La bonne foi dans la formation du contrat
Brigitte Lefebvre*
Bien qu’elle soit un principe fondamental
du droit civil qu6b6cois, l’obligation g6n6rale
de bonne foi n’est pas 6nonc6e express6ment
dans le Code civil du Bas-Canada. L’auteure
examine le r6le du principe aux stades des
pourparlers et de la formation du contrat. A
l’6tape pr6-contractuelle, la notion de dol per-
met de sanctionner la mauvaise foi dans le cas
ou un contrat a ensuite 6t6 conclu par les par-
ties. M~me lorsque les n6gociations n’ont pas
men6 A la conclusion d’un contrat, les tribu-
naux reconnaissent l’existence de certaines
obligations permettant de sanctionner la mau-
vaise foi d’une partie en recourant A la notion
d’obligation fiduciaire ou h celle d’abus de
confiance. Mais c’est surtout lors de la forma-
tion du contrat que la bonne foi prend un r6le
d6terminant, dans la r6pression du dol. La doc-
trine et la jurisprudence ont reconnu trois types
de dot : les manoeuvres frauduleuses, les
fausses repr6sentations, qui visent h r6primer
les agissements empreints de mauvaise foi, et
le dol n6gatif, qui d6signe plut6t une atteinte
au devoir de loyaut6 en imposant une obliga-
tion de renseignement. Alors que la doctrine et
la jurisprudence sont assez unanimes h recon-
naitre que les recours disponibles en cas de dol
sont l’octroi de dommages-int6rts et, dans
certains cas, l’annulation du contrat, elles sont
partag6es quant h savoir si la responsabilit6
d6coulant du dol est contractuelle ou d6lic-
tuelle. Ce d6bat demeure n6anmoins essentiel-
lement th6orique, surtout parce que l’article
1074 C.c.B.-C. pr6voit une exception h la r~gle
g6n6rale selon laquelle le d6biteur d’une obli-
gation contractuelle n’est responsable que des
dommages pr6visibles au moment de la forma-
tion du contrat. Cet article a le plus souvent
pour effet d’61iminer les diff6rences qu’il
pourrait exister dans l’allocation de dommages
selon la nature contractuelle ou d61ictuelle du
recours.
Although it is a fundamental principle in
Quebec civil law, the general obligation of
good faith is not expressly stated in the Civil
Code of Lower Canada. The author studies the
role played by the good faith principle in the
negotiation and formation of contracts. Where
a party acts in bad faith at the pre-contractual
stage, the doctrine of fraud may provide a suc-
cessful recourse against that party in the case
where a contract was then concluded. Even
when negotiations have not led to the conclu-
sion of a contract, the courts have resorted to
the notions of fiduciary obligation or abuse of
confidence to provide a remedy against the
party who has acted in bad faith. But good
faith takes on greater importance still at the
stage of contract formation, in the prevention
of fraud. The author canvasses the three types
of fraud recognized by our law: fraudulent
behaviour, false representations, which consti-
tute blatant acts of bad faith, and concealment,
which is the violation of a positive duty of loy-
alty and information. While the doctrine and
case law always recognize the appropriateness
of granting damages and sometimes the annul-
ment of the contract in cases of fraud, they are
divided on the issue of whether fraud leads to
delictual or contractual liability. The author is
of the view, however, that this debate is essen-
tially theoretical, primarily because article
1074 C.C.L.C. creates an exception to the gen-
eral rule according to which the debtor of a
contractual obligation is only liable for dam-
ages which were foreseeable at the time of
contracting. As a result, this exception has the
frequent effect of eliminating any difference
between the rules of damages particular to the
contractual and delictual regimes of civil lia-
bility.
* Notaire et Professeure a l’Universit6 du Qudbec h Montrdal.
© Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1992
Mode de citation: (1992) 37 R.D. McGill 1053
To be cited as: (1992) 37 McGill L.J. 1053
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McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
Sommaire
Introduction
I.
La phase pr6-contractuelle (la rupture des pourparlers)
H. La phase contractuelle
A. Les r~gles applicables en vertu du Code civil du Bas-Canada
1. Les manoeuvres frauduleuses
2.
3.
4.
Les fausses repr6sentations
Le dol n6gatif
Les sanctions
B. Le droit de la consommation
1. Les pratiques de commerce
2.
La 16sion entre majeurs
Conclusion
Introduction
La bonne foi est un principe de base, essentiel et fondamental, qui sous-
tend toute relation contractuelle. La notion de bonne foi n’a pas de cadre juri-
dique sp6cifique et n’est d6finie nulle part. Le Code civil du Bas-Canada ne sti-
pule pas de fagon explicite d’obligation de bonne foi lors de la formation du
contrat, bien que certaines dispositions s’y r6f~rent implicitement, comme celles
sur le dol. Comme le note le Juge Baudouin: < La protection de la loi contre
le dol est en fait l'affirmation de la notion de bonne foi dans la conclusion et
la ndgociation des conventions. >>’ Pour sa part, le Professeur Tancelin qualifie
le dol de < face n6gative du principe g6n6ral de bonne foi qui domine la con-
ception morale du contrat consensuel en droit civil >>2. La bonne foi est sous-
entendue et dolt exister tant lors de la phase pr6-contractuelle qu’au moments
de la formation et de l’ex6cution du contratP. On en retrouve 6galement des
1J.-L. Baudouin, Les obligations, 3e 6d., Cowansville, Qu6., Yvon Blais, 1989, n- 155.
2M. Tancelin, Des obligations: contrat et responsabiliti, 4e 6d., Montr6al, Wilson et Lafleur,
1988, no 130.
3Au stade de l’ex6cution du contrat, l’obligation de bonne foi trouve son fondement juridique
dans l’art. 1024 C.c.B.-C. qui stipule que:
1024. Les obligations d’un contrat s’6tendent non seulement A ce qui y est exprimtu,
mais encore A toutes les cons6quences qui en d6coulent, d’apr~s sa nature, et sui-
vant l’6quit6, l’usage ou la loi.
Voir Banque Canadienne Nationale c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339, 43 N.R. 283.
1992]
CONGRIkS HENRI CAPITANT
1055
applications sp~cifiques: en mati6re de vente4, en mati~re de mandat, en
mati~re de pr&t6. En droit statutaire, les dispositions 6dict6es pour assurer la
bonne foi des parties contractantes sont aussi sp6cifiques7. Cette notion est sous-
entendue dans les dispositions relatives aux pratiques de commerce illicites,
comme la publicit6 trompeuse, qui cr6ent une pr6somption de dol, ainsi que
dans celles reconnaissant la possibilit6 de 16sion entre majeurs. D’ailleurs, ce
d6veloppement du droit en mati~re de 16sion entre majeurs reflte une concep-
tion large de la notion de bonne foi.
Depuis les derni~res d6cennies, le droit des obligations est en pleine 6vo-
lution, marqu6 par une nouvelle philosophie bas6e sur la notion de justice con-
tractuelle9. En ce qui conceme la formation du contrat, des mesures ont
t6 ins-
taur6es dans la Loi sur la protection du consommateur et la tendance apparait
6galement dans le nouveau Code civil du Quibec, oii on a recours h la notion
de bonne foi sans toutefois la d6finir1″.
La bonne foi se congoit de deux fagons, selon qu’elle est objective ou sub-
jective. La bonne foi subjective repr6sente l’6tat psychologique ou intellectuel
(ignorance ou erreur) d’une personne et a une incidence directe sur l’exercice
de certains droits et certains recours n. C’est le type de bonne foi auquel ren-
4Art. 1522, 1524, 1527 C.c.B.-C. (garantie contre les vices caches). La sanction est plus lourde
si le vendeur est de mauvaise foi. On sanctionne ult6rieurement (c’est-a-dire a Ia d6couverte du
vice) la mauvaise foi du vendeur lors de la formation du contrat. Si le vice est apparent, la mauvaise
foi du vendeur est sanctionn~e sur la base du dol. Cela explique une certaine confusion dans ]a
jurisprudence entre le recours pour dol et celui en vertu de Ia garantie contre les vices cach6s. Voir
Baudouin, supra, note 1, n° 170 ; P.-G. Jobin, < La sanction du dol sur un vice cach6 > (1973) 14
C. de D. 343, chronique au sujet de l’arrt Girard c. J.D. Chevrolet Oldsmobile LtDe, [1973] C.S.
263.
5At. 1730 C.c.B.-C. (mandat apparent).
6 L’art. 1040c C.c.B.-C. permet au tribunal de r6duire le cofit excessif d’un pr~t d’argent. Cette
disposition est un pouvoir d’6quit qui sanctionne l’existence de clauses abusives A l’int6rieur du
contrat de prt. Le tribunal peut intervenir d’office et r6duire les obligations mondtaires de l’em-
prunteur. En 16gif6rant a propos des clauses abusives, le 16gislateur s’assure que l’emprunteur ne
sera pas a la merci d’un pr~teur peu scrupuleux. On peut y d6celer une autre facette de la notion
de bonne foi.
7Des dispositions concernant l’information fausse ou trompeuse, ainsi que des restrictions quant
Sl’utilisation d’informations privil6gi6es, existent 6galement dans le domaine des valeurs mobi-
lires (Loi sur les valeurs mobilires, L.R.Q. c. V-1.1).
8Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q. c. P-40.1, art. 215 et s. [ci-apr6s L.p.c.] ; la Loi
sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34, art. 52 trouve 6galement application en ce domaine.
9L. Perret, v Une philosophie nouvelle des contrats fondde sur l’ide de justice contractuelle >
(1980) 11 R.G.D. 537.
‘0 P.L. 125, Code civil du Quibec, Ire sess., 34e LAg. Qu6., 1990-91, c. 64 (sanctionn6 le 18
d6cembre 1991, L.Q. 1991, c. 64) [ci-apr~s Code civil du Quibec ou C.c.Q.]. L’art. 7 C.c.Q. sti-
pule :
7. Aucun droit ne peut 8tre exerc6 en vue de nuire 4 autrui ou d’une mani~re excessive
et d6raisonnable, allant ainsi h l’encontre des exigences de la bonne foi.
L’art. 1375 C.c.Q. stipule:
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la nais-
sance de l’obligation qu’a celui de son ex6cution ou de son extinction.
11P. Van Ommeslaghe, < Rapport g6n6ral sur ]a bonne foi dans Ia formation du contrat > dans
Travaux de l’Association Henri Capitant, La bonne foi (Journdes Louisianaises 1992), t. XLIII,
Paris, Economica [a paraitre] [ci-apr~s La bonne foi] ; P. Jourdain, « Rapport frangais sur la bonne
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REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
voient les codes lorsqu’ils traitent de la prescription acquisitive, de l’accession
immobili~re, du mariage putatif 2. Nous traiterons plut6t de la bonne foi objec-
tive qu’on pourrait d6finir comme une norme de comportement. L’6volution du
droit nous amine constater que la notion de bonne foi ne peut plus s’entendre
uniquement comme antonyme de l’intention malveillante. C’est une notion
beaucoup plus large et plus nuanc6e qui permet de sanctionner l’atteinte au
devoir de loyaut6 et d’honntet6 des cocontractants 13. Cette conception de la
bonne foi s’est manifestre notamment par l’obligation d’information d6velop-
pre par la jurisprudence. Le l6gislateur a 6galement adopt6 cette conception de
la bonne foi. II a codifi6 cette r~gle et l’a plac~e au centre de la rrforme du Code
civil4 .
Nous nous limiterons
examiner l’6tendue de l’application de la notion de
bonne foi dans la formation des contrats lors de la phase pr6-contractuelle, puis
de la phase contractuelle. Nous verrons qu’ d6faut de texte prrcis, les tribunaux
jouent un rrle important dans la qualification de ce concept.
I. La phase pr6-contractuelle Oa rupture des pourparlers)
La bonne foi doit exister dans la phase pr6-contractuelle. II en r6sulte que
lorsque les nrgociations m~nent A une entente contractuelle, le dol permet de
sanctionner la mauvaise foi d’un cocontractant et d’obtenir l’annulation du con-
trat ou des dommages-int~rts. Quels recours demeurent lorsque les n6gocia-
tions ne m~nent pas h un contrat ?
Au stade des n6gociations, il n’y a entre les parties qu’une simple invita-
tion h contracter. Puisqu’ d6faut d’entente, aucun contrat n’a pu se former,
aucune obligation n’a pris naissance et aucun lien de droit n’unit les parties”.
A ce stade il n’y a pas, h proprement parler, d’offre, ce qui suffit en principe
pour placer cette situation
l’extrieur du cadre contractuel 6.
foi dans la formation des contrats dans La bonne foi, ibid. Cette distinction existe 6galement en
droit qurb6cois sous des vocables diff6rents (intellectual good faith et intentional good faith) (G.A.
Rosenberg, << The Notion of Good Faith in the Civil Law of Quebec> (1960) 7 R.D. McGill 2).
12Art. 417, 2251 C.c.B.-C. ; art. 434, 439 C.c.Q.
‘3Proulx-Robertson c. Collins (5 f6vrier 1992), Montrdal 500-09-000156-877, J.E. 92-310
(C.A.) : dans cette affaire, il est int6ressant de noter que la Cour d’appel impose au vendeur une
obligation d’honntet6 et de loyaut6. Cette tendance se rencontre aussi en mati6re de vente com-
merciale (Villemure c. Tripanier (7 septembre 1989), Quebec 200-09-000785-847 et
200-09-000786-845, J.E. 89-1403 (C.A.) [ci-apr~s Villemure] ; Entreprises Verdi Ic. c. Socidti des
alcools du Quibec (14 mars 1989), Montrdal 500-05-003926-845, J.E. 89-646 (C.S.) fci-apr~s
Verdi]). J. Ghestin affirme 6galement que <( [l]a loyaut6 dans les contrats est le compl6ment n6ces-
saire de la justice contractuelle
(J. Ghestin, Trait de droit civil, t. 2, Les obligations. Le contrat:
formation, 2e dd. par J. Ghestin, Paris, L.G.D.J., 1988, n, 184).
14Voir les art. 6, 7, 1375 C.c.Q.
15Tant le Code du travail du Quebec (L.R.Q. c. C-27, art. 53) que le Code canadien diu travail
(L.R.C. 1985, c. L-2, art. 50(a)) contiennent des dispositions imposant une obligation de ntgocier
de bonne foi. Ces lois n'ont pas pour effet d'obliger les parties a conclure une convention collec-
tive, mais visent plut6t a assurer que les parties vont essayer d'en venir 5i une entente. I1 s'agit
d'une obligation de moyen (R.P. Gagnon, L. Lebel et P. Verge, Droit du travail, 2e 6d., Qudbec,
P.U.L., 1991 a la p. 501).
l6Tancelin, supra, note 2, n- 89.
1992]
CONGRPtS HENRI CAPITANT
1057
Pour donner ouverture . un quelconque recours, le tribunal tente d'y voir
la cr6ation d'un contrat qui d6coule des n6gociations. Indirectement, le tribunal
rappelle qu'en l'absence de contrat, les parties ne sont pas li6es. En effet, dans
la mesure off le demandeur r6ussit t prouver que les parties en sont venues une
entente, il sera alors possible pour le cocontractant d'obtenir l'ex6cution de
l'obligation sur la base des recours pour l'inex6cution d'une obligation contrac-
tuelle17.
La question s'est 6galement pos6e en common law. Dans l'affaire LAC
Minerals, la Cour'supreme du Canada a examin6 la responsabilit6 du contrac-
tant qui a mis un terme aux n6gociations, en fonction des concepts de l'abus de
confiance et du manquement A l'obligation fiduciaire s.
En droit qu6b6cois, la notion << d'obligation fiduciaire >> est de plus en plus
reconnue, surtout en droit du travail et en droit corporatif’ 9. En vertu de ce con-
cept, les tribunaux imposent une obligation de loyaut6 aux employ6s (envers
leur employeur) et aux officiers (envers la corporation). La doctrine et la juris-
prudence trouvent un fondement possible A cette obligation fiduciaire dans les
r~gles du mandat20. Le mandataire se doit d’agir en bon p~re de famille dans
l’ex6cution de son mandat, ce qui lui impose un devoir de loyaut6 envers son
mandant. L’obligation fiduciaire r6sulte d’une relation mandant-mandataire
l’6tape de l’ex6cution du contrat et non lors
pr6-6tablie. Elle se situe donc
d’une phase pr6alable A la formation du contrat. Dans l’6tat actuel du droit, la
l’6tape pr6-
notion d’obligation fiduciaire ne peut fonder la responsabilit6
contractuelle.
Notons cependant que dans LAC Minerals, la Cour supreme n’assortit pas
le recours du demandeur de fagon sine qua non au manquement A l’obligation
fiduciaire. En effet, le Juge La Forest indique express6ment que s’il y a abus de
confiance, le cocontractant 16s6 pourra obtenir r6paration malgr6 l’inexistence
d’une obligation fiduciaire. Le droit civil accorde-t-il un recours quelconque
sur la base de l’abus de confiance ? Nous sommes dans le contexte des n6go-
17Art. 1065 C.c.B.-C. ; 143195 Canada Inc. c. 2536-9356 Quebec Inc. (25 septembre 1992),
Saint Franqois (Sherbrooke) 450-05-000634-887, J.E. 92-144 (C.S.) (en appel).
18LAC Minerals Ltd c. International Corona ResourcesLtd, [1989] 2 R.C.S. 574,61 D.L.R. (4th)
14 [ci-apr~s LAC Minerals cit6 aux R.C.S.].
19Ce concept a 6galement 6t6 utilis6 dans le contexte d’une relation locateur-locataire : Posluns
c. Entreprises Lormil (4 juillet 1990), Qu6bec 200-05-001584-848 et 200-05-001878-854, J.E.
90-1131 (C.S.) (en appel).
20Art. 1710, 1713 C.c.B.-C. ; P. Martel,
ments recents en droit commercial, Cowansville, Qu6., Yvon Blais, 1989, 49. Voir aussi F. Guay,
< Les obligations contractuelles des employ~s vis-A-vis leur ex-employeur: la notion d'obligation
fiduciaire existe-t-elle en droit qufb6cois ? >> (1989) 49 R. du B. 739. C’est en vertu des r~gles du
mandat que la Cour suprame a accord6 ‘action en recouvrement d’une banque contre son cambiste
pour des transactions qu’il avait faites, dans le cadre de son travail, A son propre avantage (Banque
de Montrial c. Kuet Leong Ng, [1989] 2 R.C.S. 429, 62 D.L.R. (4th) 1).
21Les crit~res retenus par la Cour pour ddterminer s’il y a abus de confiance sont les suivants:
(1) le caract~re confidentiel des renseignements, (2) leur communication h titre confidentiel et (3)
leur emploi abusif par la personne h laquelle ils ont 6t6 communiqu6s (LAC Minerals, supra, note
18 A la p. 608).
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McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
ciations oii d’aucune fagon les parties ne se sont engag6es h contracter. Lorsque
les n6gociations sont rompues pour cause de m6sentente, mais en toute bonne
foi, il semble a priori impossible qu’il en r6sulte une sanction. Puisqu’il s’agit
d’une obligation de moyen, aucun des cocontractants n’a l’obligation de fournir
un contrat valable A l’autre partie. Cependant devons-nous en arriver i la mame
conclusion lorsque les n6gociations sont rompues apr~s une longue p6riode de
pourparlers, h cause de l’attitude malveillante d’un des contractants qui n’a pas
de motifs valables ? Ne pouvons-nous pas y voir un comportement socialement
inacceptable ? Lorsqu’une partie entame des n6gociations avec une autre partie,
non pas dans l’intention d’en venir h une entente, mais bien dans le seul but
d’obtenir, par exemple, de l’information privil6gi6e, nous sommes d’avis que le
responsable de la rupture des n6gociations a commis une faute qui peut donner
ouverture h la responsabilit6 d6lictuelle. La difficult6 r6side dans la preuve de
la faute et dans l’6valuation du pr6judice subi. La jurisprudence qu6b6coise est
muette A cet 6gard’, bien que la doctrine reconnaisse le recours d6lictuel’. I1
semble que ce soit le seul cas oft le droit qu6b6cois offre un recours lors d’une
rupture de pourparlers. La limite de l’obligation de bonne foi semble atre la sui-
vante : il y aura mauvaise foi lorsque la rupture des n6gociations est li6e h l’in-
t6ret d’un des cocontractants h obtenir des informations et non t conclure une
entente.
La rupture des pourparlers peut 6galement donner ouverture t un recours
sur la base de l’abus de droit. Le contractant a abus6 de son droit de n~gocier
et de contracter et a caus6 pr6judice h son cocontractant, qui a peut-6tre perdu
une occasion d’affaires, puisqu’il n6gociait une entente avec lui. Dans ce
domaine, la th6orie de l’abus de droit ne fait pas double emploi avec la notion
de faute d6lictuellez4. L’utilisation de ce m6canisme juridique permettra de sanc-
tionner des situations oft l’une des parties agit sans malice ou mauvaise foi,
autrui z .
c’est-h-dire sans intention de nuire, mais cause par ailleurs pr6judice
IE. La phase contractuelle
La bonne foi est d6terminante h la formation du contrat. Le contrgt est
form6 lorsqu’il y a accord de volont6s. Le consentement doit cependant 8tre
2Cette r~alit6 s’explique par le fait que dans la pratique, les contractants utilisent des lettres
d’intention ou signent des engagements de non divulgation et de confidentialit6, afin de s’assurer
d’une base s6rieuse de n6gociation et du fait mime, de la bonne foi des parties.
IV. Karim, Les contrats de rdalisation d’ensembles industriels et le transfert de technologic,
Cowansville, Qua., Yvon Blais, 1987 A lap. 64 ; M. Bourgeois, ( Protecting Business Confidences:
A Comparative Study of Quebec and French Law
(1987) 3 I.P.J. 259 a la p. 270 et s.
24Ghestin, supra, note 13, n° 228. Notons 6galement qu’en mati~re de droit de la consommation,
l’art. 27 L.p.c. sanctionne express6ment la rupture des pourparlers. Cet article est toutefois peu uti-
lis en pratique.
2Depuis I’arrt de ]a Cour supreme dans Banque Nationale d Canada c. Houle, [1990] 3
R.C.S. 122, 74 D.L.R. (4th) 577, un abus de droit peut exister malgr6 l’absence de malice ou de
mauvaise foi. L’art. 7 C.c.Q. codifie cette notion 6largie de l’abus de droit. Pour sa part, l’obliga-
tion g6n6rale de bonne foi est codifi6e
l’art. 6 C.c.Q. Notons que cet article s’apparente h l’art.
2, al. 1 C.c.B.-C. qui est utilis6 comme base l6gale dans les cas de rupture de pourparlers. H.
Schonle, << Rapport suisse sur Ia bonne foi dans la formation du contrat > dansLa bonnefoi, supra,
note 11.
19921
CONGR S HENRI CAPITANT
1059
libre et 6clair6. II y a vice de consentement lorsque celui-ci a 6t6 obtenu suite
au dol de l’une des parties26. De fagon grn6rale, lorsque l’une des parties n’est
pas de bonne foi, le cocontractant pourra obtenir des dommages-int&rts et le
cas 6ch~ant, l’annulation du contrat.
L’obligation de bonne foi lors de la formation du contrat a une portre qui
va bien au-delh de l’6poque de la conclusion du contrat. Elle a un impact direct
sur l’interpr6tation des clauses et l’6tendue des obligations qui en drcoulentzT.
En effet, la Cour d’appel, dans l’affaire Drouin, a conclu un abus de droit suite
un cong~diement sans prravis en tenant compte de la nature de la convention,
du contexte social, mais 6galement du climat de confiance existant lors de la
signature du contrat, les parties < s'6tant sans doute mutuellement accord6 une
certaine latitude compatible seulement avec leur bonne foi >>’. Le juge a donc
tenu compte de l’6tat d’esprit des parties lors de la conclusion du contrat afin
de d6limiter l’6tendue des obligations qui lui 6taient implicites. Le r6le du tri-
bunal 6tant l’interpr6tation du contrat, cette approche n’est-elle pas plut6t la
revision du contrat ?
Dans le cadre du Code civil du Qugbec, le pouvoir d’intervention des tri-
bunaux sera accru, notamment par l’article 1437 qui leur permet d’annuler ou
de r6duire les clauses abusives dans les contrats d’adh6sion ou de consomma-
tion. La bonne foi intervient alors comme mod6rateur, en imposant une limite
a la libert6 de contracter. Cet article permet de contrer l’infgalit6 des forces des
contractants et le d6s6quilibre qui en r6sulte dans l’6conomie du contrat, en ne
donnant effet qu’aux clauses nfcessaires A la finalit6 du contrat. N’agira pas de
bonne foi celui qui profitera de la faiblesse de son cocontractant pour nrgocier
pour lui-m~me des conditions avantageuses et non pertinentes au contrat. Ainsi,
cette disposition reconnait une forme de lesion entre majeurs en droit civil qu6-
brcois, ofi la bonne foi joue un r6le de protection et impose des limites dict6es
par ce qui est moralement et socialement acceptable; la bonne foi est alors une
norme de comportement.
Les tribunaux devraient interpreter largement cette disposition puisqu’elle
vise a protrger la partie 6conomiquement faible et a r6tablir un juste 6quilibre
contractuel zg. Le Code civil du Quibec visant A promouvoir une nouvelle phi-
losophie qui tend vers une plus grande justice contractuelle, nous osons esprrer
que cette disposition sera utilisre A bon escient et que les tribunaux ne seront
pas trop rrticents A lui donner effet, 6tant donn6 que la d6finition du contrat
2 6Art. 993 C.c.B.-C. ; Saulnier c. Giasson, [1990] R.D.I. 578 (C.Q.). Dans cette affaire, le tri-
bunal annule une clause de garantie conventionnelle obtenue suite au dol des acqureurs qui con-
naissaient l’existence du drfaut faisant l’objet de la garantie.
27L’art. 1437 C.c.Q. pr6voit la nullit6 ou la r6duction des obligations d6coulant des clauses abu-
sives dans les contrats de consommation et d’adh6sion et donne au tribunal le pouvoir de reviser
les termes du contrat.
28Drouin c. Electrolux Canada Ltde, [1988] R.J.Q. 950 A Ia p. 953.
2 9Telle est l’interprrtation retenue en mati~re de bail rrsidentiel, qui n’a malheureusement pas
souvent fait l’objet d’un examen judiciaire. Voir A ce sujet P.-G. Jobin, Trait de droit civil: Le
louage de choses, Cowansville, Qu6., Yvon Blais/Centre de recherche en droit priv6 et compar6
du Quebec, 1989, n* 170.
1060
REVUE DE DROIT DE McGILL
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d’adhrsion a une portre tr~s 6tendue et comprend ind6niablement plusieurs con-
trats commerciaux dans le domaine de la distribution (contrat de franchise) et
dans le domaine bancaire”. Ce que l’on doit retenir est que l’absence de pouvoir
de n6gociation fausse in6vitablement les r6gles du jeu. Dans ces circonstances,
que ‘on soit en presence d’un consommateur ou d’un commergant, le tribunal
sera justifi6 d’intervenir afin d’assurer une justice contractuelle.
A. Les r~gles applicables en vertu du Code civil du Bas-Canada
Le dol est le mrcanisme pr6vu au Code civil du Bas-Canada pour sanction-
ner l’absence de bonne foi h la formation du contrat. Le dol est essentiellement
une question de faits laiss~e
l’apprrciation du juge du fond”. ttant un fait juri-
dique, le dol peut se prouver par tous les moyens32.
Nous examinerons les trois types de dol reconnus par la doctrine et la juris-
prudence, soit: les manoeuvres frauduleuses, les fausses repr6sentations et la
r6ticence ou dol nggatff. Les deux premiers sanctionnent la mauvaise foi de
l’une des parties, tandis que le troisi~me vise plut6t l’atteinte au devoir de
loyaut6 qui doit exister dans toute relation contractuelle.
1.
Les manoeuvres frauduleuses
Le dol peut r~sulter de tromperies ou machinations qui visent A induire en
erreur l’autre partie et l’amener A contracter. Le Code civil du Bas Canada sanc-
tionne une telle atteinte au principe de la bonne foi dans la formation du contrat
son article 993. Nous n’avons pas l’intention d’insister sur les formes de dol
ofi le cocontractant est clairement de mauvaise foi. Notons simplement que les
tribunaux sont intervenus dans les cas suivants : l’agent immobilier qui refuse
l’acc~s de jour A la propri6t6 qu’il est charg6 de vendre afin de cacher certains
vices 33 ; l’offre d’un montant forfaitaire pour 6viter que l’acheteur ne proc~de h
l’inspection de l’objet vendu 34 ; le gonflement du montant des taxes fonci~res
pour camoufler le cofit reel de la proprirt6 et ainsi 6viter que l’acheteur n’en
nrgocie le prix35.
30Art. 1379 C.c.Q. R6cemment la Cour sup~rieure a statu6 qu’un pr~t hypoth~caire constituait
un contrat d’adh6sion. La Cour fonde son raisonnement entre autres sur le d6s6quilibre contractuel
dfi
l’inrgalit6 des forces en presence lors de la nrgociation et de ]a conclusion du contrat (Banque
Royale du Canada c. Caisse Populaire de Rock Forest (28 f6vrier 1992), Saint-Frangois (Sher-
brooke) 450-05-000415-889, J.E. 92-547 (C.S.)).
31Tancelin, supra, note 2, n° 131 : << I1 n'y a pas de crit~re juridique du dol, pas plus qu'il n'y
32Baudouin, supra, note 1, n* 164 ; Tancelin, ibid. n, 134 ; FlamontRealties Inc. c. Socitdhnmno-
bilire Desjardins, Losier, Molson Inc. (27 novembre 1989), Montrral 500-05-008170-886, J.E.
90-307 (C.S.).
en a de sa face positive, ]a bonne foi. >>
33Massie c. Banque d’pargne de la Cite et du District de Montreal, [1990] R.D.I. 377 (C.Q.)
(en appel) [ci-apr~s Massie].
Brien].
34Brien c. Lemelin (7 mars 1989), Montreal 500-09-000801-852, J.E. 89-634 (C.A.) [ci-apr~s
35Carridre-Arbour c. S.A.B.E. Canada Ltde, [1990] R.D.I. 592 (C.Q.) [ci-apr6s Carrire-
Arbour].