Encyclopédie berbère
28-29 | 2008
28-29 | Kirtēsii – Lutte
Lune
(chez les Touaregs)
H. Claudot-Hawad
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/365
DOI : 10.4000/encyclopedieberbere.365
ISSN : 2262-7197
Éditeur
Peeters Publishers
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2008
Pagination : 4441-4444
ISBN : 2-7449-0707-4
ISSN : 1015-7344
Référence électronique
H. Claudot-Hawad, « Lune », Encyclopédie berbère [En ligne], 28-29 | 2008, document L33a, mis en ligne
le 01 juin 2013, consulté le 25 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/
encyclopedieberbere/365  ; DOI : https://doi.org/10.4000/encyclopedieberbere.365 
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Lune
(chez les Touaregs)
H. Claudot-Hawad
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Les noms de la lune varient selon les parlers touaregs : le terme générique, ayur (avec
ses   variantes   phonétiques)   est   connu   dans   toutes   les   régions,   mais   dans   l’Aïr,   par
exemple,   on   lui   préfère   tellit   (tallit,   shillit   suivant   les   prononciations),   qui   désigne
également le « mois » lunaire et la « nouvelle lune ». 
2  Pour dénommer la lune selon l’apparition de ses quartiers, de nombreux termes ou
expressions composées existent. Dans l’Ahaggar, en tamahăq la pleine lune est évoquée
par l’image de la vannerie ronde téseyt (Foucauld, Dict. IV : 1811). Lorsque la lune est
invisible, du vingt-septième jour à la fin du mois lunaire, les Kel Ahaggar disent que « le
soleil a rejoint la lune, l’a arrêtée et l’a forcée à rester arrêtée, pendant que lui-même
continue seul sa course » (Foucauld, III : 146263), mettant en scène la rivalité entre
soleil et lune dont l’enjeu est la mobilité de chacun dans son parcours. 
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En tamajăq, dans l’Aïr, les noms particuliers qui désignent les différents états de la lune,
renvoient à la sémantique du corps féminin producteur de vie : la pleine lune se dit
tekkaṛ,   « elle   est   enceinte »,   car   perçue   comme   celle   qui,   cycliquement   et
inlassablement, accouche de la vie, des itinéraires, des saisons. La lune est associée à
l’organisation et à la régularité de tous les flux (temps, cours d’eau, lait, menstrues…).
Quand la lune commence à décroître jusqu’à devenir une fine lame à l’horizon, on dit
qu’elle   est   « élimée »,   « râpée »   (tekraḍ),   terme   associé   à   l’idée   qu’elle   a   beaucoup
travaillé. Enfin, le nom de tayurt est rapproché de éwar : la « montée ». Quand la lune
monte, c’est pour se mettre entre les hommes et le soleil. Lorsqu’elle arrive à l’horizon,
au levant, elle est vue dans les représentations populaires comme une mère qui porte
un fagot sur son dos. On pense que c’est pour cette raison qu’elle n’est pas éclairée : elle
amène du bois afin d’allumer son feu. Il y a des nuits où elle « materne », d’autres où
elle « sèvre » c’est-à-dire n’apparaît pas, d’autres où elle vient juste pour saluer et se
retirer.   Elle   a   cette   image   vivante   de   l’épouse-mère   qui   change   et   se   renouvelle
(titciwtcat)   au   fil   des   jours.   Prise   par   ses   activités,   elle   arrive   souvent   en   retard   au
contraire du soleil (tefukt), toujours ponctuel. 
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4  Dans l’Aïr, la lune est la figure du féminin par excellence : son mouvement s’appelle
tadwat, désignant la marche de l’après-midi engagée pour rendre visite aux gens, terme
également utilisé pour dénommer de manière élégante le mariage. Les manières de la
lune   sont   humanisées ;   elle   apparaît   comme   une   visiteuse   bien   intentionnée :   par
exemple, elle « se penche » (eshigu, esigu) sur le monde comme une mère sur son bébé et
s’intéresse à tous, regarde partout, même aufond des puits. À l’opposé, le soleil fait
aghamas, marchant avant l’aube, c’est-à-dire à l’heure de l’attaque guerrière. 
5  Ces connotations laissent percevoir l’importance de la lune dans le champ symbolique.
Sur cette question, cependant, les travaux manquent. On donnera un aperçu du rôle de
la lune dans la cosmologie touarègue à partir de nos enquêtes concernant l’Aïr. Le
portrait de la lune se précise à travers le rapport contrasté qu’elle entretient avec le
soleil, et qui est mis en scène dans divers contes. 
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En tayrt, « lune » (tellit) et « soleil » (tefukt) ne s’opposent pas par le genre – féminin
dans les deux cas – mais par deux traits essentiels : l’âge et le tempérament. En effet,
dans les représentations de l’origine du monde, la lune précède le soleil. Par ailleurs, le
caractère   de   la   lune   se   définit   par   le   calme,   l’intériorité,   la   stabilité,   l’équilibre,   la
générosité   salvatrice,   au   contraire   du   soleil   qui   apparaît   agité,   superficiel,   inquiet,
pressé, dominateur. 
Lune et soleil sont imaginés comme des personnages tous deux féminins. Cependant,
leurs caractéristiques respectives rappellent l’opposition symbolique établie entre le
monde de la féminité, associé à l’antériorité, à la sagesse, à la beauté et à l’opulence
versus le monde de la masculinité, plus jeune, bouillant, dynamique, sauvage, brûlant. 
8  Ainsi,   la   lune   fait   son   apparition   quand   l’univers   remuant   du   soleil   commence   à
s’éteindre et à chuter. Son rôle est mis en scène en particulier dans un conte fameux,
appelé   Ayur   d   Tayurt,   restituant   la   vision   gémellaire   du   monde,   présente   dans   la
cosmogonie touarègue*. Tayurt est le féminin d’Ayur qui signifie le « croissant ». Dans
les narrations, ces deux êtres apparaissent comme des enfants surnaturels, nés des
œufs jaillis du genou blessé d’un berger solitaire. Les œufs vont éclore dans les plis de la
tente, ehan* qui symbolise l’abri et désigne à la fois le lieu d’habitation, la famille, la
lignée maternelle et l’épouse. Les enfants sont solidaires entre eux et aident le berger à
entretenir la maison. Un jour, cet homme épouse une femme dont la fille est jalouse de
la belle Tayurt. Par un stratagème, la marâtre obtient du berger qu’il sacrifie Tayurt,
mais, celle-ci, prévenue par son frère, s’enfuit à temps avec ce dernier. Les multiples
anecdotes qui émaillent le conte dessinent des personnages souvent liés par paire, sur
le   modèle   du   couple   féminin-masculin,   dont   les   composantes   sont   opposées   et
complémentaires : ainsi Tayurt, la jeune lune, incarne la culture, l’ouverture, la raison,
secondée par Ayur qui, par sa nature masculine, est réactif, rapide, mais reste attiré par
le monde sauvage, le secret, la ruse. 
9  Au   fil   du   récit,   apparaît   une   nouvelle   concurrente,   Janégerfaden,   présentée   comme
jalouse, cupide, méchante, arriviste. Elle parvient, par ruse, à emprisonner Tayurt au
fond de la mare. En fait, dès que Tayurt disparaît, ce sont les activités nourricières de la
collectivité,   comme   la   traite   des   chamelles,   qui   ne   peuvent   plus   s’accomplir.   Le
campement est privé de clarté, dans tous les sens du terme, et de lait, nourriture sacrée
par excellence (au sujet de la fonction symbolique du lait, voir Figueiredo, 2001). Tayurt
est retrouvée par son frère, mais personne n’est capable de fendre le rocher qui arrime
sa longue chevelure au fond de l’étang et la retient prisonnière. Finalement elle sera
délivrée par un petit agneau malingre. Comment un être aussi chétif a-t-il trouvé la
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force   colossale   nécessaire   à   cet   exploit ?   En   tétant   le   lait   de   sa   mère,   dit   le   conte,
démontrant   à   nouveau   l’importance   primordiale   des   transmissions   maternelles   et
l’association symbolique très forte entre lune, féminité, biens nourriciers, protection et
renforcement de tout individu inséré dans sa matrilignée.
10  Dans le conte, le personnage solaire de Janégerfaden est associé à l’inverse à des biens
destructeurs : à l’or qui a besoin de briller, contrairement à l’argent lunaire, ou une
huile   qui   brûle   (ce   qui   fait   penser   évidemment   au   pétrole,   sans   que   l’on   sache   si
l’introduction de ce thème correspond à la découverte de l’huile minérale ou s’il est
plus ancien) au contraire du lait que l’on trait à la clarté de la lune. Le pays aurait brûlé
à   cause   de   la   mauvaise   huile   (erk   widi).   C’est   alors   que   la   lune   affirme   son   rôle   de
médiation et de temporisation, intervenant comme un « bouclier » entre le monde des
hommes et le chaos, qu’il s’agisse du chaos de l’incendie ou du chaos des ténèbres. Dans
cette fonction protectrice acquise à sa maturité, Tayurt devient Tellit, figure cosmique
bienveillante qui régule la bonne marche des activités du monde. 
11  Les représentations de la lune dans l’Aïr la dotent d’un mari qui s’appelle Amaka, le
« tison » (masculin de tamakat, la braise). Le bijou qui la symbolise porte son nom, Tellit,
et c’est sur la surface ronde du cabochon de la bague que se trouve gravé le dessin de
l’astre à six branches qui représente Amaka (voir Fig. 1 et 2). Mais au mari de la lune lui-
même correspond un bijou qui a la forme d’un tube et se porte au pouce. Amaka est
censé n’apparaître que dans les moments difficiles, lorsque Tellit a besoin de renfort.
En fait, il demeure invisible, sauf pour la lune. Parce que le monde actuel est devenu
solaire et que l’huile brûle, la lune sert de bouclier tandis que son mari est vu comme
un résistant de l’ombre qui servira de semence pour le monde de demain : ce thème
reprend   la   distribution   symbolique   des   rôles   féminin   (protection   nourricière,
permanence)   et   masculin   (sacrifice   de   soi,   défrichage   de   l’inconnu).   Le   motif
messianique de l’apparition du sauveur est présent avec l’idée qu’Amaka apparaîtra le
jour où finira le règne solaire. 
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Fig. 1 et 2 : bague appelée Tellit.
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12  Ainsi, la lune est dans l’Aïr une figure maternelle qui a un visage (udem n tellit) aux
physionomies multiples, mais dont aucune n’est vue comme négative. Ses périodes sont
assimilées aux étapes du cycle nomade, du cycle des saisons ou du cycle de la vie. Son
action favorise le devenir du monde et l’empêche d’être immobile : la lune en effet
révèle,   fait   croître   ou   mûrir   tout   état   latent.   Elle   pousse   chaque   élément   dans   son
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