Formation emploi
Revue française de sciences sociales
127 | juillet-septembre 2014
Pêle mêle
Aides à domicile : la formation améliore-t-elle
l’emploi ?
Social Life Auxiliary : does training improve the quality of employment ?
Sozialpfleger : Verbessert eine Ausbildung die Beschäftigungsqualität ?
Ayudas a domicilio : la formación ¿mejora el empleo ?
Loïc Trabut
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/4254
DOI : 10.4000/formationemploi.4254
ISSN : 2107-0946
Éditeur
La Documentation française
Édition imprimée
Date de publication : 30 octobre 2014
Pagination : 71-90
ISSN : 0759-6340
Référence électronique
Loïc Trabut, « Aides à domicile : la formation améliore-t-elle l’emploi ? », Formation emploi [En ligne],
127 | juillet-septembre 2014, mis en ligne le 30 octobre 2016, consulté le 30 octobre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/formationemploi/4254 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
formationemploi.4254
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Aides à domicile : la formation
améliore-t-elle l’emploi ?
Loïc TrabuT
Sociologue, chargé de recherche à l’Institut National d’Etudes Démographiques, associé au
Centre d’Études de l’Emploi.
n Aides à domicile : la formation améliore-t-elle l’emploi ?
Quel est l’effet de la mise en place du diplôme d’État d’Auxiliaire de vie sociale (DEAVS)
sur la qualité de l’emploi du secteur de l’aide à domicile ainsi que sur les critères de recru-
tement ? Fondé sur une enquête ethno-statistique menée auprès d’une association d’aide
à domicile, cet article montre que la valorisation symbolique et salariale se réalise au détri-
ment des conditions d’emploi. La norme hétéronome de flexibilité, à l’origine de la mau-
vaise qualité d’emploi, est indépendante de la professionnalisation par la formation.
Mots clés : aide à domicile, certification, diplôme, auxiliaire de vie sociale, recrutement,
validation des acquis
Résumé
Abstract
n Social Life Auxiliary: does training improve the quality of employment?
What is the effect of the State Diploma for Social Life Auxiliary (Diplôme d’État
d’Auxiliaire de Vie Sociale, DEAVS) on the quality of employment in the sector of elderly
care as well as on the criteria for recruitment? Based on an ethno-statistical investigation
conducted in an elderly care organisation, this paper shows that symbolic and wage valo-
rization is achieved at the expense of employment conditions. The heteronomous stan-
dard of flexibility, causing the poor quality of jobs, is independent of professionalization
through training.
Keywords : home help, certification, diploma, social life auxiliary, recruitment, validation
of acquired skills
Journal of Economic Literature : J 44
Traduction : Auteur
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En 2008, la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statis-
tiques) dénombrait 515 000 aides à domicile intervenant au domicile de personnes
fragilisées, que ce soit en raison de leur âge, d’un handicap, d’une maladie ou de toute
autre raison (Marquier, Hanon, 2012). Ces salariés intervenaient auprès des personnes
nécessitant une aide pour réaliser les actes essentiels de la vie quotidienne, tels que se
laver, manger, etc. Ces interventions sont principalement financées dans le cadre de
prestations sociales. La plus importante est l’Allocation Personnalisée d’Autonomie
(APA), qui s’élève, en 2008, à 3,2 milliards d’euros. Elle est versée aux personnes âgées
de plus de 60 ans en perte d’autonomie. 92 % des montants versés financent des heures
d’aide à domicile.
Alors que le terme d’aide à domicile existe dans la loi depuis 19561, aucun texte n’a réel-
lement traité de la définition du métier jusqu’en 1970, à l’occasion de la rédaction des
premières conventions collectives, dont aucune ne retient alors la même appellation.
Néanmoins, le 29 mars 2002, un accord relatif à l’emploi et aux rémunérations, agréé
par un arrêté du 31 janvier 2003, est signé. Il a pour vocation de définir les métiers, de
créer des filières professionnelles et d’homogénéiser les différents statuts. Un processus
d’unification est alors lancé pour doter ce secteur d’une convention collective unique
(la convention collective de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des ser-
vices à domicile 2007), entrée en vigueur le 1er janvier 2012, et d’un diplôme unique,
le DEAVS, diplôme d’Etat d’Auxiliaire de vie sociale2 (Moreau, 2003).
Stéphane Alvarez considère cet accord de branche comme la dernière étape du processus
de professionnalisation du secteur : « Les anciennes aides ménagères et aides à domicile
se voient offrir une possibilité de qualification à travers l’instauration du diplôme d’Etat
d’Auxiliaire de vie sociale (DEAVS). Le changement de nom de l’aide à domicile en auxi-
liaire de vie correspond à une volonté de modifier la position sociale de ces “aides à domi-
cile”. » (Alvarez, 2010, pp. 5-6). Ce diplôme de niveau V3 les place désormais au même
niveau de formation et de rémunération que les aides-soignantes (Moreau, 2003). Ce
consensus en faveur d’une professionnalisation permettrait d’offrir des perspectives
plus incitatives aux jeunes générations. Toutefois, la formation n’est pas l’unique levier
vers la professionnalisation de l’aide à domicile (Croff, Mauduit, 2003) ; cela suppose
aussi des emplois plus proches de l’emploi moyen en termes de durée du travail, de
revenus, et de perspectives d’évolution (Maruani, 2011).
1. Article 157, Chapitre V « Aide sociale aux personnes âgées du Code de la famille et de l’aide sociale »,
publié au Journal Officiel de la République française, 28 janvier 1956.
2. 3 519 diplômes validés en formation et 2 676 par acquis de l’expérience en 2011 (Nahon, 2013).
3. Niveau de formation équivalent à celui du brevet d’études professionnelles (BEP) ou du certificat d’apti-
tude professionnelle (CAP).
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Encadré 1 : Méthodologie
Ce texte s’inscrit dans le prolongement d’un travail de thèse visant à appréhender les moda-
lités de production de l’aide à domicile pour personnes âgées.
Il s’appuie sur une enquête réalisée, de 2009 à 2010, sur l’ensemble des processus de produc-
tion, depuis le recrutement des salariés, l’organisation du travail, jusqu’à la production du
service dans une association d’aide à domicile fournissant des interventions aux particuliers
sous différentes modalités. Nous traitons ici uniquement des salariés directement employés
par l’association, c’est-à-dire travaillant sous une forme prestataire.
L’aide à domicile correspond à trois modes d’organisation du travail : Les modes prestataire
ou mandataire dans le cas d’une aide intermédiée par une association ou une entreprise et
l’emploi direct dans le cas d’une aide directement recrutée par la personne âgée. Dans le cas
du mandataire, la responsabilité légale de l’employeur revient au bénéficiaire du service, dans
le cas du prestataire, à l’organisme employeur qui vend ensuite la prestation.
En 2008, 72,6 % des services étaient orientés vers les personnes « vulnérables » (a), plus de
122 000 heures de prestations étaient fournies à 350 clients sur l’année et 55,7 % des heures
vendues l’étaient dans le cadre de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA). L’allocation
est destinée à couvrir en partie les dépenses de toute nature (principalement d’aide à
domicile) afin d’accomplir des actes essentiels de la vie. L’APA à domicile est attribuée, sous
certaines conditions, par les conseils généraux qui, par l’intermédiaire des équipes médico-
sociales, définissent des plans d’aide.
Ce mode de financement oblige l’association à suivre une prescription d’intervention fournie
par le conseil général. Nous avons collecté ces plans d’aide (*) pour les 89 allocataires de
l’APA. Les autres clients payent directement les prestations à l’association, majoritairement
du ménage.
L’enquête s’est déroulée sur une période de dix mois, au cours de laquelle nous nous sommes
déplacés sur le territoire d’intervention de l’association et dans l’association, de un à trois
jours par semaine. Outre l’observation du fonctionnement de la structure et le recueil des
données relatives aux ressources humaines, l’objectif était de réaliser des entretiens avec le
personnel en charge de la gestion de la main-d’œuvre (5), et avec certains salariés intervenant
à domicile (10).
Les données collectées nous permettent d’identifier les profils et caractéristiques sociales de
172 salariés ayant été recrutés de manière pérenne (b) depuis 1999 et toujours en emploi.
L’échantillon de salariés sur lequel nous avons travaillé représente l’ensemble des salariés de
l’association travaillant au moins en partie en mode prestataire (112/172) (c) et réalisant soit
des services dits de « confort » correspondant à du ménage, soit de l’ « aide à la personne »,
c’est-à-dire aide à la toilette, à l’habillage, aux déplacement, etc., selon les termes utilisés.
Le dossier administratif rempli pour chaque salarié permet de connaître ses caractéristiques.
Lors du recrutement, chaque salarié, outre le CV qu’il fournit, remplit une fiche précisant son
statut actuel, son parcours professionnel, ses formations, sa situation familiale, ses disponi-
bilités ainsi que les publics avec lesquels il souhaite travailler. Cette procédure a changé au
cours de l’enquête. L’externalisation d’une partie du recrutement vers la maison de l’emploi
locale a contraint l’employeur à objectiver ses critères de sélection des candidats afin de les
transmettre aux agents recruteurs qui reçoivent et filtrent les candidats pour l’association.
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Encadré 1 (Suite)
Afin de comprendre les effets du diplôme sur l’emploi, nous avons collecté, en 2009, sur deux
semaines (d), l’ensemble des emplois du temps des salariés de l’association. Les 112 salariés
travaillant au moins en partie en mode prestataire réalisent 3 213 interventions planifiées sur
deux semaines. En raison du départ d’une des cadres, responsable « qualité et recrutement »,
la collecte des données administratives n’est plus systématique depuis fin 2008 et les salariés
récemment recrutés ne sont donc pas intégrés à cette analyse. Il nous a été possible d’apparier
uniquement 2 496 interventions des emplois du temps des salariés et leurs caractéristiques de
formation.
Notre analyse porte donc sur l’observation de près de 80 % des emplois du temps des salariés en
mode prestataire sur une période de deux semaines. Notre présence pendant dix mois au sein
de l’association nous permet d’établir que cette observation est représentative du fonctionne-
ment général de cette association. Dans la mesure où les conseils généraux sont libres de fixer
les tarifs et l’organisation de la prise en charge financière dans un cadre légal, notre analyse ne
peut être généralisée à la France entière de ce point de vue.
a) Pour le code pénal, il s’agit d’une personne dont la particulière vulnérabilité est due à son
âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de
grossesse.
b) Les salariés recrutés uniquement pour les remplacements saisonniers ne remplissent pas
l’ensemble des dossiers administratifs.
c) Parmi ces salariés, trois hommes travaillaient comme aide à domicile, ce qui explique l’utilisa-
tion du masculin dans ce texte.
d) Certaines interventions ayant lieu le week-end, les salariés interviennent de manière alternée
sur certains créneaux horaires. De ce fait, les emplois du temps sont programmés sur deux
semaines.
(*) : Ces plans d’aide correspondent à ceux pris en charge par l’association, en janvier 2009.
En effet, le secteur de l’aide à domicile souffre d’un très fort turnover (ANACT, 2009)
et de conditions d’emploi parmi les plus mauvaises du point de vue des rémunérations,
de la sécurité de l’emploi, des conditions de travail et de la reconnaissance individuelle
(Angeloff, 2000 ; Devetter et al., 2009 ; Doniol-Shaw et al., 2007). Les salariés formés
au DEAVS restent relativement rares. Entre 2000 et 2009, 49 142 personnes ont été
diplômées, et cela majoritairement par validation des acquis de l’expérience totale,
c’est-à-dire sans aucune formation (Nahon, 2011).
A travers l’analyse d’une structure d’aide à domicile et de ses salariés, cet article vise à
comprendre l’impact de l’introduction du DEAVS sur l’emploi des aides à domicile.4
On reviendra d’abord sur les objectifs et la mise en place de ce diplôme, le cadre, et la
façon dont les acteurs se sont approprié ce diplôme. On étudiera ensuite les caractéris-
4. Cet article est issu d’une recherche qui a bénéficié du programme « Qualité de l’aide au domicile des per-
sonnes fragiles » de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) et d’une
bourse de thèse de la Cnaf (Caisse nationale d’allocations familiales).
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tiques de l’emploi en comparant les conditions d’emploi des différents personnels de
l’association étudiée selon leur niveau de diplôme, avant de conclure sur la persistance
de la norme de flexibilité.
1I DEAVS : diplôme clef de voûte
de la professionnalisation
Cette partie positionne le DEAVS dans son environnement, le métier de l’aide à domi-
cile. Elle présente le diplôme et ses modes d’acquisition, son impact sur le finance-
ment et la hiérarchisation des tâches ; pour conclure, elle explique comment salariés et
employeurs se l’approprient.
1.1 Objectif théorique, contenu et mode d’acquisition du diplôme
La mise en place du DEAVS a permis une plus grande visibilité, et donc une plus
grande attractivité des emplois d’auxiliaire de vie, en même temps que la construction
d’un métier, défini par des frontières pas toujours nettes.
Pour reprendre les propos de Sylvie Moreau, le groupe de travail chargé de la réno-
vation du certificat d’aptitude aux fonctions d’aide à domicile (CAFAD) et donc de
l’aboutissement au DEAVS, a retenu : « L’élargissement et la simplification de l’entrée
en formation » (Moreau, 2003, p. 154), les « allègements et dispenses d’épreuves [qui]
renforcent l’attractivité du diplôme et son adaptation aux cursus individuels antérieurs
et [qui] permettent d’en diminuer les durées de formation et donc les coûts de manière
importante ». De plus « la procédure de VAE (valorisation des acquis de l’expérience) qui
vise à concilier simplicité, fiabilité et lisibilité pour le candidat », le dispense de certains
modules de formation.
En effet, il existe deux formes principales d’obtention du DEAVS : d’une part, la
formation continue ou initiale ; d’autre part, la Validation des Acquis de l’Expérience
(VAE). « La part des diplômes obtenus par validation des acquis de l’expérience (VAE) […]
dépasse 55 % chez les AVS [auxiliaires de vie sociale] pour lesquels la VAE a été accessible
dès 2002. En 2009, 4 039 diplômes d’auxiliaire de vie sociale ont été délivrés par VAE
(3 799 DEAVS par voie de VAE totale et 240 après une formation complémentaire, c’est-
à-dire par parcours mixte) » (Nahon, 2011).
Quelles que soient les modalités de certification du DEAVS, elles accordent une place
très importante aux employeurs. Que ce soit par le biais des stages ou dans le cadre de
l’activité professionnelle, support de la VAE, le rôle de l’employeur est essentiel. Ainsi,
les employeurs participent directement ou indirectement à la formalisation du contenu
des formations (Hatano-Chalvidan, 2012). Alors que la formation visait la construc-
tion d’un groupe homogène de professionnels, elle a largement tendance aujourd’hui à
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s’adapter à l’individu, à ses acquis et son expérience (ibid.). Cette nouvelle organisation
« permet la construction de parcours individualisés de formation conduisant à une validation
ou à une certification » (Bodin-Hullin, Noël, 2006).
Cette individualisation des parcours et la VAE permettent en outre de réduire l’enjeu
économique lié à la formation. En effet, la VAE permet de réduire les temps d’absence
des salariés de leurs postes de travail. Le corollaire de cette réduction des absences est la
réduction des temps de formation à proprement parler. Dans le cadre du DEAVS, cette
baisse des temps de formation rend presque impossible la construction d’un espace col-
lectif (Ibid). En effet, dans près de 50 % des cas, ce diplôme est validé uniquement en
VAE, c’est-à-dire sans temps de formation et donc sans espace collectif d’apprentissage.
Pour les salariés déjà en emploi et justifiant d’une expérience dans le secteur de l’aide à
domicile, l’accès au diplôme est facilité, puisque le DEAVS est majoritairement obtenu
par la VAE (Marquier, 2008). Pour Sylvain Ville et Sabrina Nouiri-Mangold (2014),
le DEAVS est l’occasion, pour ces candidates, « d’officialiser des savoirs qu’elles ont le
sentiment de maîtriser par l’expérience ». Ils notent que l’oral de l’examen est l’occasion
d’« évaluer la professionnalisation d’un candidat en lui demandant d’expliquer une pra-
tique qu’il a intériorisée ». Le DEAVS viendrait donc valider des pratiques standards
ou conventionnelles, même si ces dernières ne correspondent pas à la réalité du travail
qui déborde très largement le périmètre légal de l’activité (Bonnet, 2006), trop limité
pour garantir la continuité du soin. En effet, si certains actes relèvent du soin et sont
donc sanctuarisés pour les professions médicales, nombreux sont les exemples d’aides
à domicile clampant des perfusions, refaisant les pansements, coupant les ongles alors
que ces tâches leur sont officiellement interdites. L’examen valide ce que « devrait être »
l’aide à domicile, c’est-à-dire un accompagnement et non une prise en charge qui sou-
vent leur impose des dépassements de compétences. « Les épreuves du DEAVS en VAE ne
sont pas un simple passage d’examen. Comme l’affirment les candidates : “On change (…)
on est plus la même”, “c’est pas la manière de faire qui change, c’est la façon d’être”» (Ibid.).
La formation initiale, quant à elle, repose sur une ambition de connaissance très
limitée qui aboutit à des formations empruntant aux compétences dites « féminines »
et essayant de les dénaturaliser. Cette dénaturalisation passe par la technicisation d’ac-
tivités du quotidien, réalisées le plus souvent par des femmes, comme la réalisation
des tâches domestiques. La faible institutionnalisation des formations, soulignée par
Emilien Julliard et Aude Leroy, (2014), est caractérisée par leur importante variabilité :
selon les parcours des formateurs et aussi selon les possibilités de valorisation scolaire.
Dans le processus de formation décrit par les auteurs, on retrouve la mise en place
d’un modèle industriel de formation par la décomposition systématique de l’activité.
Ils présentent le processus de formation, bien plus comme un outil de sélection du
public que comme une réelle plus-value à acquérir. Les auteurs montrent la distance
entre un enseignement ultra-théorisé et la réalité de l’activité bien loin des standards
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de formation. La formation devient alors une opportunité de socialisation secondaire
pour l’entrée sur le marché du travail (Julliard, Leroy, 2014).
Toutefois, le diplôme et la formation qui y est associée ne sont pas intrinsèquement
responsables de la hiérarchisation des tâches qui, nous le verrons, affecte la qualité de
l’emploi des aides à domicile. En effet, le phénomène est amplifié par les modalités de
financement des aides propres à l’APA.
1.2 Biais du financement par l’APA, hiérarchisation des tâches
Le conseil général du département étudié finance plus de 55 % de l’activité de l’association
et sa grille tarifaire révèle la hiérarchisation des tâches. En 2009, dans le cadre de l’APA, les
tarifs horaires appliqués variaient de 20,9 € pour des « aides à la personne » à 19,6 € pour
le « ménage ». Cette différenciation n’est pas nationale, en dehors d’un tarif minimum
légal, les conseils généraux fixent librement leurs tarifs et peuvent ou non les différencier.
Indépendamment de la différence de financement, ces activités, classées en deux groupes,
placent tantôt l’auxiliaire de vie sociale en position d’expert travaillant sur le corps, tantôt
en position de salarié subalterne réalisant « des ménages ». La valorisation apportée par
le diplôme influence ici la posture du salarié. Se positionnant dans la hiérarchie du soin,
l’auxiliaire de vie sociale se valorise et utilise son diplôme pour se différencier des autres
aides à domicile non ou moins diplômés, auxquels il laisse donc les activités subalternes,
comme le ménage, le linge, l’entretien du cadre de vie.
Notre observation rejoint les travaux d’Anne-Marie Arborio, avec « l’hypothèse sous-jacente
à ce raisonnement qui est qu’il existe une hiérarchie des tâches selon leur degré de prestige,
de celles qu’on est fier d’exécuter jusqu’aux “corvées” » (Arborio, 1995, p. 108). Ici encore,
« passer du travail matériel au travail sur matériau humain constitue donc une promotion »
(Ibid., p. 103), matérialisée par un diplôme.
Quels que soient les débats sur le contenu du DEAVS, ce diplôme a eu pour effet de
scinder la population des aides à domicile entre ceux qui ont le DEAVS et ceux qui ne
l’ont pas. Lors des entretiens avec des salariés diplômés, il ressort à plusieurs reprises que
ceux qui ne possèdent pas « le » diplôme ne devraient pas réaliser de soins du corps. Plus
tard, lors des discussions avec les gestionnaires de planning, celles-ci précisent que cer-
taines « des filles », une fois le DEAVS en poche, refusent de réaliser des interventions de
« ménage ». Bien que la hiérarchisation des tâches ne soit pas explicite dans le discours
des salariés, on note une différenciation entre les salariés formés et les autres, comme
l’illustrent les propos d’une auxiliaire de vie évoquant son activité au domicile des per-
sonnes âgées : « Bon moi, c’est surtout des toilettes hein, mais la fille qui fait le ménage, parce
qu’on est en binôme… » (Femme, 53 ans, mariée, 4 enfants, formée en formation continue
au Cafad, avant le recrutement). En effet, plusieurs salariés peuvent intervenir pour diffé-
rentes tâches au sein d’un même domicile. La différenciation entre les activités est impor-
tante aux yeux des salariés formés, comme nous le précise cette autre auxiliaire de vie
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