Cartographie des
CENTRES DE FORMATION
EN JOURNALISME
D’afrique subsaharienne
Alan Finlay
À Bahir Dar University en Éthiopie, les étudiants en journalisme ont décoré le campus avec des panneaux exhortant à la liberté de la presse.
Fojo Media Institute de la Linnaeus University,
Kalmar, Suède
Programme Wits Journalism de l’University of the
Witwatersrand, Johannesbourg, Afrique du Sud
ISBN: 978-91-89283-24-4
November 2020
Le contenu de cette publication est protégé par le
droit d’auteur. Fojo Media Institute et Wits Journalism
sont disposés à partager avec vous le texte de ce docu-
ment sous Licence Creative Commons Attribution-Share-
Alike 4.0.
Photo de couverture: Tomas Jennebo, University of Rwanda
Traduction: Maxime Domegni
Fojo Media Institute
Fojo est un centre suédois reconnu pour des formations
en journalisme professionnel et le soutien au dévelop-
pement des médias au niveau international, avec pour
mission de renforcer le journalisme libre, indépendant
et professionnel.
Fojo est un institut indépendant de Linnaeus Univer-
sity. Sa mission est de soutenir les journalistes et le
développement des médias en Suède et dans le monde.
Depuis plus de 45 ans, Fojo organise des formations de
mi-carrière pour les journalistes suédois et s’est engagé,
depuis 1991, dans le développement des médias au
niveau international. Plus d’informations: www.fojo.se/
en/
CHARM
Cette étude est une publication conjointe de Fojo Media
Institute et de Wits Journalism, dans le cadre du pro-
jet “Consortium for Human Rights and Media in Africa”
(CHARM, Consortium pour les droits de l’homme et
les médias en Afrique), financé par l’Agence suédoise
pour la coopération et le développement international
(SIDA). Face à des espaces qui se réduisent, le projet
renforce la création de synergies entre la société civile,
les médias et les défenseurs des droits de l’homme en
Afrique subsaharienne. Il est conçu et mis en œuvre par
un consortium de six partenaires régionaux: Fojo Media
Institute, Wits Journalism, CIVICUS, Civil Rights Defend-
ers, Defend Defenders et Hub Afrique.
Crédit photo: Tomas Jennebo, University of Rwanda
WITS Journalism
Wits Journalism est l’un des principaux centres, en
Afrique du Sud, qui dispense un enseignement de
troisième cycle de qualité, suscite l’émergence d’un
leadership éclairé et d’un engagement concret dans le
monde changeant du journalisme. Situé à l’Université du
Witwatersrand à Johannesburg – au cœur de l’industrie
des médias du pays – il offre un riche éventail de possi-
bilités d’apprentissage pour les journalistes en herbe et
en activité. Il est aussi présent dans divers domaines,
allant de l’organisation de conférences internationales
au travail avec les médias communautaires, en passant
par des soutiens à des projets d’innovation et au jour-
nalisme d’investigation.
Plus d’informations : www.journalism.co.za
A propos de l’auteur
Alan Finlay est un chercheur, un écrivain et un rédacteur
sur les questions relatives aux droits de l’internet et des
médias. Il enseigne la communication comme vecteur
de changement social à Wits Journalism, où il coordonne
également la revue intitulée State of the Newsroom.
Au cours des douze dernières années, il a été le rédac-
teur en chef de Global Information Society Watch, une
publication annuelle de la société civile sur la société
de l’internet publiée par l’Association for Progressive
Communications.
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Table des matières
1.
Introduction ……………………………………………………………………………………… 6
2. Objectif et méthodologie du rapport …………………………………………………………… 9
3. Résumé par pays ………………………………………………………………………………… 13
4. Besoins en formation ……………………………………………………………………………. 24
5. Les acteurs clés de la formation en journalisme en Afrique subsaharienne ………………….. 27
6. Réseaux …………………………………………………………………………………………. 31
7. Effectifs d’étudiants et de personnel dédié ……………………………………………………. 33
8.
Stages …………………………………………………………………………………………… 42
9. Cours destinés aux journalistes en activité, aux managers et aux entrepreneurs ……………. 44
10.
Journalisme, relations publiques et autres filières liées aux médias ………………………. 47
11.
Journalisme d’investigation ………………………………………………………………….. 49
12.
E-learning (cours en ligne) …………………………………………………………………… 51
Annexe I : Les personnes et centres ayant répondu à l’enquête en ligne …………………………… 54
Annexe II : Centres en Afrique centrale et occidentale francophone ………………………………. 56
5
Introduction
1.
Les formations et études supérieures en journalisme sont en plein essor en Afrique subsaharienne.
Elles sont proposées entre autres par les universités, les écoles supérieures, les instituts, les
organisations à but non lucratif, les conseils des médias, les organismes de régulation, les
syndicats, les diffuseurs publics et les médias commerciaux. Une analyse préliminaire et
fragmentaire de 19 pays, que nous avons réalisée au début de cette étude en n’utilisant que des
bases de données et des sources fiables, a couvert au moins 127 centres, principalement des
universités, des collèges et des instituts. Rien qu’au Nigeria, il y aurait 66 centres1 ; en Afrique du
Sud, une étude récente a réduit une liste substantielle à 13 institutions2 ; tandis qu’en Ethiopie, le
gouvernement a fourni une liste de 19 universités publiques proposant des études en journalisme.
Plusieurs des centres pris en compte dans cette étude s’étendent et explorent de nouveaux
territoires. Parmi eux, Wits Journalism (Département de Journalisme de l’Université de Wits à
Johannesbourg) planifie la création d’un centre de journalisme ; the School of Journalism and
Media Studies de Rhodes University vient de lancer son premier cours entièrement en ligne et
homologué, l’un des pionniers de la région ; the Ghana Institute of Journalism et the School of
Journalism and Communications de University of Addis Ababa déménagent tous deux dans des
locaux imposants – dans le cas de The University of Addis Ababa, l’école occupera même cinq
étages dans un nouveau bâtiment.
Le Premium Times Centre for Investigative Journalism du Nigeria concrétise le projet d’offrir un
enseignement à distance selon une approche modulaire en Afrique de l’Ouest. Le Namibia Media
Trust a revu le contenu de ses cours pour proposer un apprentissage en ligne et cherche également
à s’étendre en Afrique de l’Ouest. amaBhungane a récemment mis en place son IJ Hub, un réseau
d’organisations de journalistes d’investigation de plusieurs pays.
Dans le même temps, des centres plus récents comme la Graduate School of Media and
Communications de l’Aga Khan University du Kenya, d’une existence de cinq ans mais qui a lancé
ses programmes universitaires il y en a seulement deux, ont une position ascendante dans le pays
et dans la région, et bénéficient d’ores et déjà d’une solide réputation. D’autres introduisent de
nouveaux programmes de licence ou de maîtrise en journalisme, tandis qu’un centre plus récent
comme SheWrites, SheLeads, qui se concentre sur la formation des femmes aux compétences de
base du journalisme, va s’installer dans ses propres locaux au Liberia et étendre ses activités.
Parallèlement, en 2019, l’University of Lesotho a créé la première école de formation en
journalisme du pays.
L’émergence de ces centres, dans le contexte spécifique de leur situation nationale, dépend de
critères tels que le pouvoir et la diversité de l’environnement médiatique, la disponibilité des
financements et autres ressources annexes (notamment techniques), ainsi que l’environnement
réglementaire du secteur de l’enseignement. Toutefois lorsqu’il s’agit de procéder à l’état des
lieux de la formation en journalisme dans un pays particulier, c’est le travail de tous ces groupes et
leurs interactions qu’il faut garder à l’esprit.
Ce rapport qui se concentre sur dix (10) pays présente un aperçu des centres de formation et
d’études supérieures en journalisme en Afrique subsaharienne. Bien que l’accent principal de cette
recherche ait été mis sur les institutions telles que les universités, les écoles et les instituts, nous
avons adopté le terme générique de “centres” afin d’inclure certaines initiatives locales des
organisations à but non lucratif, ainsi que celles intrinsèquement liées aux médias commerciaux.
1 Ce chiffre ne tient compte que des universités et des écoles polytechniques, et il est maintenant susceptible d’être plus
élevé. Amenaghawon, F. Document de conférence. Juillet 2010. Proliferation of Journalism Schools in Nigeria : Implication
for Quality and Professionalism.
2 Riding the Waves : Journalism Education in Post-Apartheid South Africa par Anthea Garman et Mia van der Merwe en
2017.
6
L’objectif réside en une tentative d’identification des tendances de l’enseignement et de la
formation en journalisme en Afrique subsaharienne, des défis et des domaines de créativité et
d’enseignement, ainsi que ce que nous nommons “centres s’adaptant à un environnement
changeant”.
La dernière cartographie des centres de formation des journalistes sur le continent semble avoir
été réalisée il y a plus de dix ans par l’Unesco3, bien que des études spécifiques à chaque pays aient
ensuite été menées4. Les besoins en formation des journalistes font également l’objet de
recherches dans au moins deux nouvelles études qui devraient paraître prochainement5. Le présent
rapport doit donc être consulté en référence au contexte particulier de ces études. Bien que les
observations générales formulées ici soient nécessairement limitées à la sphère des recherches, il
est à espérer que cette étude contribuera à combler une lacune dans la compréhension et la prise
de conscience émergentes de la dernière décennie.
Quatre particularismes contextuels doivent être pris en considération dans la lecture de ce rapport.
1. L’histoire coloniale du continent
La colonisation du continent africain a façonné l’émergence de réseaux de formation et
d’enseignement exclusifs, ainsi que de lignes de communication privilégiées qui influencent encore
maintenant le cursus d’enseignement supérieur. Par exemple, un certain nombre de centres et de
maisons de presse de l’’Île Maurice ont tendance à rechercher en priorité une expertise
européenne, en invitant par exemple des universitaires et des professionnels français, plutôt que
leurs homologues évoluant dans l’épicentre des formations francophones comme le Cesti de
l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), au Sénégal. De même, les centres des pays
lusophones ont tendance à prospecter au Portugal ou au Brésil pour des échanges ou des
collaborations universitaires, tant au niveau estudiantin que professoral.
Il existe également peu d’exemples de formation ou de recherche en journalisme dans les langues
autochtones malgré le rôle primordial que joue la radio dans la diffusion des informations en
langues locales. Peu d’étudiants de Wits Journalism, par exemple, incluent les publications ou les
stations de radio en langues locales dans leurs recherches, bien que des langues telles que l’isiXhosa
ou l’isiZulu soient deux des principales langues utilisées dans la diffusion des médias du pays.
Au Ghana, la plupart des informations sont diffusées par les stations de radio communautaires et
sont en langues locales, mais il n’y a pas de formation ou de formateurs pour ces journalistes en
raison de la fracture dans l’enseignement des langues locales. Il n’y a pas non plus d’enseignement
dans ces langues, et très peu d’articles sont écrits à partir d’une perspective locale. Au lieu de
cela, les journalistes qui présentent les informations sur les stations de radio communautaires sont
censés traduire les nouvelles en direct à partir de scripts écrits en anglais – ce qui entraîne toutes
sortes d’élaborations et d’inexactitudes dans les informations qui parviennent finalement à la
majorité de la population.
Les formateurs et les enseignants en journalisme – en particulier dans le milieu universitaire – sont
soumis à une forte pression de maîtrise parfaite de l’anglais. Comme le confirme une personne
interrogée : “Si vous voulez être un universitaire de haut niveau, vous devez parler anglais, car c’est
alors que vous recevrez la meilleure reconnaissance de la communauté mondiale de la recherche”.
De même, des journalistes d’Afrique occidentale francophone indiquent se sentir isolés lors de
conférences régionales tenues dans des pays anglophones.
3 En 2007, titré Criteria and Indicators for Quality Journalism Training Institutions: Identifying Potential Centres of
Excellence in Journalism Training in Africa. https://en.unesco.org/programme/ipdc/initiatives/centres-excellence-
journalism-education
4 A l’instar de Riding the Waves: Journalism Education in Post-Apartheid South Africa par Anthea Garman et Mia van der
Merwe en 2017.
5 Namibia Media Trust et le South African National Editors’ Forum
7
Un certain nombre de centres tentent de réduire ces clivages en invitant des journalistes ou des
orateurs non-anglophones à des conférences ou en encourageant les étudiants étrangers de pays
non anglophones à faire des recherches sur l’environnement médiatique de leur pays d’origine. Au
moins deux centres – un en Afrique australe et un en Afrique de l’Ouest anglophone – cherchent
activement à établir des partenariats pour des formations en Afrique de l’Ouest francophone. En
même temps, Rhodes University organise un cours obligatoire de “Journalisme en IsiXhosa ” pour ses
étudiants afin de leur permettre “de travailler avec confiance et sensibilité en tant que journalistes
dans des environnements multilingues et multiculturels”6.
Le réseau de journalistes d’investigation Cenozo en Afrique de l’Ouest constitue une approche
intéressante à cet égard. Outre les formations qu’il propose, il s’efforce délibérément d’inclure dans
ses rangs des journalistes des pays anglophones, francophones et lusophones d’Afrique de l’Ouest.
La fracture linguistique et culturelle en Afrique demeure néanmoins un prisme important de
compréhension de l’état actuel de la formation et des études supérieures en journalisme sur le
continent ainsi que des réseaux d’apprentissage et d’enseignement qui en ont émergé.
2. Crise des rédactions
Dans la plupart des pays, les rédactions des médias commerciaux sont soumises à une pression
financière. Dans tous les pays étudiés, les journaux imprimés, en particulier, sont soumis à rude
épreuve. Les rédactions manquent de ressources, ont moins de personnel dédié et, dans de
nombreux cas, les cadres, maillons essentiels, sont partis. Il en résulte des lacunes dans les
capacités desdites rédaction, notamment en matière de connaissances spécialisées, de capacité à
couvrir les questions importantes, de compétences en termes de rédaction, de relecture et de
correction, et de lacunes béantes dans l’application systématique d’une éthique journalistique. Par
ailleurs, de nombreuses rédactions n’offrent ni formation ni encadrement en interne des nouveaux
journalistes. La situation des journalistes est de plus aggravée par leur rémunération médiocre et
l’exploitation sociale dont ils sont souvent victimes de la part de leurs employeurs.
Un exemple concret de cette situation a été donné au Ghana. Une importante maison de presse
employait principalement des journalistes indépendants afin d’économiser sur les frais de
personnel. Cependant, une partie de cet engagement contractuel exigeait que les “freelances” (ou
indépendants) n’écrivent pas pour d’autres publications. Cette exclusivité limitait de fait leur marge
de travail. En outre, pendant la pandémie de Covid-19, les journalistes de la maison de presse ont
vu leur salaire réduit de moitié et ont été assignés au travail à domicile, en télétravail intégral,
sans qu’aucune aide financière ne leur soit accordée pour couvrir les dépenses supplémentaires
induites par cette situation. Les journalistes n’ont reçu aucun équipement de protection
individuelle (EPI), et des fonds ont dû être collectés auprès de l’ambassade des États-Unis pour
finalement les en doter.
La réduction des budgets des rédactions ne signifie pour autant pas qu’elles ne prennent pas la
question de la formation au sérieux. Le modèle de création d’organisation à but non lucratif utilisé
par au moins deux médias commerciaux (en Namibie et au Nigeria) pour le plaidoyer et la
formation dans le domaine des médias offre un exemple pertinent de la manière dont les capacités
des journalistes en activité peuvent être renforcées dans la région. Un modèle similaire est
actuellement à l’étude dans un grand média de l’Île Maurice. Au Kenya, The Nation et The Standard
organisent tous deux des programmes de formation pour les nouvelles recrues et les journalistes en
activité.
3. Corruption
La corruption est endémique dans la plupart des pays étudiés, tant au sein des gouvernements que
dans les milieux des affaires. Dans plus d’un pays, la corruption dans les industries extractives est
perçue comme un phénomène répandu. Les enquêtes sur des problèmes tels que la corruption
6 https://www.ru.ac.za/jms/studentresources/isixhosaforjournalism/#d.en.255746
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