Éducation relative à l’environnement
Regards – Recherches – Réflexions
Volume 7 | 2008
La dimension critique de l’éducation relative à
l’environnement
À l’école de la République française : regard
critique sur une institution
Thierry Pardo
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/ere/3281
DOI : 10.4000/ere.3281
ISSN : 2561-2271
Éditeur
Centr’ERE
Référence électronique
Thierry Pardo, « À l’école de la République française : regard critique sur une institution », Éducation
relative à l’environnement [En ligne], Volume 7 | 2008, mis en ligne le 20 septembre 2008, consulté le 21
février 2020. URL : http://journals.openedition.org/ere/3281 ; DOI : 10.4000/ere.3281
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À l’école de la République française : regard critique sur une institution
1
À l’école de la République française :
regard critique sur une institution
Thierry Pardo
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L’éducation relative à l’environnement est-elle compatible avec les valeurs issues des
fondements historiques de l’Éducation nationale en France ? La formation des
enseignants ne souffre-t-elle pas d’une volonté d’uniformisation peu favorable à la
diversité des situations offertes par l’éducation relative à l’environnement ?
2 Tout au long de cet article, j’essaierai de faire ressortir l’étroite conception de
l’éducation, limitée à l’horizon des murs de la classe, que porte l’institution scolaire. Je
mettrai de l’avant une vision de l’environnement bio-régionaliste, proche de ses racines
locales, également négligée tant dans le quotidien des élèves que dans la formation des
enseignants. Ces deux points sont les fondements du regard critique que je porte sur
l’institution éducative et qui à mon avis devraient davantage interpeller ses acteurs.
Les portes d’une école « hors sol » ?
3
J’avais douze ans. La ville de Marseille venait d’être bloquée par une tempête de neige
pour la première fois depuis vingt ans. Les trente centimètres avaient suffi à paralyser
la ville et le premier chasse-neige se trouvait dans les Alpes. Rien à faire. Il fallait
attendre que ça fonde. Les transports en commun étaient bloqués, mais heureusement
mon école n’était qu’à trente minutes de marche. Il y avait donc pas mal d’élèves
absents ce jour-là. Tous ceux qui ne pouvaient pas se rendre à l’école à pied étaient
restés chez eux. À neuf heures, nous avons traversé la cour pour nous rendre au
laboratoire de « sciences naturelles ». Nous nous poussions dans la neige pour nous
faire tomber. Certains faisaient des boules pour les jeter sur les autres.
4 Débarrassés de nos manteaux, nous nous installâmes dans l’excitation générale, mais
nous n’avions d’yeux que pour ce blanc matelas de neige qui nous invitait à toucher,
rouler, explorer. Dans ma classe, certains élèves arrivaient directement d’Algérie ou de
Tunisie. Pour la majorité, ces familles immigrées n’avaient sans doute pas les moyens
de partir découvrir les sports d’hiver. Malgré un équipement largement inadapté, ces
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condisciples des pays chauds semblaient être les plus friands de cette nouvelle occasion
de jeu et de découverte. La classe commença. Dans la suite logique du programme
entamé la semaine d’avant, l’enseignante nous fit un brillant exposé sur le calcaire et la
géologie en général.
5
En repensant à cette expérience, il me semble que c’était là une occasion ratée
d’éducation relative à l’environnement. Encore avions-nous eu la chance d’avoir
traversé la cour pour nous rendre au laboratoire ! D’autres avaient suivi les couloirs
pour se retrouver en salle d’étude. Là, ils avaient dû patienter une heure à cause de
l’absence d’un professeur.
6 Mais au-delà de l’anecdote, je m’interroge sur les causes de cette expérience. Est-il
possible que le système scolaire en France (comme ailleurs ?) évolue dans une sorte de
logique « hors sol » ? L’environnement naturel, urbain et social a-t-il une influence sur
les programmes et le contenu des cours ? Ce genre d’expérience de mon enfance au
lendemain d’une tempête de neige n’est-il pas dû à une formation inadéquate des
enseignants, déconnectée de son environnement ? Si l’on s’intéresse d’un peu plus près
à cette question de la formation des enseignants, sans a priori et sans tenter de
débusquer le diable dans les détails, on peut être légitimement surpris. À la question :
« Est-il normal que l’on puisse être un professeur d’anglais diplômé, titulaire et
permanent, sans jamais avoir voyagé dans un pays anglophone ? », le système français
répond « oui ». Chacun appréciera. Or, comment une formation « hors sol » pourrait-
elle générer un enseignement soucieux et imprégné de son environnement ? Si un
professeur d’anglais n’a jamais été en contact direct avec un milieu anglophone, que
peut-il transmettre de cette mosaïque de cultures ? Et qu’en est-il pour les autres
professeurs ?
7
En outre, existe-t-il une culture d’éducation relative à l’environnement suffisamment
établie pour que les différentes pratiques puissent être repérées comme telles par les
enseignants ? Le ministère de l’Éducation nationale possède-t-il une connaissance assez
profonde au sujet de l’éducation relative à l’environnement pour pouvoir la
reconnaître dans les projets existants et en favoriser le développement ?
Les formateurs dans ce système sont également spécialisés, parfois si spécialisés
qu’ils ne disposent d’aucune culture générale, encore moins d’une culture locale
endogène considérée comme 0070erturbatrice de l’idéologie pédagogique
réductrice dans laquelle ils ont été formés, coupant l’école de la vie. (Wicht et
Mondjanagni, 2004)
8 Autant de questions qui prennent tout leur sens en cette période, puisque « l’éducation
à l’environnement pour un développement durable » est entrée récemment dans les
cursus des écoles, collèges et lycées français (Ministère de l’Éducation nationale, de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2004).
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La question se pose avec plus d’acuité encore si l’on considère que l’école se doit de
favoriser la rencontre entre un élève et un enseignant, entre deux existences, avec tout
ce que cela implique de différences culturelles, de différences de centres d’intérêts, de
préoccupations, de rythmes d’apprentissages ou de projets de vie, en somme de deux
êtres imprégnés de leur rapport au monde qui, le temps d’une année, se rencontrent
pour s’enrichir mutuellement. Cette rencontre pose la question de la légitimité
d’enseigner.
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La légitimité d’enseigner
10 La question de la légitimité d’une personne autorisée à transmettre le savoir se pose
depuis longtemps. Dans toutes les sociétés vernaculaires (comme les nomme Majid
Rahnema, 2004 – mais on pourrait préférer le terme d’« écosystème culturel » comme le
mentionne le Rapport de la Commission mondiale de la culture et du développement,
Notre diversité créatrice, Pérez de Cuéllar et coll., 1996), l’autorité des « anciens » pour
transmettre un savoir maîtrisé s’appuie sur leurs expériences et leurs réflexions. Cette
autorité est souvent reconnue de la plupart parce que ces « anciens » partagent
quotidiennement la vie du village. Ainsi, ils ont l’occasion de démontrer sagesse et
maîtrise plusieurs fois par jour, ce qui leur confère une légitimité pour transmettre ces
qualités reconnues par tous comme utiles. Quand un enfant désire apprendre à faire un
panier, ses parents peuvent lui conseiller d’aller voir tel ou tel artisan reconnu pour
son art et, pourquoi pas, son habileté pédagogique. De plus, l’utilité d’un panier dans la
vie quotidienne ne fait aucun doute.
11 Dans notre Éducation nationale, les choses sont différentes. L’enfant ne choisit pas le
fait d’aller à l’école puisque l’État a rendu la scolarité quasi universelle. Il ne choisit pas
non plus les adultes chargés de l’enseignement, pas plus que les sujets d’étude, au
moins dans les premiers temps de sa vie d’écolier. Le contexte pédagogique scolaire
sélectionne de fait les sujets et les pédagogies qui les portent.
Devant le spectacle affligeant, devant le désarroi du monde, beaucoup d’esprits
mûrs se demandent si nous n’avons pas fait fausse route en condamnant le cerveau
de nos enfants et de nos jeunes à un régime exclusif de papier noirci […]. (Marie-
Victorin, 1935, p. 11)
12 Ainsi, un scénario catastrophe autorise à penser qu’un enfant n’aimant pas être assis en
classe puisse étudier un sujet dont il ne sent pas l’utilité avec un professeur qu’il
n’apprécie pas. « J’ai toujours pensé que l’école, c’était d’abord les professeurs. Qui
donc m’a sauvé de l’école, sinon trois ou quatre professeurs ? » (Pennac, 2007, p. 57).
13 La légitimité de l’enseignant ne doit des comptes qu’à l’institution ou au ministère. Seul
le diplôme suffit pour être titularisé tout au long de son parcours professionnel. Que
penser alors de l’autodidaxie, des parcours de vie, des aventures ou expériences, des
talents individuels et de la place qui leur est dévolue dans l’Éducation nationale ? On
leur préférera sans doute le parcours des personnes qui ont suivi le cursus à la lettre
sans plus d’égarements. Cela ne veut pas dire qu’il faille condamner les professeurs qui
ont suivi ce genre de parcours, mais l’on pourrait légitimement s’interroger sur l’esprit
d’ouverture extra-scolaire qui en résulte et sur l’intérêt qu’un professeur porte à son
environnement. Dès le départ, le système montre qu’il est inutile pour un individu de
faire preuve de connaissances à propos des différentes dimensions de la vie. L’aspect
technique de la connaissance suffit à vous asseoir dans un fauteuil d’enseignant.
L’éducation se résume alors à un transfert de connaissances isolées bien loin des
préoccupations interdisciplinaires et multidimensionnelles de l’éducation relative à
l’environnement.
14 Dans ces conditions, l’élève ne pourra faire valoir ses choix qu’à l’intérieur des aspects
techniques de la connaissance. Quand un élève rencontre un conseiller d’orientation
(diplômé comme il se doit de l’Éducation nationale), quelles sont les perspectives qui lui
sont offertes ? Le travail dans la solidarité internationale, l’éducation relative à
l’environnement, l’agriculture biologique, le grand reportage, la presse indépendante,
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les carrières artistiques, le métier d’ingénieur du son, le spectacle de rue, etc. ? Non,
tous ces sujets existant en dehors des cursus scolaires habituels sont souvent peu
connus et peu valorisés. A-t-on seulement pensé combien nos vies seraient ternes sans
les artistes, musiciens, photographes du bout du monde, marginaux, voyageurs,
sportifs, aventuriers de tous poils ? Pourtant quand un jeune entame une démarche qui
le conduira vers les choix fondamentaux de sa vie, on lui parlera plus volontiers de
baccalauréat, de BTS (brevet de technicien supérieur), de CAP (certificat d’aptitude
professionnelle) ou d’université et on l’encouragera surtout à renoncer à la moindre
prise de risque de nature à ralentir sa trajectoire « normale » de réussite scolaire. Pour
prendre le seul
sujet de l’éducation relative à l’environnement, la France
(contrairement à beaucoup de pays comme le Québec, les États-Unis, la Bolivie, le
Brésil, Israël, etc.) n’en offre qu’une présence marginale dans les programmes
universitaires. Il est donc très difficile d’établir une équivalence formelle avec les
diplômes étrangers. Le métier d’« éducateur à l’environnement » ne figure pas sur la
liste des métiers possibles à l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE). Les conseillers en
orientation sont-ils capables de parler de ce genre de professions ? Vont-ils orienter les
élèves vers des universités étrangères ou une organisation non gouvernementale ?
15 Comment s’étonner alors de la place qu’occupent les préoccupations
environnementales dans notre pays ?
Visite à l’Institut universitaire de formation des
maîtres (IUFM) de Rodez
16 Pour vérifier le caractère que je supposais « hors sol » de la formation des enseignants,
je décidai d’aller rencontrer professeurs et étudiants de l’Institut universitaire de
formation des maîtres (IUFM) de Rodez (Aveyron). Bien sûr, cette visite n’a pas la
légitimité d’une enquête approfondie, il s’agit d’une démarche de recherche
exploratoire. Mais les résultats obtenus laissent entrevoir que l’hypothèse de départ
pourrait être confirmée par une étude plus poussée.
17 Cette investigation m’a permis de rencontrer en entrevues individuelles trente-huit
personnes appartenant à trois groupes différents : dix-huit élèves, futurs professeurs
des écoles ; dix-huit enseignants déjà en exercice depuis plusieurs années effectuant un
stage dans le cadre de la formation continue et enfin, deux formateurs de l’IUFM. Voici
les quatre questions qui leur ont été posées :
• Y a-t-il une partie de votre formation consacrée à la connaissance de l’environnement
régional de l’IUFM ?
• Pensez-vous que si votre IUFM était dans un autre environnement naturel ou urbain,
l’enseignement y serait différent ?
• Pour vous, qu’est-ce que l’éducation à l’environnement ?
• Pouvez-vous me citer un(e) chercheur(e), pédagogue ou auteur(e) contemporain(e) qui ait
parlé d’éducation à l’environnement ?
18 Les réponses à mes questions ont été très différentes suivant le groupe.
19 À la première question, les formateurs eurent une réponse enthousiaste : La formation
est largement consacrée à la connaissance de l’environnement de l’IUFM puisque dès le
premier jour un rallye découverte est organisé dans la ville de Rodez. Plusieurs
partenaires, tels les archives départementales, la société des lettres, les compagnons
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tailleurs de pierre qui restaurent la cathédrale […] interviennent dans ce rallye. Puis, au
cours de la formation, des projets individuels en relation avec l’environnement et le
patrimoine sont demandés […].
20 Bien sûr, la deuxième question s’inscrivait dans cette même logique et j’étais assuré que
la charte du patrimoine et les différents intervenants, mentionnés par l’un des
répondants, garantissaient l’ancrage environnemental de l’IUFM. Un formateur avait
même coordonné l’année précédente un ouvrage, L’Aveyron une histoire, pour
permettre aux élèves-maîtres d’avoir des références locales dans leur rôle d’enseignant.
Une formatrice souligna le fait que les problèmes sociaux de certains IUFM se situant
dans les environnements urbains « difficiles » ou dans les campagnes françaises en voie
de désertification forcent les portes des écoles et qu’il était impossible de ne pas en
tenir compte dans le cadre de la formation.
21 La troisième réponse de ces formateurs s’avéra encore la plus précise et la plus
décidée : Éduquer à l’environnement, c’est appréhender le contexte dans lequel évolue
l’humain pour y vivre en harmonie. Pour avoir rencontré ces personnes, je pense qu’on
peut lire dans cette réponse l’attachement de ces formateurs au territoire aveyronnais
et à ses dimensions culturelles ou revendicatives telle la défense de l’occitan dans une
conception bio-régionaliste.
22 La quatrième question posa un problème à tous les groupes interrogés. Mais là encore
la réponse la plus fournie émergea des formateurs : Albert Jacquard, Claude Allègre,
ancien ministre de l’Éducation nationale […].
23 Le deuxième groupe de personnes interrogées, les professeurs diplômés en formation
continue, ne semblait pas attendre grand-chose tant de la formation initiale que de leur
stage actuel et somme toute, de la formation en général. Ils me répétèrent plusieurs fois
que l’enseignant était très largement livré à lui-même et que la formation n’apportait
qu’une part insignifiante dans l’expérience des enseignants. Le fait que la formation
laisse une large part à la démarche individuelle de ses étudiants pourrait être une
bonne nouvelle. Cela favoriserait les initiatives et les projets personnels. Mais
n’imposant aucune obligation reliée à l’inventivité pédagogique, il semble que le
système laisse trop souvent place à l’absence d’initiative.
24 La première question (« Y a-t-il une partie de votre formation consacrée à la
connaissance de l’environnement de l’IUFM ? ») fit l’objet d’une majorité écrasante de
non représentant 90 %. Le rallye découverte ne semblait pas avoir marqué les esprits.
Une enseignante se souvint d’une course d’orientation durant sa formation.
25 La deuxième question reçut, elle aussi, une quasi-totalité de non allant dans la logique
de la première réponse. En revanche, ces enseignants pratiquants semblaient être plus
à l’aise pour donner une définition de l’éducation à l’environnement. Ils s’appuyaient
sur des exemples d’initiatives mises en place dans les classes : activités physiques de
pleine nature, observation, citoyenneté, respect et protection de la nature,
sensibilisation, recyclage des déchets […]. Ces réponses ne paraissent pas s’appuyer sur
une connaissance consciente et théorisée donnant accès à une vision globale. Elles
relèvent plus spontanément d’une expérience de terrain.
26 Enfin, la quatrième question reçut elle aussi une immense majorité de non. Seuls
Hubert Reeves et Nicolas Vanier vinrent à l’esprit de nos enseignants.
27 Les élèves futurs professeurs arrivent quant à eux, en queue des réponses. Ils
donnèrent de façon quasi unanime une réponse négative à toutes les questions. Là, le
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rallye de la première journée fut évoqué. Mais il était facultatif et surtout réservé aux
élèves arrivant d’autres régions. Ainsi la plupart n’y avaient pas participé. Pour la
définition de l’éducation à l’environnement, les mêmes mots clés, intuitivement
retrouvés apparurent : protection, respect, sensibilisation, les gestes quotidiens […]. Je
n’ai eu aucune réponse à la question des pédagogues connus.
28 Ainsi, sur trente-huit personnes, seuls deux formateurs font explicitement référence à
l’influence de l’environnement sur la formation. Malheureusement, cette vision ne
semble pas être partagée par l’ensemble des élèves et stagiaires interrogés. Pour le
moins, on peut penser que même si une dimension environnementale existe au sein de
l’IUFM de Rodez, la grande majorité des apprenants n’en est pas consciente. Les
réponses à la question relative aux auteurs et pédagogues montrent que les pratiques
se mettent en place essentiellement de façon intuitive. Bien sûr, dans ce genre
d’institut on peut légitimement s’attendre à ce que tout le monde ait une vision de
l’éducation et une conception, aussi floue soit-elle, de l’environnement. Mais nous
sommes sans doute loin d’une culture partagée de l’éducation relative à
l’environnement qui soit significative.
Unité et uniformité
29 La construction de la France s’est réalisée dans la douleur historique. Il suffit pour cela
de rappeler que les frontières actuelles ne datent que de 1945. Les revendications
régionales corses, occitanes, basques, bretonnes, alsaciennes, mais encore bien plus
mahoraises, kanaks ou guyanaises ont poussé les « pères de la République » à donner
une culture commune à tous les Français.
Le royaume de France (regnum Francae) n’existe dans les textes qu’à partir du
XIIIème siècle, mais le déroulement finaliste de l’histoire d’une France toujours déjà
là, occulte les identités historiques hétérogènes des États antérieurement à leurs
annexions, et donc le caractère multiculturel et multilingue du royaume. (Citron,
2004, non paginé)
30 C’est dans cette logique que les langues régionales ont été prohibées durant plusieurs
années dans les établissements scolaires, mais aussi que l’affectation des professeurs
des collèges et lycées est nationale, ne tenant pas compte de la région de provenance de
ces derniers. Les enseignants du premier degré en revanche profitent d’une affectation
régionale, ce qui favorise sans doute les approches de terrain et les expériences
concrètes que le sondage à l’IUFM met en lumière. Mais cette volonté d’uniformisation
a tout de même fortement imprégné les programmes d’histoire. Ainsi, un élève de
Marseille reçoit la même histoire de France qu’un élève de Lille. Seule l’idéologie peut
réussir ce genre de contorsions improbables. La cité phocéenne, province de Rome et
son port ouvert sur la Méditerranée serait sans doute plus proche de l’histoire de Gênes
que de celle des Flandres, de leurs tapisseries et de leurs bassins industriels et miniers.
Les historiens républicains, qui voyaient la France comme la lumière du monde,
comme une patrie-Messie ont élaboré un schéma du passé destiné à nationaliser les
Français et à forger leur patriotisme. Le récit historique installait l’imaginaire d’une
France homogène, une, indivisible, essence métahistorique mystérieusement
présente dans une Gaule mythique originelle. (Citron, 2004, non paginé)
31 Pour asseoir donc les fondements de l’État, il fallait donner par l’éducation un
sentiment national infaillible qui devait convaincre tout le monde, y compris les
habitants des régions colonisées. L’histoire de l’enseignement dans l’Afrique
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francophone offre un bel exemple de cette volonté homogénéisatrice. L’éducation
devait se décontextualiser de son enracinement local, linguistique, historique, naturel.
En somme l’éducation devait, et nous en voyons encore les traces aujourd’hui, se
dérouler de façon invariable et donc se détacher de son environnement immédiat. On
pourrait constater à cet effet que cela correspond au processus classique de
construction d’une nation.
[…] la nation est une construction du haut vers le bas, une construction qui part des
élites de l’État pour s’appliquer aux populations d’un territoire clairement délimité,
celui de l’État-nation. À cet égard, le projet moderne envisage la nation notamment
comme un effort constant pour s’arracher aux rites obscurs, aux croyances
ancestrales, ainsi qu’aux hiérarchies locales et arbitraires, et maintenir un idéal de
progrès. (Wicht et Mondjanagni, 2004)
32 Mais même dans ce contexte général, la France fait figure d’exception en Europe. Sur le
seul plan de l’officialisation des langues locales, on pourrait rappeler ici que la Norvège,
l’Irlande, la Belgique, l’Espagne, la Suisse, par exemple, possèdent toutes plusieurs
langues officielles bien que la population de ces pays y soit moins nombreuse qu’en
France. L’Éducation nationale ne semble donc pas trouver son origine et sa légitimité
dans un effet de zoom vers les connaissances locales, mais plus dans le grand-angle de
l’unité nationale.
33 Cela ne devrait sans doute pas empêcher les enseignants d’aborder les macro-
problèmes environnementaux comme les changements climatiques ou la destruction de
la couche d’ozone. En effet, selon les témoignages recueillis à l’IUFM, cette dimension
semble être la plus compatible avec les volontés ministérielles, car le plus souvent,
proche des consciences citoyennes et des petits gestes qui y sont associés. L’éducation
relative à l’environnement dans sa version locale, bio-régionaliste, se présente encore
trop souvent comme une entrave au sentiment national. Le pas de « citoyen français » à
« citoyen du monde » paraît s’accorder avec beaucoup plus de facilité à la culture
étatique de « l’école de la République ». La visite à l’IUFM a confirmé que le diplôme
d’enseignant, étendard de l’unité républicaine ne pouvait tenir compte du milieu local
puisqu’il est supposé être valable partout en France, outre-mer compris. Les
institutions éducatives semblent être plus enclines à se laisser émouvoir par les macro-
problèmes qui ramènent à une conscience et à une responsabilité globales du citoyen,
pas très éloignées du sentiment civique cher à la République. Ce qui n’empêche pas
certains professeurs de revendiquer des appartenances locales et d’orienter leurs cours
dans ce sens. Cela se voit notamment chez les enseignants du primaire qui ont la
possibilité d’exercer dès le départ dans leur région de résidence. Mais il n’en reste pas
moins vrai que l’épouvantail du communautarisme est certainement celui qui est le
plus souvent brandi par les représentants des institutions pour légitimer un cursus
national décontextualisé.
En tant que cadre politique, social et culturel unitaire et homogène se construisant
du haut vers le bas et en coïncidence parfaite avec l’État, il est clair que la nation est
un modèle peu adapté à l’idée de diversité culturelle (qui est ainsi plutôt ressentie
en tant que retour en arrière à une situation prémoderne). (Wicht et Mondjanagni,
2004)
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