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u
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a
r
B
y
u
G
Chimie
atmosphérique
et climat
Guy Brasseur a dirigé l’Institut Max Planck de météorologie1
(Hambourg, Allemagne), et a fait partie du National Center for
Atmospheric Research (Boulder, CO, États-Unis).
La chimie atmosphérique fait
intervenir des processus com
plexes, et son impact sur le
climat est difficile à quantifier.
Son rôle s’ajoute à celui du CO2
et à celui de l’activité solaire. À
longue échéance, cependant,
c’est le CO2 qui déterminera
principalement la réponse du
système climatique à l’activité
humaine.
1 La composition
atmosphérique
de la Terre
Il faut d’abord rappeler que la
composition de l’atmosphère
terrestre a évolué depuis la
formation de la planète il y
a plus de 4 milliards d’an
nées. La Figure 1 montre que
l’oxygène n’est apparu que
relativement récemment, et
qu’au cours du temps, il y a
eu des variations importantes
de la composition de l’atmo
1. www.mpimet.mpg.de
sphère, qui est aujourd’hui
essentiellement constituée
d’azote, d’oxygène et d’un
grand nombre de composés
mineurs. On pourrait penser
que ces derniers n’ont qu’une
importance très secondaire,
mais, en réalité, ils jouent un
rôle important à la fois pour la
chimie de l’atmosphère et la
qualité de l’air, mais aussi évi
demment pour les problèmes
climatiques, comme nous le
verrons ensuite.
La composition chimique de
l’atmosphère et le climat ont
évolué de manière coordon
née. La Figure 2 montre d’une
part l’évolution des deux gaz
à effet de serre, le CO2 et le
méthane CH4, et d’autre part
l’évolution de la température
au cours des 400 000 dernières
années. Cette évolution est liée
à celle des paramètres orbitaux
de la Terre autour du Soleil (voir
aussi le Chapitre de V. Courtillot
dans cet ouvrage Chimie et
changement climatique, EDP
Figure 1
% atmosphérique
Composition de l’atmosphère terrestre
Évolution chronologique de
la composition chimique de
l’atmosphère. Sa composition
actuelle est : N2 (78 %), O2 (21 %),
Ar (1 %), CO2 (3,8.10-4), CH4 (1,6.10-6),
H2 (5.10-7), N2O (3,5.10-7), CO (7.10-8),
H2O et O3 variables.
Azote
Ammoniac,
méthane
Vapeur
d’eau
75
50
25
H2
He
0
4,6
Période
400
350
300
250
200
800
700
600
500
400
2
1
0
–1
–2
–3
–4
Dioxyde de carbone
Oxygène
4,0
3,0
2,0
1,0
Aujourd’hui
Hadean
Archéen
Protérozoïque
Phanérozoïque
Temps (Ga) en milliards d’années
CH4 = 1 755 ppb en 2004
CO2 = 377 ppm en 2004
CO2 (ppm)
CH4 (ppb)
T (°C)
Figure 2
L’analyse des carottes de glace
prélevées dans l’Antarctique nous
montre que l’évolution passée
du climat, liée aux changements
des paramètres orbitaux de la
Terre autour du Soleil, a été
accompagnée de changements
dans la composition chimique
de l’atmosphère. Aujourd’hui, la
planète se trouve dans un état très
différent de ce qu’on a connu.
400
350
300
250
200
Milliers d’années avant 1850
150
100
50
0 1900
2000
Date
Sciences, 2016), et à des phéno
mènes d’amplification propres
au système terrestre.
Sur la partie droite de la
Figure 2, un zoom sur l’époque
actuelle montre que l’évolution
à la fois du CO2 et du méthane
se situe véritablement en de
hors de la zone des fluctuations
naturelles que l’on a connues
dans ce passé relativement
lointain. Aujourd’hui, notre
114
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beaucoup d’hydrocarbures
sont produits par les forêts,
et des quantités impor
tantes d’oxydes d’azote sont
produites par les sols. Les
concentrations atmosphé
riques d’oxygène et de CO2
sont déterminées par des
processus liés à la biosphère ;
– l’activité humaine est un
phénomène nouveau dans
l’histoire de la Terre qui per
turbe la composition chimique
de l’atmosphère et qui, par ail
leurs, introduit des problèmes
sur la qualité de l’air.
2.1. L’ozone stratosphérique
nous protège des radiations
UV-visible
L’ozone stratosphérique4 O3
est indispensable à la vie sur
Terre car il nous protège du
rayonnement solaire ultra
violet. Sa présence résulte
d’un équilibre entre sa pro
duction par action du rayonne
planète se trouve dans un état
qui est très différent de celui
qu’on a connu, et la question est
de voir quelle sera la réponse
à long terme du système ter
restre à une telle perturbation.
2 L’atmosphère est un
réacteur chimique
loin de l’équilibre
En fait, l’atmosphère est un
réacteur chimique qui est très
loin de l’équilibre parce qu’un
certain nombre de forces exté
rieures l’empêchent d’atteindre
cet équilibre (Figure 3) :
– l’énergie solaire, qui en
tretient les réactions photo
chimiques2 de dissociation qui
se produisent pendant le jour ;
– la biosphère3, qui produit
des émissions de compo
sés réactifs ; par exemple,
2. Réaction photochimique : réac
tion se produisant grâce à l’énergie
lumineuse absorbée.
3. Biosphère : ensemble des éco
systèmes de la Terre (organismes
vivants et leur milieu de vie), ce
qui correspond à une mince couche
de l’atmosphère où la vie est pré
sente (20 km maximum audessus
du sol).
4. Stratosphère : deuxième couche
de l’atmosphère, située entre une
dizaine et une cinquantaine de ki
lomètres du sol. La couche d’ozone
se situe en majeure partie dans la
stratosphère.
Figure 3
Les forces extérieures agissant sur
le réacteur chimique hors équilibre
qu’est l’atmosphère.
Sources
Transport / Transformation
Déplacement
Ensoleillement
Vents
dominants
Photochimie
Transformations chimiques
Processus nuageux
Dispersion
Agriculture
Feu
Industrie
Transport
Mélange
vertical
Dépôt humide
Dépôt sec
Visibilité
Eaux de
ruissellement
Estuaires
Stations
d’épuration
Effets
Eau potable
Productivité
des forêts
Sols
Sols
Eaux souterraines
Écosystèmes
aquatiques
Santé humaine
Ressource
culturelles
Production
agricole
115
ment solaire ultraviolet sur
l’oxygène moléculaire O2, et
des réactions de destruction
photocatalytiques. Le premier
mécanisme de production et
de destruction photochimique
de l’ozone (Figure 4A) a été
introduit par Sydney Chapman
en 1930 (Figure 4AB).
L’ozone formé est détruit par
un certain nombre de proces
sus photocatalytiques dont le
principal fait intervenir l’oxyde
d’azote NO :
O3 + NO → NO2 + O2
NO2 + O → NO + O2
Effet net : O3 + O → 2O2
L’oxyde d’azote provient essen
tiellement de processus biolo
giques sous forme de N2O – qui
se décompose dans la stratos
phère en oxyde d’azote –, mais
aussi de plus en plus d’effets
anthropiques ; par exemple,
dans les années 1970, on a
beaucoup parlé de l’effet pos
sible des émissions d’oxyde
d’azote dans la stratosphère
par l’aviation supersonique5.
D’autres composés comme le
chlore peuvent aussi catalyser
5. Aviation supersonique : aviation
capable de se déplacer à une vi
tesse supérieure à la vitesse du son.
la destruction de l’ozone. Le
chlore présent dans la stra
tosphère est essentiellement
d’origine industrielle et a été
produit en grande quantité à
partir des rejets de chloro
fluorocarbures (CFCs) qui ont
été dispersés dans l’atmos
phère et qui aujourd’hui sont
la cause essentielle de la des
truction de l’ozone dans les
régions polaires de la stratos
phère. Le trou d’ozone se pro
duit par des processus com
plexes qui activent le chlore.
Cette activation du chlore se
produit sur la surface de cris
taux de glace qui constituent
les nuages polaires6 observés
6. Nuages polaires : nuages se
formant dans les régions à une
vingtaine de kilomètres d’altitude
lorsque l’air y est très froid. Leurs
dimensions peuvent atteindre la
centaine de kilomètres pour une
épaisseur d’un à plusieurs kilo
mètres et sont constitués de cris
taux de glace, ce qui leur donne
une apparence nacrée, mais aussi
parfois d’acide nitrique, ce qui
leur donne une couleur orange.
Bien qu’aux altitudes concernées
l’humidité relative soit très faible,
ces nuages se forment progressive
ment, et les nuages d’acide nitrique
jouent un rôle dans la diminution de
l’ozone stratosphérique des pôles.
Figure 4
A) Schéma du mécanisme
photochimique de la formation de
la couche d’ozone par action du
rayonnement solaire ultra-violet
sur le dioxygène O2. Ce mécanisme
a été proposé par l’astronome et
géophysicien Sydney Chapman (B).
UV solaire
O
O
O + O2 → O3
O O
O
O
O O
O
O
OO
116
A
O O
B
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C
i
i
entre 16 et 25 km d’altitude
dans ces zones extrêmement
froides de l ’atmosphère.
Dès que le Soleil réapparait
au printemps (septembre)
dans la région polaire aus
trale, l’ozone est détruit en
quelques semaines par réac
tions photocatalytiques. La
destruction de l’ozone est très
prononcée dans l’Antarctique
où les températures sont 10
à 20 °C plus basses que dans
la stratosphère arctique. Ces
basses températures favo
risent la formation de nuages
de cristaux de glace.
La diminution de l’ozone en
Antarctique est visualisée par
un véritable « trou » dans la
couche d’ozone (Figure 5A)
pendant le printemps austral.
Même si on en parle beaucoup
moins qu’il y a une dizaine
d’années, le trou d’ozone de
vrait rester présent jusqu’aux
alentours de 20502060, c’est
àdire le temps que le chlore
d’origine anthropique dispa
raisse de la stratosphère.
On voit sur la Figure 5B que
dans ces régions, la quantité
d’ozone pendant la période
d’ensoleillement du printemps
austral (juinseptembre) est à
peu près réduite de 50 % par
rapport à ce qu’elle était avant
1960. C’est un exemple qui met
en lumière le rôle important
de la chimie atmosphérique.
Des observations par satel
lites (Figure 6) montrent que la
formation du trou d’ozone au
dessus du continent antarc
tique est liée à la présence
dans cette région de quantités
importantes de monoxyde de
chlore ClO. Celuici catalyse la
destruction de l’ozone de ma
nière très rapide (en quelques
semaines) au moment où le
Soleil arrive pour permettre
à cette réaction photocataly
tique de se produire.
La diminution de l’ozone po
laire est moins marquée au
pôle Nord dont la tempéra
ture stratosphérique est plus
élevée qu’au pôle Sud. Il y a
donc dans l’hémisphère Nord
moins de nuages stratosphé
riques polaires qui activent
le chlore. Mais il peut se pro
duire, comme ce fut le cas en
2011, un hiver strato sphérique
très froid dans l’hémisphère
Trou de l’ozone
Halley
220 Dooson Units
TOMS
300
250
200
150
100
)
U
D
(
l
a
t
o
t
e
n
o
z
O
B
Ozone total (Dooson Units)
110
220 330 440 550
A
Figure 5
1960
1970
1980
1990
2010
Année
OMI
2000
A) Début de la formation du trou d’ozone en 1980 ; B) diminution de la quantité d’ozone en Antarctique durant les
cinquante dernières années.
117
Figure 6
Observations satellites permettant
de mettre en évidence l’impact du
trou d’ozone sur la température,
la concentration en acide nitrique
NO, en monoxyde de chlore ClO et
en chlorure d’hydrogène HCl dans
l’atmosphère.
Suivi de la chimie de l’ozone
Aura MLS
(Couche stratospérique
inférieure)
13 août 2004
Température
Acide nitrique
Monoxyde de chlore
Chlorure d’hydrogène
Ozone
Bas
Élevé
Nord, pendant lequel ces
nuages sont apparus avec
pour conséquence une des
truction importante le l’ozone.
De faibles quantités d’ozone
ont été observées cette an
néelà en Europe du Nord ; par
contre, en 2014, cela ne s’est
pas produit, comme d’ailleurs
la plupart des autres années
(Figure 7).
2.2. La formation d’ozone
à la surface et la dégradation
de la qualité de l’air
Dans les villes, l’ozone à
proximité du sol est formé
par une série de réactions
photochimiques qui font in
tervenir les oxydes d’azote
et différents hydrocarbures.
Ceuxci sont émis en grande
Figure 7
Lien entre la température de l’Arctique, supérieure à celle de
l’Antarctique, et l’absence de trou d’ozone en cette région. Analyse des
données Aura-MLS par BASCOE dans la stratosphere inférieure (θ = 485K)
en Mars.
Source : Simon Chabrillat, BISA.
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Lumière du soleil
Sources
mobiles de
combustion
Oxydes
d’azote
N
O
x
C
O
V
Végétations,
sources mobiles
et industrie
Composés
organiques
volatiles
Ozone
O
3
Polluants mélangés ensemble
dans la lumière solaire directe formant l’ozone
Figure 8
L’ozone O3 à la surface de la
Terre est due aux rejets de
l’activité humaine. Dans les villes,
l’ozone est formé par réactions
photochimiques entre les oxydes
d’azote (NOx) et des hydrocarbures
(COVs) émis par le transport,
l’industrie et les activités
domestiques.
partie par l’industrie, les acti
vités domestiques et par les
transports (Figure 8). Ici on se
soucie moins des propriétés
absorbantes de l’ozone que
de son rôle d’oxydant : l’ozone
que l’on respire est à la source
de maladies respiratoires et
cardiaques. Nous devons donc
veiller à nous protéger des
épisodes d’ozone qui se pro
duisent de manière régulière
pendant l’été dans les régions
urbaines.
La modélisation de la qua
lité de l’air à l’échelle globale
nous permet aujourd’hui de
simuler la répartition spatiale
de l’ozone, et de déterminer
comment il se produit, est
transporté puis détruit. La
Figure 9 montre la présence de
quantités importantes d’ozone
dans les zones industrielles
(couleurs chaudes) mais aussi
dans les zones où l’on brûle
de la biomasse, notamment
en Afrique. Ce sont dans ces
régions que les précurseurs
d’ozone sont émis en grande
quantité.
Aujourd’hui, grâce à de tels
modèles mathématiques, on
peut prévoir quotidiennement
les concentrations des pol
luants à l’échelle globale. La
Figure 10 est un exemple de
prévision pour le 18 novembre
2015, faite au centre européen
de Reading7 pour les oxydes
d’azote. Les quantités sont
surtout importantes là où
les émissions sont élevées,
c’estàdire dans les zones
urbaines, dans les zones
industrielles, et très élevées
en particulier en Chine. On
repère aussi sur les océans
les émissions qui résultent
7. Centre européen pour les pré
visions météorologiques à moyen
terme basé en Grande Bretagne.
Ce centre donne des prévisions de
la qualité de l’air pour dix jours.
Météo France y participe en tant
qu’État membre.
Figure 9
Modèle global de l’ozone à la surface de la Terre mettant en évidence l’impact de l’activité humaine (résolution
spatiale de 50 km).
Source : Louisa Emmons, NCAR.
119
Samedi 14 novembre 2015 00 UTC CAMS Forecast t + 108 VT : Mercredi 18 novembre 2015 12 UTC
Surface du dioxyde d’azote (ppbv)
0
0,01
0,02
0,05
0,1
0,2
0,5
1
2
5
10
15
20
50
300
80°N
60°N
40°N
20°N
0°
20°S
40°S
60°S
80°S
Figure 10
Prévision de la qualité de l’air
à l’échelle globale pour le 18
novembre 2015.
160°W 140°W 120°W 100°W 80°W
60°W
40°W
20°W
0°
20°E
40°E
60°E
80°E
100°E
120°E
140°E
160°E
des navires qui sont propulsés
par des moteurs en général
très polluants.
2.3. La formation des
aérosols atmosphériques
On définit l’aérosol atmos
phérique comme un mélange
dynamique de par ticules
solides et liquides en sus
pension dans l’air. Ces parti
cules proviennent de sources
naturelles et anthropiques
(liées à l’activité humaine).
La Figure 11 montre combien
la pollution de l’air peut être
intense, notamment en Chine.
Les aérosols atmosphériques
ont un impact direct et indi
rect sur le climat. L’effet di
rect résulte d’une interaction
entre le rayonnement solaire
et les particules atmosphé
riques. Les fines particules,
par exemple les sulfates, dif
fusent la lumière et réduisent
la quantité d’énergie qui at
teint le sol. Ils contribuent à
refroidir la planète. D’autres
par ticules comme la suie
absorbent le rayonnement et
tendent à réchauffer le sys
tème terrestre. Différents
effets indirects existent aussi
et se manifestent par des
changements des propriétés
optiques ou de la durée de
vie des nuages. Les consé
quences sur le climat de ces
effets indirects restent mal
quantifiées. Les sources de
particules sont nombreuses
(Figure 12). Elles peuvent être
d’origine industrielle ou liées
au transport. Il y a aussi des
aérosols qui sont émis par
l’océan, c’est le sel marin.
De temps à autre des pous
sières sont transportées des
déserts. On observe fréquem
ment des épisodes pendant
lesquels des poussières pro
venant du Sahara sont trans
portées vers l’Europe.
La Figure 13 présente un
modèle de répartition globale
d’aérosols, sur lequel on peut
120
Chimie et changement climatique