Chapitre 14. Jean-Louis Derouet
Nathalie Boucher-Petrovic, Yolande Combès
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Nathalie Boucher-Petrovic, Yolande Combès. Chapitre 14. Jean-Louis Derouet : Logique industrielle
Industrialiser l’éducation. Anthologie commentée
et compromis d’établissements. Pierre Mœglin.
(1913-2012), Presses Universitaires de Vincennes (PUV), pp.237-246, 2016, Collection ”Médias”, 978-
2-84292-547-5. _xFFFF_hal-01394329_xFFFF_
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Le fait industriel est là et, pour en cerner tenants et aboutissants et mesurer l’influence, il faut évidemment
commencer par le reconnaître – ce que J. Gadrey*, dans le chapitre précédent, fait a contrario. Pour sa
part, J.-L. Derouet procède du constat inverse : il y a bien d’après lui une logique industrielle, dont les
manifestations sont flagrantes et dont le principe régulateur est aisément identifiable ; fondée sur
l’impératif du rendement maximal, cette logiquea pour but de « rabattre toute métaphysique »en réduisant
les questions qui se posent à de simples problèmes techniques. Toutefois, ajoute-t-il, si cette logique occupe
une place importante dans le monde de l’éducation, elle n’y occupe pas toute la place. Elle y côtoieen effet
d’autres logiques, civique, domestique, marchande, etc.,avec lesquelles elle est en concurrence, par rapport
auxquelles ses tenants se déterminent et avec lesquellesil leur faut composer. Contextualiser la portée de la
logique industrielle en éducation par rapport à ses concurrentes, tel est l’objet de ce chapitre.
2
Chapitre 14
Jean-Louis Derouet
Logique industrielle et compromis d’établissements
Nathalie Boucher-Petrovic
Yolande Combès
En 1989, lorsqu’il publie l’article dont sont tirés les extraits ci-dessous, J.-L. Derouet est
professeur de sociologie à l’Institut National de la Recherche Pédagogique (INRP), où il dirige le
Groupe d’études sociologiques. Ses recherches portent sur les transformations du système éducatif
et il s’intéresse plus particulièrement àl’organisation des établissements d’enseignement, à leur
mode de fonctionnement et à qu’il nomme leur statut « d’entreprise composite ».À la lumière du
courant dit « des économies de la grandeur », alimenté par L. Boltanski et L. Thévenot1et leurs
travaux sur les principes de justification et de justice, il montre en particulier que le
fonctionnement de ces établissements obéit simultanément et contradictoirement à plusieurs
principes – correspondant aux logiques« civique »,« domestique »,« industrielle » et« marchande »
–, lesquelles constituent « le stock de référence fondamental dans lequel puisent le plus
fréquemment les argumentations»2.
Son constat de départ est que le consensus sur lequel l’institution scolaire a reposé jusqu’à la fin
des années 1960 a ensuiteété remis en cause. Il s’attache donc à repérer les valeurs sur lesquelles
pourraient être élaborés de nouveaux« compromis locaux », selon l’expression qu’il utilise dans
une publication ultérieure3. Ce faisant, il interroge les logiques en liceet observe que, depuis 1982,
la notion de projet d’établissement fait florès dans l’Éducation nationale, du primaire au supérieur,
que « les parentés avec la notion de projet d’entreprise sont quelquefois explicites » et surtout que
l’usage de cette notion « s’inscrit dans un courant d’industrialisation de l’éducation où les
expériences menées par Bertrand Schwartz à la tête de l’École des Mines de Nancy ont joué un rôle
pilote ». Aussi formule-t-il l’hypothèse selon laquelle la référence au projet d’établissement
1Boltanski et Thévenot 1991.
2 Derouet 1989 : 27.
3Derouet 1992.
3
pourrait marquer « une forme moderne de la volonté de rationalisation » du système éducatif,
laquelle renverrait à ce qu’il appelle lui-même un « courant d’industrialisation de l’éducation »1.
Certes, ajoute-t-il, cette « volonté de rationalisation » traduit un impératif suffisamment ancien
pour que les premières occurrencesen soient repérables au début du XXesiècle, dans les écrits de J.
Wilbois*datant de 1922, qu’il est d’ailleurs l’un des rares sociologues contemporains à citer
encore. Il note cependant quecette nouvelle rationalisation est porteuse d’un projet industriel
transformé. De fait, la première rationalisation« unissait une organisation centralisée et
standardisée de l’école […] en offrant partout les mêmes références culturelles, les mêmes critères
d’évaluation »,alors que la seconde « ne se fait pas par la voie réglementaire, mais par le
consentement et la participation des individus »2. Dès lors, elle suscite une tension entre deux
idéaux : celui de l’obligation civique et de l’égalité face à l’instruction et celui qui, privilégiant le
critère de l’efficacité, prône l’assimilation de l’établissement scolaire à l’entreprise et sa
conformité aux règles entrepreneuriales du management et de l’évaluation. Ce nouveau modèle
industriel éclipse les modèles civique et domestique (ce dernier étant centré sur l’idéal de
communauté scolaire), sans toutefois les faire disparaître tout à fait. Du moins est-ce ce que J. L.
Derouet s’efforce de mettre en évidence en rendant compte de la manière dont les principes
constitutifs de ces différents modèles de compétences – ainsi que le modèle marchand qu’il ajoute
ensuite – se croisent, chacun renvoyant à des « cités politiques3 » différentes et concurrentes au
sein de chaque établissement et dans le système éducatif en général. Aux « cités politiques » il
préfèrera d’ailleurs ultérieurement la notion de « mondes » (Derouet et Dutercq, 1997) qu’il doit
probablement à la sociologie pragmatique d’H. Becker.
Dans le passage précédant ces extraits il évoqueles principes respectifs des logiques (ou modèles)
civique et domestique, mettant en lumière la cohérence que chacune d’entre elles établit entre des
aspects aussi différents que leurs définitions respectives du savoir, les conceptions qu’elles se font
de l’enfant, leurs points de vue sur la sélection des élèves et leurs conceptions des rapports entre
maître et élève. Il établit notamment que le principe ultime – ou « principe régulateur » – de la
logique civique est l’intérêt général (service public), l’enseignement y étant fondé sur des valeurs
universelles, tandis qu’une hiérarchie verticale et l’affirmation des singularités propres à chaque
discipline scolaire affranchissent l’école de tout contrôle local ; à l’inverse, la logique domestique
repose sur les idées de communauté scolaire et de continuité entre éducation dans la famille et
éducation à l’école, l’accent y étant mis sur la formation du caractère (savoir-être). La première de
1Derouet 1989 :11.
2Derouet 1989 :12.
3 Boltanski et Thévenot 1991.
4
ces deux logiques privilégie donc la méritocratie, tandis que la seconde se refuse à la sélection
scolaire. Or, c’est contre l’une et l’autre que s’affirme la logique industrielle, dont il est question
maintenant.
Derouet, Jean-Louis (1989). « L’établissement scolaire comme entreprise composite. Programme pour une
sociologie des établissements scolaires ».InBoltanski, Luc, Thévenot, Laurent (dir.) (1989).Justesse et justice
dans le travail.Paris, Puf, Cahiers du Centre d’Études de l’Emploi,n° 33 :11-42.
[p.24-26] : « L’affirmation de la nature industrielle est plus récente que celle des logiques précédentes
(civique et domestique). Elle ne s’épanouit dans les discours officiels que depuis cinq ou six ans, mais ses
racines remontent au moins à la fin du XIXe siècle où un certain nombre de disciples de Fayol avaient
envisagé une rationalisation de l’éducation à partir des principes de l’organisation administrative (Wilbois,
1922). Le principe régulateur en est le rendement, ce qui explique qu’une des préoccupations centrales de la
logique industrielle soit l’évaluation : évaluation des performances des élèves, évaluation des maîtres,
évaluation des établissements et du système éducatif dans son ensemble.
Assimilé à l’entreprise, l’établissement scolaire a dans cette optique une existence très forte et le chef
d’établissement doit disposer d’une initiative étendue. A la différence de la logique civique qui cherche à
rendre l’espace le plus abstrait possible, et de la logique domestique qui croit, avant tout, au face à face entre
les personnes, la logique industrielle s’appuie beaucoup sur les objets au point que ce sont eux qui semblent
commander l’évolution des établissements.
“Le développement des nouveaux moyens d’enseignement renouvelle les conditions de l’action
éducative. C’est particulièrement le cas aux États-Unis où l’on assiste à un essor rapide des centres
documentaires, de la télévision scolaire, de l’enseignement programmé. Dans un secteur où les
dépenses de personnel représentent une part majeure des dépenses totales, l’intervention du capital
technique est un fait nouveau qui doit aller en se développant. Mais pour que ces moyens puissent
être utilisés dans les meilleures conditions de rentabilité et d’efficacité, l’établissement scolaire doit
se transformer. Dans le passé, déjà, les bibliothèques de classe, dépourvues de soutien logistique,
étaient relativement inefficaces. C’est au niveau d’une bibliothèque centrale d’établissement qu’il
importait de concentrer les moyens. Il en est de même aujourd’hui pour les nouvelles formes de
documentation. Il est nécessaire de créer, dans chaque école, une institution commune où les élèves
et les professeurs auront accès et pourront utiliser l’information dans les meilleures conditions.“
(Hassenforder, 1968).
A la limite (que représente l’enseignement programmé), l’enseignement pourrait se résumer à un face à face
entre un élève et un écran, qui se situerait dans chaque foyer. Certains avaient d’ailleurs envisagé la
disparition des établissements scolaires ou leur réduction à de simples centres d’évaluation périodique. Ceux-
ci justifient cependant leur existence par la concentration des ressources techniques, car la pédagogie
industrielle envisage sans frémir la disparition des espaces de sociabilité traditionnels.
“L’application d’une analyse scientifique aux situations pédagogiques fait ressortir de plus en plus le
caractère inadéquat de la classe traditionnelle… Dans la recherche d’une productivité accrue, le
fonctionnement même de la classe est contesté. Certains cours magistraux seraient prononcés avec
plus de profit devant plusieurs classes réunies. Par contre, les travaux en groupes exigent un petit
nombre d’élèves. Enfin, une part du travail effectué en classe pourrait être réalisée individuellement
dans le cadre de centres documentaires bien organisés. Toute cette analyse tend à mettre l’accent sur
la flexibilité nécessaire du groupe, mais pour réaliser cette flexibilité, une coordination est
indispensable. Les pouvoirs et les moyens à la tête de l’établissement doivent être renforcés en
conséquence… Bref, dans le système traditionnel, l’école est une collection de classes juxtaposées.
Dans une perspective d’avenir, l’établissement scolaire devient un organisme vivant, une entreprise
dotée de services communs (Hassenforder, 1968).“
La pédagogie civique et la pédagogie domestique confèrent une résonance politique et morale, la première au
problème du savoir et de la culture, la seconde au problème de la personne et du bonheur. Le propre de la
pédagogie industrielle est de rabattre toute métaphysique et de faire de ces questions des problèmes
techniques. Ainsi, l’objectif premier de l’enseignement n’est ni le savoir, ni le savoir-être, mais une série de
savoir-faire que la pédagogie par objectifs décompose en de savantes taxinomies, comme d’autres avaient
décomposé les tâches industrielles. Certains y dénoncent un behaviorisme pédagogique antihumain, mais la
pédagogie industrielle se justifie au nom de la démocratisation des études. Ainsi analysés, et débarrassés du
5
flou de leurs implications culturelles, les savoirs fondamentaux deviendraient accessibles à tous, quelles que
soient leurs origines sociales et culturelles. C’est la thèse du “mastery learning“, qui substitue à l’idée
d’égalité des chances celle d’égalité des résultats1. Ce n’est pas que la question de la sélection scolaire pose
un problème moral : les inégalités de capacité entre les individus sont un fait, seule leur mesure pose un
problème technique, que résout une psychologie très instrumentée. De même, l’évaluation est par nature
justifiée, tout l’effort consiste à la rendre la plus objective possible, en réduisant les marges d’erreur qui
tiennent plus à la personnalité des correcteurs – c’est l’objet de la docimologie – qu’aux implications
culturelles des contenus.
Sans la dénoncer, cette approche relativise l’utilité du découpage du savoir en disciplines. Les objets
contribuent à cette remise en cause dans la mesure où les objets industriels modernes, comme les ordinateurs,
sont les outils de plusieurs disciplines et que l’apprentissage de leur maniement recoupe les apprentissages
disciplinaires. Ensuite, une nette priorité est accordée aux mécanismes opératoires – interdisciplinaires – sur
les savoirs. On retrouve dans la pédagogie industrielle la volonté d’ancrer les apprentissages dans des
situations concrètes, mais ses buts sont radicalement différents de ceux que poursuit la pédagogie domestique.
Celle-ci cherche dans les situations de la vie courante une motivation aux apprentissages ; la rationalité
industrielle cherche dans la situation ce qu’elle appelle des positions de “résolution des problèmes“ où les
élèves doivent, pour traiter une question, mobiliser des connaissances d’ordre divers, mathématique,
physique, économique… comme le fait l’ingénieur dans la pratique industrielle. Au plan des principes, le
rapport entre la nature industrielle et les disciplines universitaires est donc tendu. Toutefois, à l’échelle des
établissements, l’instrumentation de la pédagogie tend plutôt à renforcer les spécificités disciplinaires et, dans
l’espace, les territoires. Si, au point de vue architectural, la recherche de la simplicité fonctionnelle
s’accommode très bien d’une construction industrialisée, l’instrumentation rompt totalement la régularité et la
normalisation de l’espace civique, en multipliant salles spécialisées et équipements particuliers : cabines de
langues, salles de projections, centres de documentation, salle d’ordinateurs… qui doivent être gérés par des
spécialistes et donc accessibles à eux seuls. »
Par rapport aux recherches qu’au même moment mènent des spécialistes comme G. Paquette* ou
A. Derycke2, celles de J.-L. Derouetprésentent la singularité et (à nos yeux) l’intérêt d’éviter
d’aborder la question de l’industrialisation éducative en se situant du point de vue des systèmes
d’information et de communication et de leurs usages. Il se refuse en effet à prendre au mot les
tenants de l’industrialisation par la technique, lesquels font de celle-ci le moteur des mutations
éducatives. En réalité, indique-t-il en substance, la question industriellerelève d’abord et avant tout
du niveau des évolutions organisationnelles, d’une part, et de celui des représentations que les
acteurs concernés se font des missions à attribuer à l’école, d’autre part.
Conformément aux principes d’une sociologie compréhensive inspirée des travaux de M. Weber3,
il met doncl’accent sur la capacité interprétative de ces acteurs et sur leur aptitude à « mettre en
forme le social4 » à la lumière du sens qu’ils donnent au réel où ils sont impliqués et en fonction
des « ordres de justice » différents auxquels ils se réfèrent. Il insiste également sur le fait que le
principe régulateur du modèle de compétence industriel est le rendement, ce qui explique l’intérêt
marquédes décideurs pour la systématisation des pratiques d’évaluation. Dès lors, le fait technique
1 Birzéa 1982.
2 Derycke 2015.
3 Weber [1904-1917] 1965.
4Derouet [1989] : 21.
6
– ou « capital technique », comme le disent les industrialistes – ne vient qu’après, pour conforter
éventuellement des mutations qui ont commencé par être organisationnelles.
Ces mêmes industrialistes ont beau se recommander par ailleurs de la théorie du « mastery
learning » et des travaux de C. Birzéa, eux-mêmes plus ou moins lointainement liés aux préceptes
du behaviourisme et de B. F. Skinner*. En réalité, davantage quele « capital technique » – serait-il
le seul moyen de réduire les coûts de fonctionnement du système – les présupposés idéologiques
du modèle industriel s’imposent à travers la redéfinition qu’il induit des cadres d’enseignement : la
spécialisation des espaces et des professionnels, l’accent mis sur la gestion (documentation, salles
informatiques ou centre de langues) et le recours à des modes d’évaluation des élèves privilégiant
non plus l’égalité des chances, mais celle des résultats. Telle est, brièvement résumée, la position
de J.-L. Derouet sur la question de l’industrialisation éducative. Les extraits ci-dessus sont
suffisamment éloquents pour qu’il ne soit pas utile d’y revenir dans le détail.
En revanche se pose la question de savoir ce qu’il faut en retenir dans la perspective de notre
propre approche de l’industrialisation éducative.
Première observation : constat et critique sont ici adroitement menés de pair. L’utilité du constat
est de noter qu’effectivement le modèle industriel est présent dans les établissements et qu’il
constitue désormais une composante essentielle des « compromis locaux » qui y sont élaborés.
Ainsi sont opportunémentmis en lumière le rôle et l’importance de la logique industrielle dans les
changements affectant le système éducatif. Le mérite de J.-L. Derouet est d’autant plus grandà cet
égard qu’à l’époque où il présente ce résultat, cette dimension industrielle est, selon les cas,
fortement surévaluée par les porteurs du projet industriel éducatif ou au contraire totalement
négligée par leurs adversaires. A contrario disposons-nous ici de moyens théoriques appropriés
pour examiner de manière rigoureuse comment et dans quelle mesure les principes industriels
s’articulent avec ceux, domestiques, civiques et marchands, eux aussi présents dans l’univers
scolaire et avec lesquels il faut composer pour parvenir aux compromis indispensables à un
établissement viable et vivable. De fait, si d’uncôté, la pédagogie industrielle cherche à réduire les
questions liées au savoir, à la culture, aux individus et au bonheur (références chères aux logiques
domestique et civique) à de simples « problèmes techniques », de l’autre côté, les modèles
concurrents ont, eux aussi, des principes de justice et des argumentations à faire valoir. À cet
égard, l’analyse de J.-L. Derouet est donc d’une grande portée heuristique pour la compréhension
des contours et modalités du projet industriel éducatif et, plus généralement, pour l’identification
7
des accommodements auxquels il se prête avec les modèles concurrents qui, eux aussi, font
l’École.
Deuxième observation, la critique nous paraît aussi utile et fondée que le constat.J.-L. Derouet met
en effet en évidence le fait que le modèle en question accorde plus d’importance aux aspects
fonctionnels et aux mécanismes opératoires de résolution de problèmes qu’aux savoirs eux-mêmes.
Significativement, ajoute-t-il, les promoteurs de l’enseignement programmé vont jusqu’à envisager
la disparition pure et simple des établissements scolaires, selon un raisonnement qu’aujourd’hui –
c’est nous qui l’ajoutons – un certain nombre de promoteurs des MOOC ne désavoueraient pas.
Ainsi J.-L. Derouet observe-t-il les progrès d’une pédagogie industrielle qui « envisage sans frémir
la disparition des espaces de sociabilités traditionnels » et qui se justifie « au nom de la
démocratisation des études(compromis civique/industriel)1 ».Contre les illusionsde l’apprentissage
entièrement à domicile, dans le face à face de l’apprenant et de son écran d’ordinateur, il partage
avec J. Hassenforder, grande figure de la recherche française des années 1960-1980 sur les centres
de documentation et les bibliothèques scolaires, l’idée selon laquelle, au contraire, la concentration
des moyens au cœur des établissements est et reste plus que jamais le gage d’une utilisation
efficace des ressources.
Troisième observation ne valant pas uniquement pour les extraits ci-dessus, mais aussi peu ou prou
pour les contributions de G. Berger* et M. Linard* et, bien sûr, pour celles de B. F. Skinner*, G.
Paquette* et P. H. Coombs* (pour n’évoquer que des auteurs présents en cette anthologie) : la
tendancetout à fait caractéristique de l’époque où ce textea été écritlocalise dans la pédagogie
l’épicentre des transformationsindustrielles de l’école et de l’industrialisation de l’éducation. Or,
force est de constater rétrospectivement que cette industrialisation n’affecte en réalité pas
prioritairement – voire pas du tout – la relation d’apprentissage entre enseignants et apprenants. De
fait, il est aujourd’hui patent que « l’habitus de l’utilitarisme industriel2 » concerne davantage,
sinon exclusivement, la gestion des ressources, des lieux spécialisés, des établissements soumis à
des normes de qualité et à des modes de régulation définies au niveau international et faisant appel
à une ingénierie méthodique de l’évaluation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est à cette
ingénierie et à ses présupposés que J.-L. Derouet consacre ses travaux ultérieurs3.
Quatrième observation, touchant à la nature industrielle prêtée par J.-L. Derouet au modèle
éducatif industriel. Sans doute signale-t-il que la nouvelle rationalité industrielle n’a plus grand
chose à voir avec celle que les pionniers états-uniens, tels que B. F. Bobbitt et français tel que J.
1Derouet 1989 : 12.
2 Waters 2001 : 79.
3 Derouetet Normand 2007.