LA CARTOGRAPHIE DE L’ATTIQUE
PAR FAUVEL
par Alessia Zambon
Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines,
47 boulevard Vauban,78047 Guyancourt
alessia.zambon@uvsq.fr
Fauvel (1753-1838) was a multifaceted person. History painter educated at the Académie royale de peinture et sculpture, from 1780 on he
completed his training on the field during his travels in the ottoman Greece, becoming throughout his life collector, modeller, explorer, topographer
and archaeologist. Numerous documents among his papers kept at the Bibliothèque nationale de France keep a record of his cartographic work on
Attica over more than 50 years of activity. The study of some of his topographic and relief maps of the region enables us to figure out the method
that he applied and to retrace the context in which these documents were composed.
Fauvel (1753-1838) fut un personnage aux multiples facettes. Peintre d’histoire issu de l’Académie royale de peinture et sculpture, à partir de
1780 il complète sa formation sur le terrain lors de ses voyages dans la Grèce ottomane, devenant au fil de sa vie tour à tour collectionneur, modeleur,
explorateur, topographe et archéologue. De nombreux documents parmi ses papiers conservés à la Bibliothèque nationale de France témoignent de
plus de cinquante ans de travail cartographique relatif à l’Attique. L’étude de quelques cartes et plans-reliefs de la région permet de faire apparaître
la méthode de Fauvel et de retracer le contexte dans lequel furent créés ces documents.
Un membre de « l’École française
de Constantinople »
Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner ailleurs la
formation topographique de Fauvel. Il convient toutefois
de retracer ici quelques éléments de son parcours.
Fauvel entreprit ses premiers travaux topographiques
en 1786, pour répondre aux demandes de son mentor,
le comte de Choiseul-Gouffier. Nommé ambassadeur
à la Sublime Porte, à son départ pour Constantinople
le comte s’était en effet entouré d’une suite de savants
et d’artistes, d’ingénieurs et d’architectes, auxquels
vinrent s’ajouter sur place les officiers de marine et le
personnel lié à l’ambassade (drogmans, vice-consuls,
etc.) : ces hommes devaient contribuer à réunir le
matériel nécessaire à la préparation du deuxième
volume de son Voyage Pittoresque de la Grèce, mais aussi
à enrichir sa collection d’antiquités. Les explorations,
les levés topographiques, les identifications et les
fouilles de sites anciens entrepris par les émissaires
de Choiseul-Gouffier dans l’Empire ottoman ont
ainsi valu à son équipe l’appellation – moderne et
rétrospective – d’« École française de Constantinople ».
À bien des égards, cette dernière a en effet ouvert la
voie à l’étude de l’Antiquité grecque dans l’Empire
ottoman, anticipant non seulement les découvertes
de l’Expédition scientifique de Morée, mais aussi
les travaux des premiers élèves de l’École française
d’Athènes. Parmi les différents membres de ce groupe,
Fauvel fut non seulement le plus actif, mais aussi celui
qui resta le plus longtemps dans l’Empire ottoman, y
menant de nombreuses recherches archéologiques et
topographiques.
Pour dresser ses cartes, Fauvel profita donc
tout d’abord des informations transmises par les
autres émissaires du comte. Des renseignements
d’ordre géographique ou méthodologique lui vinrent
probablement de Jean-Baptiste Lechevalier et de
l’ingénieur François Kauffer, auteurs de plusieurs
cartes de la Troade et de la Grèce du Nord. L’ingénieur
Jacques Foucherot lui fournit une première formation
topographique, quand bien même par correspondance.
Enfin, Fauvel reçut aussi des informations par les
officiers de marine attachés à l’ambassade de France
à Constantinople. Citons tout d’abord le marquis de
Chabert, qui avait parcouru en 1776 l’Archipel de la
mer Égée sur le navire l’Atalante pour en rectifier les
cartes par ses observations astronomiques. Quant aux
capitaines Jean-Baptiste Raccord, Charles-François-
Guillaume de Chanaleilles et Laurent-Jean-François
Truguet, ils furent également en contact avec Fauvel, lui
communiquant une série de données astronomiques et
géographiques dont ce dernier se servit pour ses cartes.
À partir de 1786, Fauvel se mit donc au travail
topographique, qu’il devait pratiquer pendant plus
de cinquante ans et jusqu’à sa mort. Dans ses papiers
sont conservés ou mentionnés de nombreux levés
réalisés tout au long de sa vie, même lorsqu’il n’était
plus au service de Choiseul-Gouffier. Parmi les cartes,
signalons celles de Salamine, d’Égine, de l’Attique,
du Péloponnèse, de l’Eubée, de Syros, de Santorin,
d’Antiparos, de Cos, de Kéa. Parmi les plans, citons
ceux d’Athènes et de ses ports (Le Pirée, Phalère et
Mounichie), d’Éleusis, de Marathon, de Thorikos, de
Thèbes, de Delphes, de Platées, de Mantinée et de sa
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plaine, de Sicyone, de Némée, de Nauplie, de Sparte
et d’Amyclées, d’Olympie, de Délos, de Salonique et
d’Alexandrie d’Égypte. Quelques-unes de ces cartes ont
déjà été étudiées ailleurs. Je me bornerai ici à analyser les
principaux travaux relatifs à l’Attique.
Les cartes de l’Attique
La première carte de l’Attique
Nous ne savons pas en quelle année Fauvel commença
à travailler à sa première carte de l’Attique, mais elle était
déjà presque finie en 1791, lorsque Choiseul demanda
à Fauvel de retourner à Constantinople pour travailler
à une carte des Dardanelles. Insouciant, le peintre lui
répondit :
« J’ai à travailler pour la carte de l’Attique, que
je promets exacte. Il me faudra encore de petits
voyages vers l’isthme de Corinthe car cette carte
embrasse depuis Sicyone jusqu’à Négropont.
Je n’ai négligé ni peine ni soin, je ne peux pas
croire que votre intention soit d’abandonner
ce travail intéressant. […] Pour ce que vous
me demandez au canal des Dardanelles, M. de
Raccord qui a fait les cartes que s’est approprié
M. Truguette [Truguet] peut mieux que personne
raccommoder cette carte ».
De fait, Fauvel ne donna pas suite aux requêtes
du comte et continua à travailler à la géographie de
l’Attique. Un an plus tard Choiseul-Gouffier s’enfuyait
en Russie. La carte de l’Attique resta alors entre les mains
de Fauvel, qui la termina peu après. Marie-Louis-Henri
Descorches décrivait en ces termes le document, qu’il
eut l’occasion d’admirer lors de son passage à Athènes
en 1794 :
« Il [Fauvel] a levé une carte de toute l’Attique,
de ses golfes, de ses îles, avec une exactitude
scrupuleuse : cette carte a été redressée sur
les observations astronomiques du citoyen
Raccord ».
Cette carte fut perdue entre 1798 et 1801,
lorsque, à la suite de la guerre d’Égypte, Fauvel fut
incarcéré par les Turcs avec tous les autres résidants
français dans
l’Empire ottoman. Profitant de sa
détention, le voïvode d’Athènes le dépouilla d’une partie
de ses biens qu’il s’empressa de vendre. À sa libération,
Fauvel rentra à Paris, où il parvint à se faire nommer
vice-consul d’Athènes. Il était de retour en Grèce en
1803. Dans un mémoire faisant état de ses principaux
travaux, adressé à ses confrères de l’Académie en 1802,
Fauvel regrettait particulièrement la perte de sa carte de
l’Attique :
« Ce fut à cette époque que je m’occupais
à lever une carte topographique, non seulement
de la plaine d’Athènes et de ses ports, mais de
l’Attique entière : je travaillois à y joindre la Béotie
et la Phocide, lorsque la guerre vint m’exposer
à perdre le fruit de 18 ans de travaux. […] Ma
carte s’étendoit jusqu’au Parnasse, je venois de
faire [juste avant l’arrestation] pour cet objet
un voyage à Delphes, à Lébadée, à Chéronée, à
Orchomène, à Thespie, à Thèbes, à Platée, sur le
mont Cythéron, et dans les plaines de Leuctres. Je
m’étois transporté sur le sommet des plus hautes
montagnes d’où j’ai pu former d’assez grands
triangles, car la plus part de ces montagnes sont
reconnoissables et en vue les unes des autres ».
Dans les papiers de Fauvel conservés à la BnF
se trouvent plusieurs brouillons montrant des rayons
tirés de différents endroits de l’Attique qui témoignent
de l’énorme travail effectué pour la réalisation de cette
œuvre (voir par exemple la fig. 5). L’enquête peut
toutefois encore se poursuivre. Deux documents dans
les archives de Fauvel permettent en effet de se faire
une idée de la belle carte de l’Attique perdue en 1798 :
d’une part, le brouillon de cette carte et, d’autre part, le
calque que Fauvel en avait fait sur du papier huilé (fig.
1 et 2). Cependant, je ne détaillerai pas ici ces cartes
dérivées dans la mesure où j’ai aussi retrouvé l’original.
Sans jamais éveiller l’intérêt des chercheurs, la
première carte de l’Attique de Fauvel est entrée au
Département des cartes et plans de la Bibliothèque
nationale de France en 1942 via le fonds du Service
hydrographique de la Marine (fig. 3). Son parcours
précédent, inconnu dans les registres du département,
peut lui aussi être retracé. Dans le catalogue de vente
de la collection Choiseul-Gouffier, figure en effet une
« carte générale de l’Attique, avec les côtes et les îles qui
l’avoisinent. Dessin colorié, par M. Fauvel. Hauteur 82
cm. Largeur 1 mètre ». Or, les mesures données dans le
catalogue de vente coïncident parfaitement avec la carte
retrouvée. Les annotations manuscrites sur l’exemplaire
du catalogue conservé à la Bibliothèque centrale des
Musées nationaux nous apprennent en outre que cette
carte fut achetée pour 240 francs par le géographe
Buache pour le compte du Ministère de la Marine et
confirment ainsi l’identification. Répertoriée dans le
registre d’entrée de la Bibliothèque nationale comme
une « carte du golfe de Corinthe et de Négrepont », elle
représente en fait l’Attique et les côtes environnantes
(la côte du Péloponnèse de Sicyone à Hydra et la côte
de l’Eubée d’Euripos au cap d’Or). Le dessin est très
soigné. Il s’agit d’une carte physique avec toponymes.
Elle est minutieusement aquarellée et différents tons
de brun et de vert font ressortir la hauteur des reliefs.
On y voit également de nombreuses lignes de visées,
tracées à partir des endroits d’où Fauvel a effectué
ses levés topographiques. Cela témoigne une fois de
plus de l’énorme travail nécessaire pour cartographier
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Figure 1 : Brouillon de la première carte de l’Attique de Fauvel (BnF, Département des cartes et plans, Ge DD 6318, f. 34)
Figure 2 : Calque sur papier huilé de la première carte de l’Attique de Fauvel (BnF, Département des cartes et plans, Ge DD 6318, f. 19)
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la région. Les noms des fleuves, des montagnes, des
villages, des golfes et des caps, donnés en caractères
latins, avec les toponymes de l’époque, sont rendus avec
des lettres capitales, la taille des polices variant selon
les différentes catégories. À côté des noms modernes,
Fauvel a en outre tracé à l’encre rouge chaque ruine
qu’il a pu découvrir, sans pour autant en proposer
nécessairement l’identification avec un site ancien. En
bas de la feuille, est écrit de son écriture caractéristique :
« Levée géométriquement sur les lieux en 1792 par
Fauvel, et dressée sur les observations astronomiques
de M. Raccord ». L’échelle, calculée « en lieues marines
de 2853 toises » est de 1 : 177 181. Tout correspond aux
descriptions de Fauvel et de Descorches (cf. supra). La
carte s’étend jusqu’au Parnès ; les régions et les villes
visitées par Fauvel juste avant son arrestation (Delphes,
Lébadée, Chéronée, Orchomène, Thespies, Thèbes,
Platées) ne sont pas marquées ici, alors qu’elles figurent
dans les brouillons conservés parmi les papiers de
Fauvel. Encore faudrait-il comprendre comment cette
carte, restée entre les mains de son auteur jusqu’en 1798
– rappelons que Descorches l’avait vue à Athènes en
1794 –, rentra en possession du comte après avoir été
saisie pendant l’arrestation de Fauvel.
La deuxième carte de l’Attique
Déplorant la perte de sa belle carte – dont, nous
l’avons vu, il avait néanmoins gardé le brouillon et un
calque –, Fauvel se remit à la géographie de l’Attique dès
son retour à Athènes en 1803. Il effectua pour cela de
nouveaux relevés. Il se rendit ainsi compte que sa première
carte n’était pas tout à fait exacte et il nota sur le calque qui
en était dérivé (fig. 2) : « cette carte n’est pas juste, je l’ai
redressée d’après les observations faites de Zéa ».
Sa nouvelle carte de l’Attique, dressée après 1803,
est dessinée sur une feuille de grandes dimensions (1,02
m x 1,11 m), mais son état n’est pas définitif (fig. 4). Elle
est plus grande que la précédente, mais moins étendue
quant à la portion de territoire représentée, puisqu’elle est
limitée à la péninsule de l’Attique. Sur les marges, Fauvel a
rapporté les échelles graphiques de ses autres travaux sur
l’Attique : d’un côté, est marquée « l’échelle du calque »
de la première carte et, de l’autre côté, l’échelle du plan-
relief de l’Attique qu’il réalisa plus tard (cf. infra). Une
troisième échelle graphique – où 11,5 cm correspondent
à 5 000 toises, « distance du temple de Minerve au fond
du Pirée » – donne le rapport de réduction de cette
carte, qui est de 1 : 84 739. Peu de toponymes y sont
marqués ; il y a en revanche une multitude de rayons
visuels tracés à partir de tous les points d’où Fauvel
avait effectué ses levés topographiques. Les contours
de la région ont été retouchés plusieurs fois avec des
traits à l’aquarelle de différentes teintes. La couleur
rose foncé semble indiquer la dernière version arrêtée
pour la conformation des côtes. Cette carte garde en
effet la trace des nombreuses corrections que Fauvel
continua à y apporter pendant plus de vingt ans. De
nombreuses annotations sont apposées sur les bords de
la carte : tantôt elles confirment l’exactitude des levés
précédents, tantôt elles apportent des compléments et
des corrections à la suite de nouvelles mesures prises
sur le terrain. C’est ainsi, par exemple, que près de
la marge on peut lire : « cette carte est juste jusqu’au
cap Zoster ». Ailleurs l’auteur précise qu’il doit encore
vérifier certaines « observations ». Fauvel la considérait
néanmoins comme la plus exacte de ses cartes de
l’Attique, et c’est à partir de celle-ci qu’il élabora ensuite
le plan-relief de la région. En la comparant avec la carte
dressée en 1792, on se rend compte que les corrections
concernent surtout la côte nord occidentale, dans les
parties faisant face à Salamine, ainsi que le contour de
l’île ; la côte orientale de l’Attique, tout en gardant son
profil presque inchangé, a été déplacée vers l’est.
témoignent du
D’autres documents
travail
cartographique mené par Fauvel en Attique et
rendent compte des changements qu’il apporta au
contour de la région au fil des années. En effet, Fauvel
retravaillait plusieurs fois ses dessins et vérifiait sans
cesse ses mesures: ainsi une feuille représentant une
partie de l’Attique avec Athènes et Le Pirée contient
plusieurs corrections (fig. 5) : Fauvel y a marqué que
« les corrections en rouge sont très justes [et] vérifiées
plusieurs fois ».
Mais, à la différence de la première carte, égarée, la
deuxième carte et les documents qui y sont relatifs –
les seuls restés dans le portefeuille du peintre et connus
par le biographe de Fauvel, Philippe-Ernest Legrand
– sont des brouillons ou des croquis dont aucun n’est
mis au propre. C’est la raison pour laquelle Legrand
affirmait que la carte de l’Attique de Fauvel était restée
« toujours à l’état d’ébauche ». Fauvel songeait certes à
publier une « géographie de l’Attique », mais cette étude
ne fut pas davantage terminée que ses autres projets de
publication.
Si le travail topographique de Fauvel est basé
principalement sur l’intersection des visées, peut-on
pour autant parler de triangulation ? À s’en tenir à ses
mots – lorsqu’il écrit « j’ai pu former d’assez grands
triangles », cf. supra –, il semble effectivement que le
peintre appliquait la méthode topographique inspirée
de la triangulation. Cependant, les nombreux croquis
et brouillons topographiques conservés dans ses
papiers, fussent-ils esquissés sur le terrain ou mis au
propre à la maison, ne présentent que très rarement
un réel enchaînement de triangles, nécessaire pour
parler de triangulation. Il s’agit pour la plupart de
simples intersections de rayons visuels. La méthode
topographique appliquée par Fauvel reste donc difficile
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Figure 3 : Première carte de l’Attique de Fauvel (BnF, Département des cartes et plans,
S.H.M., XVIIIe siècle, portefeuille 93, division 9, pièce 4)
Figure 4 : Deuxième carte de l’Attique de Fauvel (BnF, Département des cartes et plans, Ge DD 6318, f. 23)
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à comprendre et à définir exactement, même si les
résultats concrets de ses relevés sont remarquables. Et
ils le sont d’autant plus si l’on considère les conditions
dans lesquelles ils ont été exécutés : Fauvel réalisa seul,
avec des moyens limités et sans avoir reçu une formation
spécifique, des cartes qui rivalisent avec les travaux des
spécialistes et des autres voyageurs de l’époque.
Les plans-reliefs
Fauvel réalisa également des maquettes et des
plans-reliefs de plusieurs sites et monuments antiques.
La description des voyageurs passés par la maison de
Fauvel est souvent le seul témoignage qui nous reste
sur ces œuvres aujourd’hui pour l’essentiel perdues.
Deux plans-reliefs, l’un d’Athènes et l’autre de l’Attique,
subsistent néanmoins au Département des cartes et
plans de la Bibliothèque nationale. Voyons donc en
détail ces documents.
Le plan-relief d’Athènes
En 1806, à l’occasion du voyage en Grèce de
Chateaubriand, le médecin Gian-Dionisio Avramiotti,
vantant les travaux de Fauvel à son illustre hôte, décrivait
entre-autre un plan-relief d’Athènes :
« Comme M. de Chateaubriand devait passer
à Athènes, je jugeais à propos de lui parler
amplement de M. Fauvel et de ses travaux illustres
et pénibles. Partant, je fais mention […] de la table
en relief faite de cire et sur laquelle sont marqués
le Pirée, Munychie, Phalère et le plan de la ville
qui comprend l’Anchesme, la colline du Musée,
la Pnyx et les longues murailles qui la faisaient
communiquer, jadis, avec la mer ».
donc pas être ceux admirés par Avramiotti, Pouqueville
ou Haller von Hallerstein. Fauvel entre-temps avait quitté
Athènes pour s’établir à Smyrne. Avec la documentation
qu’il avait pu sauver, il se remit au travail. James Emerson,
de passage dans cette ville en 1825, raconte que Fauvel
travaillait alors à un modèle en relief d’Athènes qui
était à ses yeux « aussi unique dans sa conception que
précis dans l’exécution ». Quand Léon de Laborde le vit
l’année suivante, celui-ci était désormais fini. Au-delà des
descriptions des hôtes de Fauvel, l’observation directe
du plan-relief original, entré au Département des cartes
et plans de la BnF en 1840 avec les autres papiers de
Fauvel, permet d’en savoir un peu plus sur la méthode
suivie pour sa réalisation. Rappelons qu’au moment
de la codification des techniques de construction des
maquettes – au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles –,
l’échelle de 1 pied pour 100 toises, soit 1 : 600, fut adoptée
pour la construction des plans-reliefs. À l’époque, les
plans-reliefs étaient ainsi constitués :
« [Ils sont formés par] plusieurs tables de
bois, dont le plateau supérieur est sculpté et
modelé afin de reproduire les accidents du relief.
La finition de la surface des sols est obtenue par
pulvérisation sur un lit de colle de sable fin et
de soies teintées finement hachées, représentant
routes et campagnes. Les arbres sont constitués
de chenille de soie et de fil de fer entrelacés. Les
eaux sont peintes. Les éléments d’architecture
sont taillés dans de petits blocs de bois recouverts
de papiers gravés ou peints imitant la texture des
matériaux de construction. Une fois habillées,
les tables de plans-reliefs sont assemblées entre
elles, l’ensemble reposant sur un piétement en
bois tourné ».
Il ne s’agissait pas, comme ce texte pourrait
le laisser croire, d’un plan-relief unique, mais de deux
objets distincts : sur l’un, en cire, figuraient les ports
de la ville et, sur l’autre, Athènes et ses environs. Une
description plus précise est fournie par Pouqueville, qui
visita l’atelier du vice-consul en 1815 :
« J’y vis », écrivait-il, « un plan en relief
destiné au cabinet du roi ; l’Athènes de Pausanias
y était reproduite avec tous les nivellements et
les accidents du terrain ; et j’examinai sur un
autre relief en cire les ports et rades du Pirée, de
Phalère et de Munichie ».
À la même date, Haller von Hallerstein louait les
« beaux modèles de l’Acropole et du Pirée » réalisés par
Fauvel. Cependant, tous ces travaux furent détruits lors
de la guerre d’indépendance grecque : en effet, en 1825,
la maison du vice-consul, frappée par des boulets de
canon provenant de l’Acropole, s’effondra. Les plans-
reliefs conservés à la Bibliothèque nationale ne peuvent
Fauvel ne suivit guère cette méthode, ni un rapport
de réduction « canonique ». Dans un croquis d’Athènes
conservé parmi ses papiers, il a marqué plusieurs
échelles graphiques, dont une est désignée comme
l’« échelle du plan-relief d’Athènes ». Elle comporte
5,25 cm pour 100 toises, ce qui donne un rapport
de réduction de 1 : 3 712. Le plan-relief (fig. 6) a été
construit dans une cage de bois qui sert en même temps
de cadre et dont les dimensions internes sont de 77,5
cm x 103,5 cm (82 cm x 108,5 cm à l’extérieur), pour
une épaisseur de 18,3 cm. Pour réaliser le corps du plan-
relief avec les différentes hauteurs du terrain, Fauvel a
empilé des petites planches de bois, clouées entre elles
et au support, qu’il a ensuite recouvertes de cire. Les
éléments plus petits (comme les portes de la ville ou les
temples) ont été également modelés en cire. Quelques
arbres modelés à part parsèment la surface du plan-
relief et entourent en particulier l’église d’Ambelokipi,
où Fauvel avait identifié les ruines du « temple de Vénus
aux jardins ».
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Figure 5 : Brouillon d’une carte de la plaine d’Athènes et de ses ports, par Fauvel (BnF, Département des cartes et plans, GE DD 6318, f. 22)
Figure 6 : Plan-relief d’Athènes par Fauvel (BnF, Département des cartes et plans, Ge A 179)
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Selon
les voyageurs, ce plan-relief montrait
« l’Athènes de Pausanias » ; mais outre les monuments
anciens, on y voit aussi la mosquée à l’intérieur du
Parthénon (qui sera détruite en 1843), ainsi que les
différentes églises et mosquées existantes à l’époque.
Selon son auteur son plan-relief représentait plutôt
Athènes « telle qu’elle était dans les derniers temps de la
domination Ottomane ».
En 1836, Alexandre Lenoir rencontra Fauvel
à Smyrne. Aussitôt, il écrivit à ses collègues de la
Bibliothèque royale pour signaler l’intérêt des travaux
du peintre. Le 18 avril de l’année suivante, Raoul-
Rochette contacta Fauvel pour lui proposer l’achat de sa
collection et de ses travaux. Dans sa lettre de réponse,
Fauvel décrivait ainsi son plan-relief d’Athènes :
« Ce que j’ai vu n’est plus à retrouver. La
dernière guerre a été funeste à beaucoup de
monumens qui avaient jusqu’alors conservé des
restes de leur antique magnificence. Ces débris,
accaparés par des spéculateurs, vendus à des
amateurs ou employés comme matériaux dans
des constructions nouvelles, ont disparu. Au dire
des voyageurs d’aujourd’hui, les alignemens de la
moderne Athènes effaceront du plan une infinité
de localités célèbres que l’Antiquaire aimait
à saluer, en prenant pour cicerone Pausanias,
Strabon et notre Anacharsis. Ce n’est donc que
dans ma galerie que l’on retrouvera l’Athènes
des Anciens, telle qu’elle était encore au
commencement du dix-neuvième siècle. Aussi,
mon cher Confrère, ne sera-ce pas sans une peine
bien vive que je me séparerai du plan en relief de
cette cité célèbre et des collines qui l’environnent
que j’ai fait avec un soin si minutieux, qu’il
permet à l’Archéologue de la reconnaître dans
ses moindres détails. Configuration du terrain,
position
leurs
proportions et leurs distances relatives, tout a été
dans la longue exécution de ce travail observé
et représenté avec la plus rigoureuse exactitude.
Cependant considérant que j’ai quatre-vingt-
quatre ans tout à l’heure, je dois regarder comme
avantageuse la proposition que vous me faites.
Elle réunit en effet trois intérêts : celui de
conserver à la France et à sa Société Savante ce
que j’ai pu sauver d’Athènes ; celui de mettre
ma mémoire à l’abri d’un oubli complet, en lui
consacrant ce que l’on m’a laissé de témoins de
mes pénibles travaux, celui enfin de compenser
le Sacrifice que j’en ferai, par un revenu qui
répandra quelques douceurs sur mes derniers
jours, et qui passant à mes héritiers, leur fera bénir
mon Souvenir. J’accepte donc la proposition,
mon cher confrère, contre la rente d’un capital
respective des monumens,
de quarante mille francs, à 5%. J’estime que mon
médaillier vaut au moins vingt mille francs et
crois être modeste en donnant la même valeur à
ce qui forme ma collection de plans, inscriptions,
dessins, notes, reliefs, monumens et fragmens
d’antiquités précieux ».
Le propos de Fauvel n’était donc pas de représenter
les monuments antiques dans un moment précis de
l’Antiquité, mais de rendre plus lisibles les monuments
d’architecture encore présents à Athènes à son époque.
Son intérêt pour l’état actuel du terrain et des vestiges
primait sur une vision théorique et idéale d’une Antiquité
restituée à partir des seuls textes anciens.
Le plan-relief de l’Attique
Pour donner suite à son offre d’achat, Raoul-
Rochette fit contacter Fauvel par le conservateur de
la Section de géographie de la Bibliothèque Royale,
Edme-François Jomard, ancien ingénieur géographe de
l’expédition d’Égypte et éditeur de la publication qui en
résulta. En juillet 1837, celui-ci écrivit à Fauvel :
« Plusieurs savans nationaux et étrangers
m’ont dit que vous possédiez une carte en relief
très soignée de l’Attique et une de l’Acropole. À
mes yeux, les deux ouvrages présentent un intérêt
d’autant plus grand qu’ils sont sortis de vos mains.
Si rien ne saurait mieux donner au public français
une idée juste de la topographie de cette contrée
célèbre, d’un autre côté ces reliefs ne peuvent être
mieux placés pour l’instruction et pour le profit
des arts que dans la division géographique du plus
grand de nos établissemens littéraires, le premier
de l’Europe à bien des égards. C’est dans cette
division nouvellement formée à la Bibliothèque
Royale et consacrée aux sciences géographiques
que sont placées les cartes en relief de toute
espèce et je viens vous demander, Monsieur, s’il
entrerait dans vos vues de céder vos précieux
reliefs pour la destination spéciale dont il s’agit.
Je me ferais un plaisir et un devoir de saisir cette
occasion pour signaler tout ce que vous doivent
les arts et les sciences ».
Fauvel était bien sûr très heureux de pouvoir céder
ses travaux à la France, mais il restait un petit problème
à régler : il n’avait pas de plan-relief de l’Attique. Sans
doute Jomard avait-il confondu avec le plan-relief
d’Athènes admiré par les voyageurs. Mais plutôt que de
clarifier ce malentendu, Fauvel – alors âgé de 84 ans –
décida de se remettre au travail, comme le montre sa
réponse au géographe :
« Celui [le plan-relief] de l’Attique […] est
encore à faire […] j’ai les matériaux nécessaires,
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