Dossier / Quelle démocratie à l’école ?
Éducation et formation en Finlande :
contexte particulier et influence du mouvement Freinet
◄ Lycée «normal» d’Helsinki : une fois par mois,
réunion des futurs enseignants (toutes
disciplines confondues) sur des thèmes
transversaux animés par les enseignants
formateurs de cet établissement d’application
la construction d’un mythe républicain égalitariste
basé sur un centralisme jacobin. Un des résultats
médiatiques est l’appel de l’hebdomadaire Marianne
France: la république en danger!, alors qu’en réalité,
c’est la démocratie qui est en péril. L’étude du sys-
tème éducatif finlandais apporte, sous la forme d’un
négatif inversé, des éléments essentiels à la compré-
hension de la situation dans l’hexagone, en raison de
son clas sement en 1re place, dans les enquêtes de
l’OCDE, tant au point de vue de l’équité que de la
qualité des apprentissages.
Les observations sont issues d’un séjour effectué
en novembre 2008 à Helsinki et dans sa banlieue.
Un premier séjour de deux semaines m’avait permis
en 1990 de découvrir le sud du pays dans le cadre
d’une Rencontre internationale des éducateurs Frei-
net (RIDEF), dont le thème était « Éducation et iden-
tité culturelle ». C’est à la suite de cet événement que
le mouvement Freinet finlandais a trouvé une cer-
taine audience auprès du ministère de l’Éducation.
Le mouvement Freinet finlandais
Le mouvement Freinet finlandais, Elämänkoulu,
fondé en 1986, a joué un rôle déterminant dans les
réformes é du ca tives qui ont permis au pays d’at-
teindre les meilleurs résultats dans l’enquête PISA1,
plusieurs années consécutives. L’école Strömberg,
à Helsinki, est le siège de l’association nationale
École de vie (Elämänkoulu). Elle est présentée
comme vitrine du système éducatif par le ministère
de l’Éducation.
Professeure des écoles, ayant assuré des formations à la pédagogie
Freinet dans le Var, en Bulgarie et en Colombie, l’auteure promeut
un humanisme démocratique, coopératif et scientifique, et une éducation
à la pensée complexe pour les finalités de l’éducation. Doctorante
en Sciences de l’éducation à Aix-Marseille I, sa thèse porte sur
« La coopération internationale dans la recherche-action, un autre moyen
de concevoir et de mettre en œuvre la formation des enseignants ».
« Le terme “équité” fait partie du vocabu-
laire courant des études internationales en
éducation: “est équitable un système qui pro-
duit le moins d’inégalités possibles entre individus
et entre groupes d’individus”. » (Felouzis, 2008).
Les résultats des enquêtes internationales d’évalua-
tion font apparaître que la France présente un sys-
tème éducatif inéquitable et peu efficace. La sélection
en œuvre dans notre organisation scolaire est cachée
par un discours officiel visant la réussite éducative
pour tous. L’échec scolaire pèse dans la tête des élè-
ves culpabilisés, et cette violence symbolique se tra-
duit par des violences réelles. La différenciation des
termes démocratie et république n’est jamais réel –
lement travaillée dans le curriculum: ils sont utilisés
à tort comme synonymes par la majorité des Fran-
çais, ce qui les amène à ne pas comprendre les diffé-
rences du système bipartite états-unien. Jules Ferry
sert d’image emblématique, en réalité erronée, dans
1. OECD, PISA, survey
www.minedu.fi/OPM/Koulutus
/artikkelit/pisa-tutkimus/
n FLOrEnCE SAInt-LuC
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N’AUTRE école, n° 26, été 2010
Dossier / Quelle démocratie à l’école ?
repères : l’école en Finlande
■ OVnI – Le système éducatif finlandais fait figure d’ovni dans le
paysage scolaire européen et semble aux antipodes des valeurs
prônées par nos bons vieux politiciens bleus-blancs-rouges: n’y cherchez
pas de grillages protégeant les établissements, de système de notations
classant les élèves ou de débats larmoyants sur l’exclusion, la violence
ou l’échec scolaire!
■ ÉCOLE Du PASSÉ – La Finlande a fait, voilà plus de trente ans, d’au –
tres choix en matière d’éducation en assurant une transition spectacu-
laire entre deux types d’écoles fondamentalement différentes. Alors que
la première, profondément élitiste, proposait une orientation précoce
(dès onze ans!) entre filière professionnelle et générale, la seconde,
unique et totalement gratuite, est aujourd’hui reconnue comme l’une
des plus égalitaires du monde en terme d’accès et de destin 1.
■ GrAtuItÉ – Le modèle finlandais n’est certes pas idyllique mais
certaines de ses caractéristiques ne peuvent que nous interpeller.
rappelons tout d’abord que la scolarité y est obligatoire de 7 à 16 ans 2,
durant cette période les élèves sont pris en charge dans une unique
école locale (l’école fondamentale ou peruskoulu). Cette prise en charge
est complètement gratuite puisque les familles ne paient ni les fournitu-
res scolaires, ni la cantine, ni le transport.
■ nOtAtIOn – De plus, les notes chiffrées sont inconnues des élèves
avant 13 ans et occupent par la suite un rôle mineur dans leur vie
scolaire car elles visent simplement à adapter le rythme des apprentis-
sages aux difficultés rencontrées (pas de bulletin de note ou de redou-
blement); des professeurs spécialisés aident, dans la classe ou
isolément, ceux qui butent sur un obstacle dans une discipline. Enfin, les
rythmes scolaires y sont plus légers qu’en France et la charge du travail
à la maison moins importante.
■ BuDGEt – notons tout de même que le budget consacré à l’éducation
y est proportionnellement identique à celui de la France (il oscille depuis
vingt ans entre 6 et 7 % du PIB!)
■ MODÈLE – Paradoxalement, la Finlande et son école suscitent l’inté-
rêt des « réformateurs » de tous bords: nos ministres, en bons ges tion –
naires capitalistes, ne tarissent pas d’éloge sur la compétitivité de ce
pays qui obtient les meilleurs taux de réussite de l’OCDE en mathéma-
tiques, sciences et lecture (selon les classements PISA de 2003
et 2006) et qui assure une très bonne insertion des jeunes dans le
monde professionnel. À l’opposé, ceux qui se soucient du bien-être de
l’enfant dans une société libre, égalitaire et autogérée (nous, peut-être!)
seront plus sensibles à cette pédagogie qui accorde à l’élève un statut
d’individu unique et responsable, et qui utilise efficacement l’attrait du
savoir comme moteur de l’apprentissage. Qui ne rêve pas d’une école
dégagée de tout stress, de tout moralisme et de toute pression sociale?
■ rÉELLE – La Finlande n’est pas le pays de Cocagne et il est vrai que
tout Français (ou personne ayant été scolarisée en France) tentant la
comparaison entre les deux systèmes éducatifs aura tendance à
gommer les défauts de l’école finlandaise tant ses innovations lui
sembleront spectaculaires. néanmoins son exemple a le mérite de
nourrir notre réflexion pédagogique en proposant une étude de cas
concrète et permet de démontrer aux collègues les plus sceptiques,
qu’en attendant une Autre École, d’autres expériences existent déjà.
(Arnaud, Cnt StE 92)
1. Le niveau socio-économique des familles a moins d’influence dans le parcours scolaire
finlandais que dans d’autres pays. Cf. enquêtes PISA…
2. Avant 7 ans, 90 % des enfants fréquentent les jardins d’enfants (1 à 6 ans) ou les classes
préparatoires (6-7 ans). Cette éducation périscolaire n’est pas obligatoire, elle vise à sociali-
ser l’enfant et à le préparer à l’école en passant par le jeu.
3. Lesechos.fr, 26 novembre 2007, cet article commente la visite de Xavier Darcos, alors
ministre de l’éducation, dans les pays scandinaves.
N’AUTRE école, n° 26, été 2010
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Le contexte culturel et économique,
et le système éducatif
Cependant, les facteurs de cette réussite reposent également
sur un contexte culturel et économique très différent de celui
de la France: gratuité totale (repas, fournitures scolaires, ensei-
gnement de base), enseignement privé quasi inexistant, absence
de ghettos sociaux dans les quartiers, enseignement religieux
ou éthique obligatoire… La liberté pédagogique des ensei-
gnants est réelle, il n’y a pas d’inspecteurs pour les contrôler.
L’enseignement « de base » commence à l’âge de 7 ans.
Les classes supérieures de l’école obligatoire commencent
au 7 e niveau, à l’âge de 13 ans, avec des professeurs ensei-
gnant essentiellement une discipline (une dominante, et une
deuxième un peu moins forte, comme littérature et linguis-
tique), pour une durée de trois ans.
À la fin de la 9 e classe et de l’éducation de base, 5,5 % des
élèves sortants continuent dans une éducation de base volon-
taire supplémentaire (2,5 %), en lycée (54,5 %) ou dans une
éducation et formation professionnelle initiale (38,5 %).
«L’étude du système éducatif finlandais
apporte, sous la forme d’un négatif
inversé, des éléments essentiels
à la compréhension de la situation
dans l’hexagone.»
L’ouverture sur le milieu, le respect de l’environnement, et
l’importance avérée de l’apprentissage coopératif ont joué un
rôle déterminant dans la réussite du système éducatif. La
forme scolaire proposée par le système éducatif finlandais
repose sur un enracinement de l’école dans son milieu: pas
de clôtures, des locaux spacieux, confortables, un équipe-
ment technologique conséquent et des sorties dans l’environ-
nement… L’ensemble représente une véritable prise en
compte des besoins individuels au niveau des enseignants
comme des élèves. L’importance attachée aux enseignements
artistiques et technologiques permet de solliciter l’expression
et de travailler sur le développement des « techniques
Dossier / Quelle démocratie à l’école ?
La sélectivité commence à la fin
de l’enseignement fondamental
Une prolongation d’une durée d’un an peut être deman-
dée par les élèves ou les parents à la suite de l’ensei-
gnement fondamental (qui se termine à l’âge de 15 ans)
pour ceux souhaitant poursuivre au niveau du lycée
général, ou envisager certaines écoles professionnelles
ou techniques, et ne pouvant y prétendre, en raison de
leurs résultats sco laires. L’examen final, correspondant
au baccalauréat, ne donne pas droit automatiquement à
l’entrée en université: cette dernière est très sélective
au départ. La pression de l’évaluation est importante à
partir du lycée, c’est-à-dire après le moment où sont
évalués les élèves dans les en quêtes PISA.
Une évolution néolibérale
Les élections de 2008 ont porté au pouvoir des néoli-
béraux. La crise passant également par là, des réduc-
tions importantes ont été apportées au budget
d’accompagnement éducatif. Le changement radical
entre l’enseignement fondamental, basé sur la coopé-
ration et l’individualisation des ap pren tis sages, et les
orientations éducatives ultérieures, fondées sur une
sélection féroce, pourraient expliquer les deux massa –
cres successifs de Jokela et Kauhajokki, en 2007
et 2008, mais seulement de manière partielle: d’autres
aspects pourraient tenir un rôle important, tels la vio-
lence dans les jeux vidéo partagés des deux auteurs de
ces crimes, et la vente libre des armes dans ce pays,
classé n° 3 pour le nombre d’armes à feu par habitant.
L’exemple de ce pays fait apparaître le rôle important
que le mouvement Freinet a joué dans l’évolution du
système éducatif, même si le contexte, clairement dif-
férent de celui de la France, présente des conditions
économiques et sociales différentes qu’il faut prendre
en compte pour pondérer cet aspect.
Selon Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet, la
pédagogie Freinet et la pédagogie institutionnelle
seraient les formes scolaires les plus efficientes per-
mettant de développer la plus grande partie des douze
besoins nécessaires à la construction d’une identité
individuelle et sociale réflexive 2. La place de la démo-
cratie à l’école est déterminante pour faire évoluer les
représentations et fonctionnements sociaux, appelés
par une volonté participative de plus en plus grande
des citoyens français, et par la nécessité d’une profonde
réflexion sur le contrat social nécessaire au vivre ensem-
ble. Le nombre important de faits de violence nous rap-
pelle l’importante d’une autre vision que celle du « tout
sécuritaire ». ■
de vie » transférables dans le quotidien des indi-
vidus, aussi bien pendant leur enfance qu’à l’âge adulte.
La responsabilisation et l’autonomie des élèves sont
réelles: aucun surveillant n’est nécessaire pour les élè-
ves à partir de l’âge de 13 ans.
La formation des enseignants
Parmi les candidats, seuls 10 % sont sélectionnés,
d’après des tests et des entretiens pour cerner la moti-
vation. La formation des enseignants correspond pour
tous à un master, de la maternelle au lycée, et les pro-
fesseurs « de matière(s) » (enseignement secondaire)
sont évalués dans leur(s) discipline(s) – 35 ECTS-
mais aussi en « sciences de l’éducation » et pédago-
gie – 25 ECTS. Il existe des établissements d’appli-
cation, liés aux universités, même au niveau
secondaire. Ils accueillent des élèves de 12 à 19 ans.
Les futurs « professeurs de matières » peuvent faire
leurs premières observations et animations pratiques
de séquences sous la responsabilité d’enseignants
formateurs, et avec l’observation de pairs suivie d’é-
changes. Une année de stage pratique est proposée à
la suite du diplôme. Des « mini-salles des profes-
seurs » rassemblent les stagiaires des différentes dis-
ciplines une fois par mois pour aborder des thèmes
transversaux. L’ensemble constitue un processus de
formation de très grande qualité.
Responsabilisation et accompagnement
des enfants en difficultés
Il n’existe pas de surveillants, et l’accent est mis sur
la responsabilisation. L’évaluation se veut avant tout
formative, intégrant l’autoévaluation, jusqu’à la der-
nière année de l’école de base (9e année). Il n’y a pas
de redoublement, de vrais moyens sont donnés en ter-
mes d’accompagnement, de repérage et de suivi des
difficultés scolaires, de prise en charge du handicap.
2. «Besoins pour la construction de
l’identité des personnes quatre
axes et douze besoins et type de
pédagogies : Axe affectif / Axe
cognitif / Axe social / Axe
idéologique.
– Attachement (pédagogie des
expériences positives) ;
– Stimulation (pédagogie
différenciée) ;
– Communication (pédagogie
interactive) ;
– Bien, acceptation (pédagogie
rogérienne humaniste) ;
– Expérimentation (pédagogie
active) ;
– Considération (pédagogie du chef
d’œuvre) ;
– Vrai investissement (pédagogie
du projet) ;
– renforcement (pédagogie
behavioriste) ;
– Structures (pédagogie
institutionnelle).»
D’après L’Éducation implicite,
Jean-Pierre Pourtois, Huguette
Desmet, PuF, Paris, 2004.
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