etre
être caissière (caissier)
Sophie Bernard
etre
caissière (caissier)
sommaire
10 Une journée de Nathalie,
caissière en hypermarché
18 Les collègues des caissières
22 Introduction
26 Qui sont les caissières ?
26 La grande distribution en quelques chiffres
35 Comment devient-on caissière ?
45 « Caissière » ou « hôtesse de caisse » ?
Un rapport ambivalent aux clients
44 SBAM : une relation dépersonnalisée
48 La pression des clients et les humiliations
quotidiennes
59 Les stratégies de résistances
65 La clientèle, une source de motivation au travail
* L’index p. 110 vous permet de retrouver dans le texte les thèmes qui vous intéressent particulièrement.
68 Les caissières sous pression
68 Des pressions multiples
76 Gérer les aléas
82 L’entrée dans le métier
84 Ménager son effort
92 Entre temps de travail
et temps hors travail
92 La flexibilité du temps de travail
101 Petits arrangements ou innovations
des structures
108 Conclusion
110 Index*
110 Sites et adresses utiles
Revues professionnelles et syndicats
111 Pour en savoir plus
Faut appeler un chat
un chat ! On est caissières !
Ça veut rien dire hôtesse
de caisse, c’est hypocrite !
T’es celle qui vient leur
demander de l’argent !
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Une journée de Nathalie,
caissière en hypermarché
Il est 14h lorsque Nathalie franchit les portes coulissantes du
centre commercial. C’est sous les lumières des néons et accom-
pagnée par la musique qui y passe en boucle tout au long de la
journée qu’elle se fraye un passage dans le flot de clients qui
arpentent les longues galeries marchandes avant de se heurter
à une interminable rangée de caisses. Elle passe la barrière de
l’hypermarché en saluant Samir, le vigile, ainsi que Laëtitia et
Sandrine, les deux hôtesses d’accueil à l’entrée du magasin, qui
semblent aux prises avec des clients mécontents.
Souriez, vous entrez en scène.
Nathalie regarde distraitement l’affiche avant de monter
l’escalier qui la mène dans l’espace réservé au personnel du
magasin. Passant devant la salle de pause au bout du couloir, elle
échange quelques mots sur l’état de santé de ses enfants avec
Sarah, une autre caissière qu’elle connaît maintenant depuis
plusieurs années. Nathalie a en effet tissé des liens d’amitié
avec un certain nombre de ses collègues depuis le temps qu’elle
travaille ici, douze ans déjà… Les caissières avec une telle
ancienneté se comptent sur les doigts d’une main. Nathalie a vu
beaucoup de monde passer ici, mais bien peu s’y éterniser…
Après avoir pointé, la caissière rejoint sa caisse.
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collègues de l’époque — histoire de gagner quelques minutes
avant de démarrer. À peine est-elle arrivée à sa caisse que les
clients se précipitent et déposent leurs articles sur le tapis de
caisse. Il y a déjà trois personnes qui attendent… Nathalie a
maintenant l’habitude, elle ne compte pas se presser davantage,
précisant sèchement aux clients qu’elle a besoin de quelques
minutes pour s’installer. Elle en profite pour saluer Nadège, la
collègue qui est placée derrière elle à une caisse d’écart. C’est
en effet une stratégie du manager de caisse que de laisser une
distance importante entre les caissières pour éviter qu’elles
discutent entre elles, au nom de la satisfaction du client.
Nathalie rentre son numéro de caissière, sort quelques
sacs à l’avance, vérifie qu’elle dispose de rouleaux de rechange
et entame la transaction par un « bonjour » adressé au client,
tout en passant les premiers articles au son du « bip » qui
va scander sa journée, et ce jusqu’à 21h30. Elle se dit que
la journée commence bien, ce client répond à sa salutation.
Préparation du fonds de caisse : la machine distribue pièces et billets.
Plus loin, elle croise un manager de rayon qu’elle salue au
passage, mais pour tout dire, elle ne le connaît pas vraiment. À
la rigueur a-t-elle eu l’occasion de côtoyer quelques employés
de rayon — des anciens en l’occurrence — mais, de manière
générale, il y a peu de contacts entre le personnel de rayon
et les caissières. Ce sont deux univers distincts au sein du
magasin. Elle regarde sa montre : 14h15. Tout va bien, elle est
dans les temps. Elle se change rapidement dans les vestiaires,
enfilant le tailleur gris peu seyant offert gracieusement par la
direction et y fixe son badge avec son prénom.
À 14h30, Nathalie pointe en caisse centrale où elle négocie
avec Françoise, la caissière centrale, pour obtenir une caisse
« carte fidélité ». Il existe plusieurs types de caisses : les
caisses « tous moyens de paiements », « moins de dix arti-
cles », « carte fidélité », « chèques et cartes bancaires » et
les caisses « prioritaires ». Au fil du temps, Nathalie a appris
à discerner les « bonnes » des « mauvaises » caisses. Elle
sait notamment qu’étant donné qu’il n’y a pas de possibilité
de paiement en espèces en caisse « carte fidélité », il n’y a
pas de fonds de caisse à décompter le soir, ce qui permet de
terminer plus tôt. En la matière, elle a pleinement conscience
du fait qu’elle jouit de quelques avantages réservés aux plus
anciennes. Malheureusement, toutes les caisses « carte fidé-
lité » étant attribuées, Nathalie se voit affectée sur une caisse
« tous moyens de paiements ».
Il ne lui reste plus qu’à se rendre en salle du coffre pour
y récupérer son caisson contenant son fonds de caisse et se
renseigner sur les opérations promotionnelles du jour pour
les mémoriser. Elle ne fait plus l’erreur de se presser comme
dans les premiers temps. Maintenant qu’elle a pointé, elle
peut prendre son temps — comme le lui avaient suggéré ses
etre
caissière (caissier)
« Les clients, t’as des fois l’impression qu’ils
te regardent comme une pauvre fille qui a raté sa vie
et qui n’a rien trouvé d’autre à faire que caissière.
C’est vraiment dur ça. »
Quel est le métier que nous pouvons tous et toutes exercer du jour au lendemain, sans
diplôme ni qualification ? Vous avez trouvé : caissière !
En théorie en tous cas, car dans la pratique ce métier bien mal considéré se révèle plus
complexe que ne l’imaginent les consommateurs que nous sommes. Placées en caisse
sans aucune formation, les caissières doivent remplir deux missions contradictoires :
accueillir chaleureusement le client tout en assurant une productivité élevée dans le
passage des articles. Seules l’expérience, la débrouillardise et l’entraide leur permettront
de gérer au mieux les multiples incidents qui perturbent le ronronnement du tapis de
caisse. Travail pénible, pression constante, salaire minimum, temps partiel subi, horaires
décalés et imprévisibles, le tableau reste sombre malgré quelques ouvertures.
Pourtant, bien qu’elles soient confrontées aux récriminations et humiliations des clients
— qui ont toujours raison —, c’est dans le contact avec la clientèle qu’elles disent trouver
un sens à leur travail.
L’auteur : Sophie Bernard est maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Dauphine et
membre de l’institut de recherche IRISSO. Elle a notamment enquêté sur les salariés de la grande
distribution et travaillé pour cela pendant six mois comme caissière dans un hypermarché parisien.
: une nouvelle collection pour découvrir, comprendre et vivre les métiers d’aujourd’hui.
∫ Les témoignages de nombreux professionnels sur leur pratique quotidienne.
∫ L’impact sur la vie personnelle : salaire, reconnaissance, stress, pénibilité,
place de la vie privée.
∫ Une présentation complète du secteur et des différents postes.
∫ Les sites et adresses utiles pour l’emploi, la formation…
12 ¤
ISBN 978-2-91452-882-5
9 782914 528825