INTRODUCTION :
DU TOURISME AU SYSTEME TOURISTIQUE
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INTRODUCTION
Générant plusieurs centaines de millions de déplacements annuels, le tourisme constitue aujourd’hui à
l’échelle mondiale l’une des activités économiques majeures tant en termes de valeur ajoutée, de capitaux
investis que d’emplois. Il est hasardeux d’en chiffrer l’importance car la définition opérationnelle du secteur
reste floue (confusion entre les déplacements pour motifs d’affaires et de loisirs, prise en compte de la valeur
produite par l’ensemble du secteur du voyage, … ) et que les statistiques sont entachées de nombreux biais.
Toutefois, selon les estimations de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), il représenterait près de
12% du produit intérieur brut mondial, 7% de l’investissement et 11% de la main-d’œuvre. Le poids
économique du tourisme varie fortement selon le volume des flux reçus et le degré diversification des
structures économiques des Etats. Si sa contribution à la richesse nationale atteint rarement 5% dans les Etats
développés, notamment en Belgique, elle peut nettement dépasser ces valeurs dans certains Etats du Tiers
Monde, en particulier dans les îles touristiques. Aux Bahamas, par exemple les recettes du tourisme
international représentent 75% de la valeur des exportations de biens et services et près de 40% du produit
intérieur brut.
Du fait de nos expériences personnelles et de nos rencontres, nous possédons tous une image intuitive de ce
qu’est ou de ce que pourrait recouvrir la notion de tourisme. Pourtant, comme le souligne Boyer (1972 : 7),
pour qui veut écrire sur le tourisme, le plus difficile est de le définir. En effet, le fait touristique, derrière son
apparente simplicité, se révèle rapidement d’une complexité extrême car il repose sur une forme de
déplacement dont les contours sont particulièrement flous : combien de kilomètres doit-on franchir depuis
son domicile pour être considéré comme touriste, quelles motivations sous-tendent ce déplacement, quels
biens ou services doit-on consommer, … .
LE TOURISME : UN CONCEPT A GEOMETRIE VARIABLE
Au total, le tourisme se conçoit comme une forme de mobilité temporaire, motivée par la recherche
d’agrément, qui s’effectue en-dehors du domicile habituel, pour une durée supérieure à au moins 24 heures et
comprend donc au minimum une nuitée. Il peut s’exprimer par diverses formules de voyages qui vont du
séjour dans un lieu touristique (pratique sédentaire) au circuit à travers un territoire plus ou moins étendu
(pratique itinérante) (Urbain, 1993). Ces pratiques peuvent être auto-produites par le consommateur lui-
même (sélection des destinations, réservation en individuel des prestations touristiques, voire, comme dans le
cas du camping-caraving, auto-organisation de l’hébergement) ou, au contraire, produites par des entreprises
spécialisées dans l’assemblage des prestations touristique (Cazes, 1992a).
Le tourisme est aussi l’ensemble des activités économiques qui sont liées aux pratiques touristiques, à savoir
des prestations variées dans le domaine des services, qui portent tant sur l’accueil des visiteurs dans les zones
réceptrices (hébergement, restauration, animation, …) que sur le transport et l’encadrement de ces visiteurs
depuis les zones émettrices, ou la confection et la distribution de produits touristiques, sans oublier leur
promotion par les structures d’encadrement du tourisme.
ACTEURS, ACTIVITES ET ESPACES TOURISTIQUES
Pratiques et activités touristiques définissent un système complexe qui met en relation des espaces variés, des
acteurs diversifiés et les facteurs socio-économiques et politiques qui infléchissent les uns et les autres
(figure 1). Au cœur de ce système se trouve les flux (de personnes et d’argent) qui s’expriment dans le cadre
des déplacements touristiques depuis un espace émetteur vers un espace récepteur. En première lecture, ces
flux, qui résultent de la formation d’une demande touristique dans les espaces émetteurs, sont fonctions des
distances et des obstacles entre les lieux mis en relation ainsi que de l’attractivité des destinations.
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2
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Figure 1 : Le système touristique.
Légende : Les termes en gras minuscule représentent les espaces mis en relation par le tourisme, ceux en
GRAS MAJUSCULE les flux générés par le tourisme, ceux en italiques les acteurs qui infléchissent les
échanges touristiques et en italiques leurs modalités d'intervention, ceux soulignés les principaux facteurs de
flux touristiques. MET signifie "Mise en tourisme", qu comprend l'invention des ressources touristiques, leur
équipement et la médiation entre ces ressources et le public.
Dans les espaces émetteurs, la demande touristique dépend à la fois des rythmes sociaux, en particulier de la
durée et la répartition du temps de travail, du revenu disponible et des représentations collectives en vigueur
à propos des usages du temps libre. Elle varie fortement, dans son intensité et sa nature, selon le statut socio-
économique des ménages et les étapes de leur cycle de vie : les taux de départ en vacances sont plus élevés
pour les adultes murs (35-45 ans), disposant d'un revenu élevé et d'un capital culturel important.
Les distances (exprimées en temps, coût de déplacement ou en termes d'altérité socio-culturelle) pèsent
lourdement sur le volume des flux touristiques. Il en résulte une structuration des espaces touristiques en
grands bassins disposés de manière grossièrement concentrique autour des principaux foyers émetteurs que
sont l'Europe occidentale, l'Amérique du Nord et, dans une moindre mesure, le Japon et l'Australie. Comme
le rappelle l'actualité récente, les flux sont également fonction des risques perçus ou effectifs qui pèsent sur le
déplacement vers / ou le séjour dans un espace récepteur. Ces risques de déclinent classiquement en risques
sanitaires et politiques, les seconds occupant une place grandissante dans le choix des destinations de
vacances. Enfin, les flux dépendent également des règles édictées par les Etats émetteurs pour
éventuellement endiguer l'émission touristique intra et ou internationale et des mesures mises en œuvre par
les Etats récepteurs pour limiter l'accueil des visiteurs.
Enfin, l'orientation des flux touristiques dépend de l'attractivité différentielles des espaces récepteurs.
Souvent mesurée à l'aune de la seule présence de ressources rares (plages ensoleillées, mers chaudes,
patrimoine culturel de qualité, …), l'attractivité des espaces touristiques est en fait une construction sociale,
TOUR-F-408 – ECONOMIE DU TOURISME
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qui résulte de l'interprétation de la qualité des lieux par les touristes eux-mêmes, les populations qui les
accueillent et les acteurs du secteur touristique (Equipe MIT., 2002).
Ces derniers se divisent classiquement en deux sphères : la sphère commerciale et la sphère territoriale
(Cazes, 1992a). La première regroupe les différents acteurs qui suscitent, organisent, encadrent, acheminent
et accueillent les consommateurs touristiques. Y figurent notamment les compagnies de transport, les chaînes
intégrées dans le secteur de l'hébergement, de la restauration ou de l'animation, les entreprises et réseaux de
production et de vente de voyages, ainsi que les sociétés qui leur fournissent des services (études de
faisabilité, publicité, …) ou des capitaux. Les acteurs de la sphère commerciale exercent une influence forte
sur les espaces récepteurs : ils en assurent la sélection, sur base essentiellement de critères économico-
techniques (bonne accessibilité, infrastructures performantes d'hébergements, main-d'œuvre qualifiée,
stabilité économique ou politique, …), y réalisent des investissements parfois substantiels et y imposent
diverses formes de contrôle (définition de normes de qualité, pression à la baisse sur les prix, sélection stricte
de la main-d'œuvre, …). Ils jouent également un rôle important dans les espaces émetteurs, tant par la
publicité qu'ils font de leur produits – et donc, indirectement des destinations qui en sont le support – que par
la commercialisation de ces mêmes produits.
La sphère territoriale quant à elle regroupe les acteurs locaux du tourisme dans les espaces récepteurs, à
savoir, d'une part, les entrepreneurs privés ou les associations qui, sans être intégrés dans la sphère
commerciale, offrent des prestations
touristiques ou para-touristiques (hébergement, restauration,
commerces, organisation de visites, …) et, d'autre part, les structures d'encadrement, publiques ou
parapubliques, du secteur touristique (collectivités locales et régionales, Etat) qui sont amenées à définir les
règles économiques, sociales et urbanistiques en vigueur dans le champ du tourisme, à financer et organiser
l'aménagement des zones touristiques tout en assurant des fonctions de promotion dans les espaces
émetteurs.
* *
*
TOUR-F-408 – ECONOMIE DU TOURISME
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CHAPITRE I :
LA FORMATION DES FLUX
LA DISPONIBILITE DE TEMPS LIBRE : UNE CONDITION NECESSAIRE DU
TOURISME
Une condition est un état, une situation, un fait dont l'existence est indispensable pour qu'un autre état,
au autre fait existe (Petit Robert). Une condition ne peut s'apparenter à une cause. En effet, si une condition
fait partie de l'environnement d'un état ou d'un fait, elle n'en pas pour autant la cause. En conséquence, il faut
admettre qu'un phénomène est produit par une cause sous certaines conditions ou que dans un ensemble de
déterminations, l'une est censée être la cause (ce qui est à l'origine) alors que les autres ne sont que les
conditions.
Sans temps libre, pas de tourisme. En effet, pour entreprendre un voyage d'agrément, il est nécessaire d'avoir
du temps. Derrière ce truisme, se cache une réalité complexe, car si la durée et la répartition du temps libre
dépendent d'abord de la législation et / ou des réglementations professionnelles en vigueur, elle est également
fonction du statut socio-professionnel des individus. Par exemple, l'intervention croissante de l'Etat dans la
sphère des relations entre les travailleurs et les entreprises s'est traduite par la mise en oeuvre, puis
l'extension, des congés payés à date déterminée. En ce sens, elle a largement élargi le volume de touristes
potentiels. A l'inverse, les rythmes de travail dans certains secteurs d'activité, par exemple l'agriculture,
interdisent de consacrer de longues plages de temps au loisir ou au tourisme.
De manière plus générale, la durée du "temps contraint" ou "temps semi-libre" (déplacements domicile-
travail, tâches d'entretien, d'auto-construction, de travail clandestin, …) varie sensiblement d'une catégorie
sociale à l'autre. En France, par exemple, plusieurs indicateurs soulignent que le temps contraint diminue
lorsque le statut social augmente. C'est ainsi que le temps pris pour faire la cuisine est plus de deux fois plus
court chez les femmes de cadre que chez les femmes d'ouvrier. Des écarts comparables se rencontrent en ce
qui concerne le temps de travail ménager. En effet, les appareils ménagers qui permettent de réduire le temps
nécessaire consacré à l’organisation du repas comme le lave-vaisselle, le congélateur ou le four à micro-
ondes se sont diffusés très lentement parmi les familles populaires, contrairement aux appareils comme la
télévision et le magnétoscope, ou l’on observe peu d’effet de catégorie sociale. A peine 1/4 des familles
populaires sont équipées d’un lave-vaiselle à la mi 1990, contre près de 2/3 des familles de cadres. Près de la
moitié des familles de cadres disposent d’un four à micro-ondes contre à peine 20% des employés et des
ouvriers et 8% du personnel de service.
De plus, la part du temps libre sensu stricto consacré à la pratique réelle du loisir est également contrôlée par
l'appartenance sociale. En effet, le temps consacré à des activités choisies en dehors des normes, des rites et
des tâches imposées ou contrôlées par des institutions religieuses ou politiques varie selon les catégories
sociales.
Temps de vie et temps libre en France (en heures) – Selon J. Viard (2006) – Pour le travail, est pris en
compte une carrière complète, qui dans les conditions contemporaines donne droit à une pension pleine.
1900
1950
2002
Espérance de vie
500.000
600.000
700.000
Etudes
Travail
5.000 (1%)
15.000 (2%)
30.000 (4%)
195.000 (39%)
125.000 (21%)
65.000 (9%)
Sommeil
200.000 (40%)
210.000 (35%)
225.000 (32%)
Temps libre
100.000 (20%)
250.000 (42%)
380.000 (54%)
TOUR-F-408 – ECONOMIE DU TOURISME
5
LES FACTEURS DU DEPLACEMENT TOURISTIQUE
Le non-départ peut résulter d’un choix personnel : la série consacrée l'été 1998 “aux vacances à domicile”
par le quotidien Libération présentaient des amoureux de leur domicile ou de leur ville, qui souhaitaient à
tout prix éviter les autoroutes surchargées et les plages bondées. En France, selon l'enquête permanente sur
les conditions de vie réalisée en 1999, en moyenne 1 personne sur 5 qui ne sont pas parties en vacances
mentionne qu'il s'agit d'un choix délibéré. La part des non-départs par choix varie en fonction de l'âge : elle
est inférieure à la moyenne chez les 20 – 39 ans (minimum = 10 % pour les personnes âgées de 25 à 29 ans)
et supérieure aux âges plus élevés (maximum = 31 % pour les personnes âgées de 60 à 64 ans).
Le non-départ est donc avant tout le fruit d’une contrainte, d’un handicap. En Europe, les personnes qui ne
sont pas parties invoquent le plus souvent des raisons financières. L'enquête française sur les conditions de
vie montre ainsi que le facteur financier est mentionné en moyenne par 37% des non-partants, avec de fortes
variations selon l'âge : la proportion dépasse 45% en-deçà de 60 ans et reste inférieure à 30% aux âges plus
élevés. Les autres raisons invoquées en cas de non-départ sont respectivement les contraintes familiales (18%
en France), médicales (10%) et professionnelles (8%), avec à nouveau de fortes variations selon l'âge.
FACTEURS ECONOMIQUES
Faire du tourisme exige de disposer de ressources financières. En effet, les dépenses de vacances ne pas
négligeables. En 1999, en France, 35 % des ménages partis déclaraient avoir dépensé entre 150 et 750 € pour
leurs vacances d'été, et autant entre 750 et 2.250 €. Pour les vacances d'hiver, 45% des ménages déclaraient
avoir dépensé entre 150 et 750 € et 28 % entre 750 et 2.250 €.
En dépit de sa démocratisation, le tourisme n'est pas encore accessible à tous, loin s'en faut. Trop souvent
encore, les dépenses consacrées à la satisfaction des besoins élémentaires (nourriture, logement, habillement)
engloutissent la majeur partie du revenu. De ce point de vue, il faut rappeler la "loi" d’Engel, du nom du
statisticien allemand qui l’a formulée le premier dès les années 1950. Selon Engel, la part des dépenses
nécessaires et incompressibles (i.e. sans arbitrages possibles a sein du ménage, voir par exemple la
distinction entre dépenses pour le déplacement domicile-travail et celles pour une sortie le week-end) est
inversement proportionnelle au montant du budget disponible : elle tend à croître lorsque le total des
dépenses décroît et, inversement, à diminuer lorsque le montant du budget augmente. Les données récentes
témoignent de l’actualité de cette observation : la proportion des dépenses incompressibles est de l’ordre de
50% pour les ménages d’ouvriers et d’agriculteurs (dépenses totales comprises entre 110 et 125.000 FF) et
seulement de l’ordre de 30-35% pour les ménages de gros indépendants et de cadres supérieurs (dépenses
totales comprises entre 230 et 265.000 FF). Cela s’explique notamment par les dépenses alimentaires. Ce
sont les plus incompressibles de toutes, celles que tout ménage doit nécessairement et quotidiennement
assumer, quel que soit son budget global. Comme le souligne A. Bihr et R. Pfefferkorn, on peut sans doute
rogner sur elles, mais pas au-delà d’un certain seuil, à moins de compromettre la santé et l’avenir des
membres du ménage. Inversement, quand le revenu disponible croît et que les dépenses de consommation
courantes peuvent elles-même augmenter en conséquence, un ménage peut certes "améliorer l’ordinaire" …
mais chacun de ses membres n’en a pas moins un seul estomac. En conséquence, les dépenses d’alimentation
croissent moins vite que l’ensemble des dépenses : leur part est donc d’autant plus réduite que le budget du
ménage est élevé (entre 21 et 26% pour les ouvriers et les agriculteurs; entre 11 et 13% pour les gros
indépendants et les cadres supérieurs).
Cet aspect de la structure des budgets des ménages est fondamental. En effet, lorsque la part des dépenses
incompressibles est élevée, le montant des dépenses "élastiques" est faible. Du même coup, les possibilités
d’opérer des arbitrages, des choix, entre les différents postes budgétaires se restreignent. Car économiser sur
un tel poste au profit de tel autre n’est possible (objectivement) et n’a de sens (subjectivement) qu'à la
condition que cette économie ne réduise pas le poste amputé à la portion congrue et permette un gain
substantiel par ailleurs. Un exemple permet de comprendre ces mécanismes. En 1989, un ménage de cadre
supérieur a dépensé en moyenne 22.100 FF sur le poste "habillement". S’il avait choisi de restreindre ses
dépenses sur ce poste de 50%, celles-ci n’en seraient pas moins restées supérieures à celles d’un ménage
d’ouvrier au cours de cette même année (11.800 contre 9.000 FF) Avec les économies réalisées, il aurait pu
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augmenter de 55% ses dépenses en faveur des “sorties et vacances”. Pour atteindre de pareils résultats, un
ménage d’ouvrier aurait dû réduire ses dépenses d’habillement à 450 FF par mois, autant dire à sacrifier
presque entièrement ses dépenses pour ce poste. Bref un véritable ascèse.
En un mot, pour les uns, économiser sur un poste au profit d’un autre est possible. Pour les autres, cela n’est
possible qu’au prix de rudes sacrifices, voire tout simplement impossible. On est le plus souvent contraint de
vivre au jour le jour, bon an mal an, sans grande capacité à anticiper sur l’avenir. Il ne faut chercher plus loin
l’explication de l’imprévoyance paradoxale des pauvres, souvent dénoncées par les travailleurs sociaux.
Il importe que l'état de santé du touriste potentiel soit satisfaisant . Autrement dit, la maladie et l'incapacité
physique peuvent constituer des obstacles insurmontables.
FACTEURS MEDICAUX
FACTEURS DEMOGRAPHIQUES
L'âge ou, de manière plus générale, la position dans la cycle de vie joue également un rôle important. Avoir
des enfants en bas âge par exemple peut constituer un sérieux handicap lorsqu'il s'agit d'entreprendre un
voyage. A l'inverse, l'accès à la retraite permet, dans certaines catégories sociales, de réaliser enfin un
voyage.
FACTEURS SOCIAUX
Les recherches sur la consommation privée montrent que lorsque deux catégories sociales différentes
peuvent consacrer à la consommation des sommes voisines, elles ne les affectent pas au même bien. Une
comparaison des budgets moyens de ménages français des différentes catégories sociales, à montant global
de consommation a peu près égal, donc à des dates différentes, est très révélatrice à cet égard. Elle indique
notamment qu'à niveau de vie égal, un ménage de cadre supérieur consacrait trois fois plus à ses dépenses
culturelles en 1951 qu'un ménage d'ouvrier qualifié en 1971. La différence est d'autant plus nette, qu'entre
ces deux dates, le marché des biens et services culturels ou touristiques a connu une formidable extension. Il
s'agit là d'une preuve que les dépenses de culture et loisirs font partie des priorités des catégories aisées, mais
pas des groupes moins favorisés (qui consentent des dépenses plus importantes d'apparence sociale [soins et
hygyène, habillement, … et équipement du logement]).
SYNTHESE
Au total, la capacité à voyager dépend pour l'essentiel du statut social et professionel de chaque individu :
elle traduit l'appartenance sociale. Il en résulte que les taux de départ en vacances varient très fortement selon
les catégories socio-professionelles. En France, par exemple, les membres des catégories populaires se
situent en-dessous de la moyenne : plus des deux tiers des agriculteurs ne sont pas partis en 1992, de même
que près de la moitié des ouvriers et des personnels de service. Les catégories moyenne se situent plutôt à un
niveau intermédiaire : un peu plus du tiers des employés et des patrons de l’industrie et du commerce ne sont
pas partis en 1992. Au contraire, les cadres moyens partent presque aussi souvent que les cadres supérieurs et
les professions libérales : 20% des premiers et 10% des seconds seulement ne sont pas partis en vacances en
1992. L’analyse de données rétrospectives montre cependant que les écarts ont eu tendance à se réduire : en
1964, les cadres supérieurs et les professions libérale partaient en vacances presque aussi souvent
qu’aujourd’hui, en revanche, les agriculteurs, les petits patrons et les ouvriers partaient nettement moins.
* *
*
TOUR-F-408 – ECONOMIE DU TOURISME
7
CHAPITRE II :
L'ATTRACTIVITE TOURISTIQUE
INTRODUCTION
Comme nous le verrons au chapitre X, les flux touristiques se répartissent de manière très inégale à la surface
de la terre. De toute évidence, il existe des régions attractives, d'autres qui le sont moins et d'autres enfin qui
ne le sont pas du tout.
Lorsqu'il s'agit de comprendre pourquoi certains lieux sont devenus touristiques et pourquoi parmi ces lieux
certains sont davantage fréquentés que d'autres, la littérature scientifique évoque généralement la présence de
ressources rares et exceptionnelles. L'hypothèse sous-jacente est que chaque lieu a des qualités intrinsèques,
objectivables, qui conditionneraient sa touristicité (potentialité d'attrait touristique d'un territoire) et agiraient
de façon déterminée sur les flux.
LES RESSOURCES TOURISTIQUES
Les recherches consacrées à l'attractivité touristique distinguent en général trois types de ressources : les
ressources primaires, secondaires et complémentaires. Les premières comprennent l'ensemble des lieux (site
naturel, église, musée, aquarium, …), activités (brocante, festival, …) ou caractéristiques (ensoleillement,
paysage, gastronomie, …) d'un territoire qui sont objets de tourisme, autrement dit qui motivent le
déplacement depuis le lieu de résidence habituel à des fins de loisir et jouent donc un rôle déclencheur pour
les pratiques touristiques. Les ressources secondaires rassemblent pour leur part les éléments (lieux, activités,
caractéristiques) d'un territoire au service d'un tourisme déclenché par les ressources primaires et qui ne sont
pas au service des résidents. Elles comprennent pour l'essentiel des éléments ayant trait à l'accessibilité
(information, fléchage, stationnement, …), à la restauration et à l'hébergement. Les ressources ou éléments
complémentaires, enfin, étoffent la gamme des services offerts aux touristes. Elles consistent notamment en
commerces, espaces verts ou rues piétonnes.
A mon sens, il convient de limiter la notion de ressources touristiques aux seules ressources primaires, qui
motivent le déplacement. En effet, les ressources dites secondaires et complémentaires relèvent d'une toute
autre logique, celle de rendre possible et/ou faciliter le déplacement vers et le séjour dans une destination
donné. En ce sens, elles constituent des conditions de réalisation du tourisme, conditions qui seront
présentées plus loin. Dans certaines circonstances, ces éléments peuvent toutefois devenir des ressources
touristiques à part entière. C'est le cas de certains hôtels de luxe à l'architecture soignée, de certains
restaurants prestigieux ou encore d'espaces commerciaux hors normes.
1.1. LES MOBILES DU DEPLACEMENT
Les recherches sur les ressources touristiques primaires sont peu nombreuses et souvent fastidieuses. Elles se
présentent le plus souvent sous forme d'énumérations ou de listes, sans plus. Aucune tentative de synthèse
n'existe en la matière, sauf dans le cas des ressources climatiques.
L'analyse des ressources touristiques primaires s'appuie fréquemment sur une distinction entre ressources
naturelles et artificielles. Les premières comprennent des éléments topographiques, des éléments aquatiques
(mer, cours d'eau et plans d'eau, pluie, …), des éléments solides (neige, glace), des éléments aériens
(température, vent, lumière, couleurs, ciels, luminosité, …)], la flore et la faune ainsi que les paysages
résultant de la combinaison des éléments précédents. Les secondes rassemblent tous les éléments créés par
les sociétés humaines et qui sont devenus objets de tourisme.
La distinction entre ressources naturelles et artificielles n'est plus pertinente à l'heure actuelle. En effet, elle
repose sur une vision dichotomique et caricaturale de la Nature et de la Société : l'une et l'autre sont conçues
comme des entités disjointes, relevant de processus autonomes. Aujourd'hui émerge enfin l'idée qu'il ne peut
y avoir de Nature en dehors du regard de l'Homme ou plus exactement des sociétés : aucune nature n'est
TOUR-F-408 – ECONOMIE DU TOURISME
8
jamais vierge, puisque notre regard n'est jamais vide (Roger, 1978). La Nature est donc, au même titre que
la Culture, une production sociale : elle procède de la construction du regard sur elle, de sa mise en désir, …
Dans leur manuel de géographie du tourisme, J.-M. Dewailly et E. Flament proposent d'établir une
distinction entre éléments non créés à des fins touristiques et éléments créés à des fins touristiques. Les
premiers sont des lieux, activités ou caractéristiques d'un territoire qui, avant de devenir objets de tourisme,
étaient investis ou utilisés pour d'autres usages. Dans ce cas, lorsque les fonctions initiales se perpétuent,
plusieurs usages différents, voire antagonistes, peuvent coexister, ce qui se traduit fréquemment par des
conflits entre utilisateurs. Les éléments non créés à des fins de tourisme recouvre largement la notion de
patrimoine, qu'il soit naturel (voir liste ci-dessus)ou culturel, ce dernier pouvant être matériel (espaces bâtis
et aménagés, mobilier, costumes, gastronomie, …) ou immatériel (langue, folklore et fêtes diverses, …).
Pour la plupart, il s'agit de biens ou de pratiques héritées du passé auxquels les contemporains accordent une
valeur suffisante pour qu'elle donne lieu tant à des mesures de protection / conservation qu'à une ouverture au
public.
Les ressources créées à des fins de tourisme rassemblent des éléments du territoire conçus à l'origine en
fonction d'un usage touristique et qui, bien qu'éventuellement accessibles aux locaux, ne prennent leur sens
complet qu'avec cet usage. Peuvent être mentionnés, les équipements culturels et récréatifs aménagés dans
les stations thermales ou balnéaires (casinos, night-clubs, théâtres, salles de concert, …), les équipements
sportifs les parcs d'attractions et autres complexes de loisirs aquatiques, voire les opérations de rénovation
urbaine incorporant une volonté de développement touristique (fronts d'eau, quartiers sauvegardés, …).
Les éléments d'un territoire qui sont objet de tourisme peuvent à la fois constituer une ressource et influencer
la vie touristique en lui offrant des conditions plus ou moins favorables, voire dans certains cas en s'imposant
comme contrainte ou contre-ressource. En Thaïlande, par exemple, la prostitution constitue à la fois une
ressource touristique, car elle est susceptible de déclencher une pratique touristique, et une contrainte, car
elle favorise la diffusion du SIDA et amoindrit en ce sens le potentiel touristique.
1.2. LA MISE EN TOURISME : LA CONSTRUCTION SOCIALE DES RESSOURCES TOURISTIQUES
La littérature consacrée aux ressources touristiques tend à masquer un fait essentiel : la présence en un
endroit d'éléments supposés être attractif ne suffit pas à donner naissance à un lieu touristique. On pourrait
facilement montrer en effet qu'il existe parmi les espaces bénéficiant des fameuses ressources ou "matières"
plus de lieux vides de touristes que de lieux fréquentés. A l'inverse, il est aisé de mettre en évidence que des
lieux mal pourvus en lesdites ressources furent investis plus précocement par le tourisme que des lieux mieux
pourvus. C'est ce que constate Charles Mignon (1981) à propos de l'Andalousie : la côte de Malaga est la
moins ensoleillée du sud de l'Espagne, c'est pourtant là qu'apparurent les premiers hôtels. De la même
manière, comme le montre l'exemple du développement touristique de la Thaïlande, la croissance de la
fréquentation dans une destination n'est pas subordonnée, loin s'en faut, aux qualités intrinsèques des
ressources qu'elle offre.
Pour traiter de l'attractivité touristique il ne suffit donc pas de se placer du point de vue des lieux – et de leurs
soi-disant qualités intrinsèques -, il convient aussi d'adopter le point de vue des acteurs et de leurs projets.
Dans cette optique, l'attractivité touristique est le résultat d'une (ré)interprétation, par les touristes eux-mêmes
et les acteurs des sphères commerciale et territoriale du tourisme des qualités des lieux.
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TOUR-F-408 – ECONOMIE DU TOURISME