ANNA
BOGHIGUIAN
Le carré,
la ligne
et la règle
Beaux-Arts de Paris
10 octobre – 1er décembre 2019
« Le voyage n’est pas
seulement géographique. »
Entretien avec Anna Boghiguian
Dans la cour vitrée du Palais des études, Anna
Boghiguian présente Le carré, la ligne et la règle (« The
square, the line and the ruler »), deux jeux d’échecs
monumentaux produits pendant une résidence de
plusieurs mois aux Beaux-Arts.
Le travail d’Anna Boghiguian est intimement lié à la lit-
térature. Elle a rédigé et peint des carnets de voyage,
illustré les écrits de Constantin Cavafy, de Giuseppe
Ungaretti, d’Edward Morgan Forster et de Clarice
Lispector ou les couvertures des romans de Naguib
Mahfouz. Le livre, comme support matériel et comme
lieu du récit est la matrice de son œuvre. Depuis une
dizaine d’années, elle a développé de grandes instal-
lations, souvent ancrées dans le contexte immédiat de
ses œuvres. Pour ne citer que trois projets récents : au
Carré d’Art à Nîmes, la fondation romaine de la ville,
à Castello di Rivoli, un épisode de la vie de Nietzsche
survenu à Turin ou encore, pour sa rétrospective à la
Tate St Ives, l’histoire des mines d’étain dans les Cor-
nouailles. Anna Boghiguian vit au Caire mais voyage
sans cesse et beaucoup de ses dessins et peintures
ont été produits (et parfois perdus) dans les aléas de
cette vie nomade.
Pour sa participation au Festival d’Automne à Paris,
Anna Boghiguian a choisi d’évoquer les stratégies
qui régissent aussi bien les rapports entre individus
que les relations géopolitiques en installant deux jeux
d’échec de part et d’autre de la cour vitrée. Sur la
gauche, l’institution, représentée par un groupe de
militaires, fait face au peuple, majoritairement com-
posé de manifestants librement inspirés par l’actua-
lité politique française. Sur la droite, le deuxième jeu
oppose des « philosophes ambigus » à des « politiciens
ambigus ». Les premiers ont élaboré le cadre idéolo-
gique dans lequel ont opéré les seconds. Le poète
Tagore y croise Hugo Chávez, Gandhi, des derviches
ou la reine Victoria. Les soixante-quatre pièces ont
toutes été peintes sur papier et marouflées sur bois.
Autour d’elles, tables et chaises sont mises à dispo-
sition des joueurs d’échecs amateurs ou confirmés.
Les voyages et les déplacements sont au cœur de
votre travail. Ils font partie de votre pratique. Cela
me semble définir un certain rapport au monde.
Ce n’est pas vraiment le déplacement qui est au centre
de mon travail bien que l’on puisse penser que mes
dessins sont des dessins de voyage. Quand je voya-
geais étant jeune, c’était important pour moi de dessi-
ner ce qui était autour de moi. J’avais plaisir à dessiner
et à pratiquer. À cette époque, je pensais que c’était
nécessaire de dessiner tout le temps.
Pourquoi cette urgence du dessin ?
J’avais cette urgence dans mon corps. Comme on a
des urgences pour certaines choses. Peut-être que
je l’ai encore maintenant. C’était très important de
dessiner et par la suite j’ai commencé à peindre. Je
préférais peindre sur papier et pas sur toile. J’ai com-
mencé à peindre sur toile après 2000.
Vos dessins étaient comme des notes par rapport à
des situations ?
Oui mais ce n’est pas parce que je n’avais pas d’ap-
pareil photo que je dessinais. C’était pour faire par-
tie de là où j’étais. Je faisais aussi des photos mais on
m’avait volé mon appareil au Mexique. Je prenais un
grand nombre de photographies et je peignais dessus.
Comme j’avais très peu d’argent, je prenais beaucoup
de photos, mais j’arrivais rarement à les développer
parce qu’au Canada c’était cher.
Dans votre travail, on note une considération de cer-
taines parties du monde, mais aussi un déplacement
dans le temps et dans l’histoire.
Je pense que le voyage n’est pas seulement géogra-
phique. On peut bouger d’un lieu à un autre mais on
est toujours soi-même. Les déplacements sont aussi
dans le cerveau, dans l’histoire et le temps. C’est ce
qui est intéressant quand on se déplace dans des pays,
on rencontre leur histoire, leur situation politique et
sociale. L’histoire ancienne et l’histoire contemporaine
sont très liées l’une à l’autre. L’Europe a eu une très
grande influence sur le monde.
L’oreille y est aussi centrale. C’est un morceau de
corps mais c’est aussi une métaphore de la relation
à l’autre, ce qui est visible, invisible.
Je suis sourde donc l’ouïe est centrale dans ma vie.
Quand on perd l’audition on se rend compte de son
importance. Avec l’oreille, on développe des relations
et on assimile des connaissances. Il y a trois sortes
d’oreilles dans mon travail: l’oreille métaphysique qui
est celle intérieure, par laquelle on entend des choses
qui n’ont rien à voir avec la société ou avec le monde
matériel; l’oreille physique par laquelle on entend les
sons, et l’oreille sociale qui nous permet d’assimiler
ce qui nous entoure. L’oreille est importante car on
ne peut pas sans cesse écrire pour communiquer. Il
y a aussi l’écoute.
Au niveau technique, la cire est importante dans
votre travail.
J’ai commencé à travailler avec la cire quand j’étais
étudiante dans les années 1970 au Canada avec un
matériau qui s’appelait le crayonex qu’on pouvait faire
fondre et avec lequel on pouvait peindre. Après, j’ai
cessé car comme je voyageais ce n’était pas pratique.
J’ai repris vers 1989.
La cire donne aux dessins une certaine matérialité.
Mon travail a changé avec la cire au niveau de la tex-
ture. Il y a aussi la transparence. C’est à la fois très
souple et très dur, un peu comme le marbre. La cire
fond, c’est comme la vie qui s’en va. Nous sommes
comme des bougies, à la fin on s’éteint et on meurt.
Propos recueillis par Jean-Marc Prévost,
in Catalogue Anne Boghiguian
à l’occasion de l’exposition Anna Boghiguian
Promenade dans l’inconscient au Carré d’Art, Nîmes
Commissariat d’exposition, Jean-Marc Prévost, Thierry Leviez
Assistantes d’Anna Boghiguian, Brenda Jouys, Claudia Tennant
Production Festival d’Automne à Paris
En collaboration avec les Beaux-Arts de Paris
Avec le soutien de Women In Motion, un programme de Kering qui met
en lumière la place des femmes dans les arts et la culture.
Tournois de parties d’échec ouverts à des joueurs de toutes générations
Ces tournois seront organisés en partenariat avec la Ligue Île-de-France
des Échecs.
Vendredi 1er, samedi 2 et dimanche 3 novembre aux Beaux-Arts de Paris
Rencontre avec Anna Boghiguian
En écho à son exposition aux Beaux-Arts de Paris, Anna Boghiguian
échange avec Jean-Marc Prévost, co-commissaire de l’exposition et
directeur du Carré d’Art-Musée d’art contemporain.
Vendredi 11 octobre à 18h aux Beaux-Arts de Paris
Entrée libre
Catalogue d’exposition
L’exposition sera accompagnée d’un catalogue en français (100 pages,
illustrations couleurs).
Édition limitée
À l’invitation du Festival, Anna Boghiguian réalise une œuvre en édition
limitée, numérotée et signée (100 exemplaires), en vente sur la boutique
en ligne du Festival d’Automne et à la librairie des Beaux-Arts.
Anna Boghiguian au Centre Pompidou
Récemment entrée dans les collections du Musée national d’Art moderne,
Promenade dans l’inconscient (2016) est une œuvre majeure d’Anna
Boghiguian. Convoquant nombre de ses références historiques et
littéraires – des mythes antiques aux mémoires coloniales –, l’installation
rassemble les multiples figures de son petit théâtre du monde, projeté
ici sous formes de silhouettes et autres formes découpées inspirées du
Karagheuz, le théâtre burlesque ottoman.
Installation à découvrir au 4e étage (salle 24) du Centre Pompidou,
du 10 octobre au 31 décembre.
Tarif : 11 € pour les abonnés du Festival
Partenaires média du Festival d’Automne à Paris
Anna Boghiguian est née en 1946. D’origine armé-
nienne, elle a grandi au Caire, et s’est installée au
Canada dans les années 1970 pour étudier l’art et la
musique. Elle vit aujourd’hui au Caire quand elle n’est
pas en voyage. Au cours des dix dernières années de
nombreuses expositions ont été consacrées à son tra-
vail notamment à la Documenta de Cassel (2012), aux
Biennales de Venise (pavillon arménien, 2015), Istan-
bul (2015) et Sharjah (2018) ; à Castello di Rivoli à
Turin (2017), au Museum der Moderne de Salzbourg
(2018), au New Museum de New York (2018) et à la
Tate St Ives (2019).
beauxartsparis.fr – 01 47 03 50 00
festival-automne.com – 01 53 45 17 17
Photo : © Anna Boghiguian