses responsabilités, aux apprenants et aux collègues
ainsi qu’au corps enseignant et autres acteurs impliqués dans l’école comme
institution sociale » (Gohier et al., 2001, p.98).
De cette définition de l’identité professionnelle se dégagent deux conclusions. D’abord,
comme toute identité, et compte tenu de ses multiples composantes, l’identité professionnelle
est un processus dynamique et interactif qui se déploie dans la durée et dont la construction
ne peut se limiter à la durée de la formation initiale. Car, « ce n’est que par une maîtrise
progressive des compétences attachées à l’exercice de son métier dans sa classe, son école ou
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son établissement, dans le système éducatif ainsi que dans l’environnement territorial, social
et économique que l’enseignant va se forger peu à peu, avec le temps et au contact des réalités
pédagogiques, une identité professionnelle affirmée » (MENb, 2001). Ensuite, la construction
de chacune des deux catégories de représentation suppose, au-delà de l’apprentissage d’un
savoir, l’acquisition d’une expérience sociale et professionnelle.
En effet, cette construction identitaire est favorisée par des conditions relationnelles
impliquant pour la personne congruence (sentiment d’être soi) et contiguïté avec l’autre
(sentiment de proximité qui n’exclut pas la confrontation – Winnicott, 1975). C’est d’ailleurs
par une dialectique entre les deux processus, inextricablement liés, d’identisation (mécanisme
de singularisation et de distinction d’autrui) et d’identification à autrui que la construction
identitaire participe de l’autre et de moi (Tap, 1979).
La formation devrait donc favoriser non seulement le processus d’identification par
la proposition de modèles à imiter mais aussi le processus d’identisation par l’appel au
questionnement et au retour sur soi. Elle ne pourra y parvenir qu’à travers la réalisation de
ces trois étapes :
– Léveil ou la prise de conscience par l’étudiant ou le débutant1 et son ouverture à une
réalité nouvelle de la profession ;
– L’exploration ou l’intention ou encore la démarche par laquelle l’étudiant ou le
débutant approfondit, questionne et compare les différentes voies qui s’offrent à lui ;
– L’engagement ou l’intention ou encore la démarche par laquelle l’étudiant ou le
débutant adopte les savoirs de la profession en vue d’atteindre un but valorisé par le
milieu de formation (identification), ou choisit entre plusieurs voies en vue d’atteindre
un but jugé cohérent avec ses propres aspirations personnelles ou professionnelles
(identisation). Il s’agit donc, avant tout, d’un engagement attitudinal (commitment)
qui se traduira éventuellement dans la pratique par un engagement comportemental
(involvement) (Gohier et al. , 2001).
On voit donc clairement que, si elle vise la construction d’une identité professionnelle, la
formation ne pourra pas se contenter d’assurer l’apprentissage d’un savoir quelque étendu
qu’il soit et que l’universitarisation de la formation ne doit pas la réduire à un ensemble de
cours théoriques. La formation devra susciter chez le formé des prises de position, l’adoption
d’attitudes et l’engagement dans une action en cohérence avec ses options. Cependant, toutes
les options et toutes les prises de position n’étant pas équivalentes en regard avec l’efficacité
attendue en classe, l’étudiant ou le débutant devra, pour faire les bons choix, s’interroger
– sur son système de valeurs en comparaison avec celui de la société et de l’institution
scolaire ;
– sur les motivations profondes qui le poussent à vouloir aider ses semblables à
s’instruire, en comparaison avec l’éthique du métier ;
– sur son propre rapport au savoir et aux autres, notamment aux enfants et aux
adolescents, en comparaison avec le rapport qu’il est supposé favoriser chez les élèves.
Les cours de psychologie et de psychosociologie sont indispensables mais insuffisants. Ils
doivent être complétés par des moments durant lesquels le futur maître sera aidé (accompagné)
pour réaliser ces retours si bénéfiques, et parfois si douloureux !, sur soi et sur les autres.
4. Le développement des compétences professionnelles
1. Nous emploierons « étudiant » pour désigner le futur enseignant en formation initiale, et « débutant », l’enseignant en
début de carrière.
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LA FORMATION DES ENSEIGNANTS PROFESSIONNELS
L’ergonomie affirme qu’un écart existe entre le travail prescrit et le travail réel et que cet
écart est inévitable. Jamais les conditions réelles dans lesquelles le professionnel est appelé à
intervenir de façon efficace ne correspondent aux conditions auxquelles il avait été préparé ou
qu’il avait lui-même prévues. Tous les efforts de multiplier les savoirs procéduraux n’aboliront
jamais cet écart. Aussi, tout acte professionnel un peu complexe constitue-t-il une « invention
originale ». Aussi, la formation ne peut-elle se réduire à l’apprentissage des connaissances et
des formules toutes faites. « Elle doit favoriser le développement de la capacité à élaborer des
stratégies adaptées à la situation et au contexte. C’est pourquoi il s’avère nécessaire d’axer la
formation sur une plus grande autonomie professionnelle, impliquant la capacité de faire
face à la complexité et de résoudre des problèmes mal définis » (Legendre, 1998, p.382). Il
est donc indispensable de développer chez le futur professionnel des compétences, c’est-à-
dire des savoir-agir, et la capacité d’inventer des solutions originales adaptées aux situations
toujours différentes auxquelles il est appelé à faire face.
La formation se trouve ainsi appelée à mieux comprendre la compétence, le processus
de son développement et celui de son déploiement, à analyser le processus de transfert et
celui de mobilisation des savoirs dans le cadre de la situation de résolution de problèmes. Il
lui revient de découvrir et d’utiliser les conditions susceptibles de favoriser chez les formés le
transfert et la mobilisation de leurs savoirs dans les situations professionnelles.
Si la compétence est ce qui garantit et/ou prouve l’autonomie du professionnel dans
l’exercice efficace de son métier, on ne peut imaginer que cette compétence puisse être le
fruit d’un dressage ou d’un entraînement mécanique. On ne peut non plus imaginer qu’elle
puisse être acquise par un apprentissage strictement théorique. En effet, « c’est au niveau des
pratiques en situation que le stagiaire débutant construit progressivement ses compétences.
(…) Le formateur fait acquérir des ressources diverses, cognitives, sociales, culturelles, mais
c’est le stagiaire qui les mobilise en situation et qui développe ainsi des compétences » (Altet,
2004, p.105). Faut-il ajouter que le stagiaire ne mobilisera ces ressources que s’il en a l’envie,
le souhait ou la volonté ?
Traitant le sujet du transfert et de la mobilisation des acquis, Philippe Perrenoud (2000)
soutient trois thèses :
1. Le transfert et la mobilisation des acquis sont au cœur du développement des
compétences. Le travail cognitif du professionnel autonome consiste d’abord à
mobiliser ses ressources intérieures : connaissances procédurales, savoirs d’expérience,
savoirs théoriques, savoirs méthodologiques, savoirs tactiques et organisationnels, etc.
2. La mobilisation et le transfert ne se développent pas automatiquement ; ils doivent
être pris en charge par la formation initiale. Les programmes de formation étant
généralement dominés par des logiques disciplinaires liées aux spécialisations des
formateurs, pour aider les étudiants à développer des compétences, « il faut trouver
des méthodes qui portent sur l’intégration des savoirs, leur mise en synergie et leur
mise en pratique » (Id., 2000, p.16).
3. La mobilisation ne s’enseigne pas, mais elle peut être développée par le biais d’un
entraînement réflexif et d’une relation constante entre théorie et pratique. Dans ce
but, Perrenoud propose ces quelques dispositions pratiques :
– sensibiliser les étudiants à la notion et à la difficulté du transfert,
–
les aider à construire une représentation de l’expertise comme travail de l’esprit (en
faisant parler de véritables praticiens sur comment ils font, non pas en pratique,
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Samir HOYEK
–
mais « dans la tête ») ;
leur donner l’occasion de s’interroger sur leur propre fonctionnement cognitif dans
les situations professionnelles ;
– thématiser la question de l’hétérogénéité des ressources à mobiliser, de leur incertaine
complémentarité (puisqu’il est rare qu’une situation complexe soit entièrement
« couverte » par les savoirs existants) ;
– organiser des entraînements à la mobilisation des acquis : l’entraînement façonne
les schèmes mentaux qui mobilisent les ressources existantes. Mais cet entraînement
suppose un terrain d’action où l’étudiant a un statut d’acteur qui fait face à de vrais
enjeux. La formation par l’analyse du travail doit se faire au travail (les stages) et en
marge du travail (séminaire d’analyse des pratiques, méthode de cas, jeux de rôles,
etc.)
Pour être efficace et développer des compétences professionnelles, cet entraînement au transfert
devra se faire partout car « aussi longtemps qu’on verra le stage comme un « bain de pratique »
ou la théorie comme une doxa ou une abstraction sans prise sur le réel, aussi longtemps qu’on
imaginera qu’il existe une « formation pratique » et « une formation théorique » qui vivent
leurs vies propres, on n’aura aucune raison suffisante d’affronter la complexité bien réelle des
dispositifs d’alternance et d’articulation théorie-pratique (Id, 2000, p.20) ».
Un groupe de spécialistes belges en pédagogie médicale (Vanpee et al., 2008) prolonge
cette réflexion de Perrenoud et ajoute d’autres conditions au développement de la capacité de
transfert. Ces conditions se résument par la notion de l’enseignement contextualisé authentique
qu’ils empruntent à un autre groupe belge (Fernay et al., 1998) : « Il s’agit de situations
contextualisées dans lesquelles les données à traiter sont complexes et variées et pour lesquelles
un tiers (enseignant ou pair) joue un rôle de médiateur permettant ainsi à l’apprenant de
construire des connaissances dont il sait les fonctions et les conditions d’applicabilité »(Vanpee
et al., 2008, p.36). Les chercheurs en pédagogie médicale ont traduit cette notion en cinq
conditions garantissant le développement de la capacité de transfert chez les étudiants :
1. L’étudiant ne peut s’approprier des connaissances décontextualisées dont il ne voit ni
la finalité ni le contexte ni les conditions (ou limites) de l’utilisation ;
2. Ancrer l’enseignement autour de situations professionnelles complexes et variées
–
–
complexes pour interdire à l’étudiant les associations et réactions mécaniques et
lui imposer le détour par l’analyse, l’hésitation ;
variées pour lui permettre, au fil du temps, de dégager des connaissances
fondamentales et des principes généraux applicables à de nombreuses situations.
3. Favoriser les interactions avec l’enseignant et les pairs, notamment par le travail
collaboratif, qui favorisent la remise en question et le conflit cognitif interne nécessaire
à l’intégration des nouvelles connaissances en mémoire à long terme.
4. Rappeler constamment aux étudiants, à travers des exemples concrets, la finalité
(le pourquoi ?) et les conditions d’application et d’exploitation (le comment ?) des
connaissances qu’on leur assure.
5. Se soucier constamment des conditions affectives et motivationnelles dans lesquelles
se déroule l’apprentissage. Avoir recours à des supports variés et intéressants et à des
démarches interactives et participatives.
Voir les étudiants puiser dans leur acquis et utiliser à bon escient, de façon autonome, ce
qu’ils ont appris est le critère d’une formation réussie. Ce qui suppose que celle-ci a su leur
proposer « des activités d’apprentissage leur permettant de jouer un rôle actif, de mettre
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