L’évaluation du rendement de la formation :
État des lieux
Daniel Beaupré
Université du Québec à Montréal
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Montréal (QUÉBEC)
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(514) 987-0407 (fax)
Julie Cloutier
Université du Québec à Montréal
Déborah d’Hostingue
Université du Québec à Montréal
Au même titre que les autres types d’investissement, la décision d’investir dans la formation
repose largement sur sa rentabilité pour les organisations. Par conséquent, la question du
rendement de la formation et de sa mesure prend une importance grandissante. À partir d’une
recension des écrits scientifiques, cette étude vise à faire l’état des lieux au sujet des mesures
de rendement de la formation. On entend par rendement de la formation, le rapport entre les
coûts de la formation et ses bénéfices obtenus au niveau organisationnel. Les résultats font
ressortir l’absence de contribution significative depuis les travaux de Philips (1996) portant
sur le retour sur l’investissement (ROI) en matière de formation. Pour contourner les limites
et contraintes que pose la mesure du rendement de la formation (ex. : isoler les effets de la
formation, leur attribuer une valeur monétaire), des chercheurs ont proposé des méthodes
qualitatives centrées sur les bénéfices que rapporte la formation. Les résultats révèlent
également l’absence de travaux analytiques au sujet du concept et de la mesure des bénéfices
organisationnels résultant de la formation, question indissociable du rendement de la
formation. En revanche, les écrits prescriptifs concernant la démarche d’évaluation du
rendement de la formation s’avèrent abondants et représentent une contribution non
négligeable sur le plan pratique.
MOTS CLÉS : FORMATION; RENDEMENT; RENTABILITÉ; MESURE; RECENSION
L’ÉVALUATION DU RENDEMENT DE LA FORMATION : ÉTAT DES LIEUX1
RÉSUMÉ
Au même titre que les autres types d’investissement, la décision d’investir dans la formation
repose largement sur sa rentabilité pour les organisations. Par conséquent, la question du
rendement de la formation et de sa mesure prend une importance grandissante. À partir d’une
recension des écrits scientifiques, cette étude vise à faire l’état des lieux au sujet des mesures
de rendement de la formation. On entend par rendement de la formation, le rapport entre les
coûts de la formation et ses bénéfices obtenus au niveau organisationnel. Les résultats font
ressortir l’absence de contribution significative depuis les travaux de Philips (1996) portant
sur le retour sur l’investissement (ROI) en matière de formation. Pour contourner les limites
et contraintes que pose la mesure du rendement de la formation (ex. : isoler les effets de la
formation, leur attribuer une valeur monétaire), des chercheurs ont proposé des méthodes
qualitatives centrées sur les bénéfices que rapporte la formation. Les résultats révèlent
également l’absence de travaux analytiques au sujet du concept et de la mesure des bénéfices
organisationnels résultant de la formation, question indissociable du rendement de la
formation. En revanche, les écrits prescriptifs concernant la démarche d’évaluation du
rendement de la formation s’avèrent abondants et représentent une contribution non
négligeable sur le plan pratique.
À l’heure de la mondialisation des économies et des sociétés, des changements
démographiques, de
l’adaptabilité et de
la flexibilité aux nouvelles
technologies,
l’investissement dans le savoir est essentiel pour le développement économique des pays. La
formation est reconnue comme une stratégie efficace pour accroître la productivité des
organisations (Wexley et Latham, 2002). De plus, Tharenou et al. (2007) démontre que le
développement des compétences devient un avantage compétitif lorsque ces compétences
représentent une valeur ajoutée dans la réalisation de la stratégie de l’entreprise. Cet avantage
compétitif devient probant surtout, lorsque ces compétences sont difficilement reproductibles
et inimitables par les entreprises concurrentes. Ces auteurs soulignent, également, que le
modèle théorique reposant sur les perspectives comportementales agit comme un catalyseur
entre la stratégie et la performance de l’entreprise. Les pratiques de formation assujetties au
modèle renforcent les comportements désirés chez les employés dans la réalisation des
objectifs organisationnels.
1 Nous tenons à remercier le Fonds National de Formation de la Main-d’œuvre (FNFMO) qui a financé l’étude
de laquelle cette communication est tirée.
2
Or, la décision des organisations d’investir dans la formation et le niveau de leurs
investissements dépendent largement de leur capacité à estimer le rendement qu’elles en
retireront (Brandsma, 1998; Eliasson, 1998). En effet, les organisations se montrent peu
disposées à investir dans la formation lorsqu’elles ne sont pas en mesure d’estimer son niveau
de rentabilité, notamment en raison du contexte économique hautement concurrentiel actuel.
Bref, comme pour les autres types d’investissements (ex. : machinerie, équipement), les
gestionnaires doivent être en mesure de justifier les investissements en matière de formation
en montrant leurs contributions aux résultats organisationnels et cela, sous peine de se voir
refuser les budgets nécessaires (Miller et Mattick, 2006; Vu, 2004). L’évaluation du
rendement de la formation devient alors une démarche incontournable. Elle est d’ailleurs
décrite comme un processus visant à permettre aux organisations de prendre de meilleures
décisions quant aux dépenses de formation en montrant son impact sur la productivité et la
rentabilité des organisations (Phillips, 1996). L’objectif consiste ainsi à mesurer avec le plus
de précision possible le rendement de la formation. Il s’avère donc important de se pencher
sur la question de la mesure du rendement de la formation. À cet égard, les chiffres en termes
d’investissement deviennent éloquents dans la démonstration de l’importance de cette
question. Les entreprises québécoises ont investi un milliard de dollars (dollar canadien,
Ministère Emploi-Solidarité 2005) en formation continue en 2004. À titre comparatif
soulignons que les entreprises américaines, pour leur part, ont investi plus de 58 milliards de
dollars (dollar américain, Industry report, 2006) en 2005 et que pour les entreprises françaises
les investissements se chiffrent à plus de 2,4 milliards d’euros pour 2002 (Éducation et
formations, 2003).
L’objectif de notre étude consiste à faire l’état des lieux au sujet des mesures de rendement de
la formation. À partir d’une recension des écrits sur le sujet, nous dégagerons les progrès
réalisés dans le domaine depuis les 10 dernières années et feront ressortir les avantages et les
limites des mesures de rendement répertoriées. Notre étude contribue doublement à la
progression des connaissances. Sur le plan théorique, elle permet de faire le point sur les
connaissances acquises jusqu’à présent en vue de dégager de nouvelles pistes de recherche.
Du point de vue pratique, notre étude permet d’identifier les lacunes des mesures de
rendement répertoriées, lesquelles lacunes menacent l’exactitude des estimations. Nos
résultats permettront donc aux gestionnaires de choisir de façon plus judicieuse leur mesure
de rendement de la formation et ce faisant, de prendre de meilleures décisions
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d’investissements en matière de formation. Notre étude contribue ainsi à l’amélioration du
processus d’évaluation du rendement de la formation.
Dans un premier temps, nous présenterons les fondements théoriques qui soutiennent
l’évaluation de la formation et de son rendement, pour ensuite définir le concept de
rendement de la formation et voir comment les représentations en la matière orientent le
choix de sa mesure. Deuxièmement, nous décrirons brièvement des démarches d’évaluation
de la formation dans lesquelles s’inscrit l’évaluation du rendement de la formation.
Troisièmement, nous présenterons les aspects méthodologiques qui ont encadré la recension
des écrits concernant les mesures du rendement de la formation. Cela nous conduira à faire
ressortir les avancées en la matière, à en faire la critique et des propositions en vue de
recherches futures.
1. LE CONCEPT DE RENDEMENT DE LA FORMATION :
DILEMME COMPLEXITÉ / PERTINENCE
Avant d’aborder la question du rendement de la formation, il est essentiel de se pencher sur
les fondements théoriques sur lesquels repose l’évaluation de la formation et de son
rendement. Le concept de formation et les objectifs qui y sont rattachés se révèlent
particulièrement importants. La formation peut ainsi être envisagée comme les efforts
planifiés que déploie une organisation pour faciliter l’apprentissage de connaissances,
d’habiletés, d’attitudes et de comportements liés à l’emploi chez ses employés (Wexley,
1984 : 510). La formation vise non seulement l’apprentissage, mais également deux autres
objectifs situés en amont et en aval : la motivation à apprendre et le transfert d’apprentissage
(figure 1) (Salas et Cannon-Bowers, 2001). À ce sujet, les recensions d’écrits scientifiques et
les méta-analyses montrent, d’abord, que la formation (son contenu et la manière dont celui-
ci est livré) exerce un effet direct, à la fois, sur la motivation à apprendre des participants
(objectif 1) et leurs apprentissages (objectif 2). Ces études montrent également que la
motivation à apprendre (objectif 1) exerce une influence positive sur les apprentissages
(objectif 2), lesquels sont liés positivement au transfert d’apprentissage (l’utilisation des
apprentissages dans le cadre du travail) (objectif 3) (Colquitt et al., 2000; Salas et Cannon-
Bowers, 2001; Tannenbaum et Yukl, 1992; Wexley et Latham, 2002).
En bref, les trois objectifs de la formation sont interreliés : les résultats obtenus pour un
objectif influencent les résultats obtenus pour les objectifs suivants. Cependant, ces objectifs
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ne sont pas les seuls facteurs à agir les uns sur les autres (Colquitt et al., 2000; Salas et
Cannon-Bowers, 2001; Tannenbaum et Yukl, 1992; Wexley et Latham, 2002). Il n’existe pas
de corrélation parfaite entre eux. D’autres facteurs influencent les résultats obtenus pour
chacun des objectifs poursuivis. Par conséquent, la motivation à apprendre (objectif 1) et les
apprentissages (objectif 2) sont deux conditions essentielles, mais non suffisantes du
transfert d’apprentissage (objectif 3). Bien que les trois objectifs soient liés à un certain
degré, mesurer l’efficacité de la formation sur le plan de la motivation à apprendre et des
apprentissages donne peu d’indication sur le degré de réalisation de l’objectif de transfert
d’apprentissage.
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Caractéristiques des
participants
(cid:132) Habiletés cognitives
Climats
(cid:132) Culture de formation
(cid:132) Support du supérieur
(cid:132) Support des collègues
Formation
(cid:132) Contenu
(cid:132) Processus
Objectif 1
Objectif 2
Objectif 3
Motivation à
apprendre
Apprentissage
Réactions à l’égard de
la formation
(cid:132) Satisfaction à l’égard
du contenu et du
processus de formation
Types d’apprentissage
(cid:132) Connaissances
(cid:132) Habiletés
(cid:132) Attitudes
(cid:132) Comportements
Transfert
d’apprentissage
Niveau individuel
(cid:132) Degré d’utilisation des
apprentissages dans le cadre
du travail
(cid:132) Niveau de rendement
Figure 1: Les objectifs de la formation
Pertinence et désuétude
des apprentissages
(cid:132) Nature du travail
(cid:132) Modifications des méthodes de
travail
(cid:132) Ressources
(cid:132) Équipements
Motivation au travail
Résistance aux changements
Absentéisme
Mobilité interne et
roulement de personnel
Niveau
Organisationnel
(cid:132) Quantité d’unités
produites/vendues
(cid:132) Qualité des différentes
composantes
(cid:132) Absentéisme lié à la santé et
la sécurité au travail
(cid:132) Productivité
Historiquement, l’évaluation de la formation consistait essentiellement en une évaluation de son
efficacité pour les deux premiers objectifs visés. Ainsi, on mesurait le degré de satisfaction des
participants à l’égard de la formation et on évaluait la pertinence des contenus didactiques
(adéquation entre le contenu de la formation et les besoins de formation). Pendant des années, les
gestionnaires ont adhéré à la croyance prédominante selon laquelle les efforts de formation
engendrent nécessairement des bénéfices pour l’organisation. Par conséquent, on s’est très peu
préoccupé de l’évaluation des coûts et des bénéfices liés à la formation (Phillips et Stone, 2002).
Bref, il semblait évident que la formation était rentable.
Cependant, les changements économiques ont incité les organisations à s’interroger davantage au
sujet de la valeur de leurs investissements en matière de formation. Or, cette évaluation de la
formation semble être marquée par un dilemme complexité/pertinence dont les conséquences
sont importantes pour les organisations. En s’appuyant largement sur le fait que les objectifs de
la formation sont reliés (motivation à apprendre, apprentissage, transfert d’apprentissage) et que
les premiers sont dans une certaine mesure garant du succès de la formation, les organisations
ont tendance à mesurer les éléments les plus facilement accessibles et entraînant peu de coûts
d’évaluation (ex. : la satisfaction des participants à la formation), plutôt que de mesurer les
éléments de première importance, à savoir ce que leur rapporte concrètement la formation. Ainsi,
malgré une prise de conscience quant à la nécessité de retirer des bénéfices de la formation et la
pertinence de les mesurer, c’est encore la réaction « immédiate » des participants à l’égard de la
formation qui est le plus souvent évaluée. Bregman et Jacobson (2000) rapportent à ce sujet que,
selon l’American Society for Training and Development2 (ASTD), 95% des organisations
consultées utilisent la réaction des participants face à la formation obtenue comme principale
mesure du rendement de la formation.
L’évaluation des bénéfices concrets que retire une organisation de la formation est plus
complexe et difficile à réaliser. Cela expliquerait pourquoi peu d’entreprises font une analyse du
rendement de la formation en termes de résultats organisationnels. En effet, toujours selon
l’ASTD, seulement 3% des répondants font un effort réel pour mesurer l’impact de la formation
sur les résultats d’affaires.
2 http://www.astd.org/astd
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Mais qu’est-ce que le rendement de la formation ? En quoi est-il différent de l’efficacité de la
formation ? Afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants de l’évaluation du rendement
de la formation, il est d’abord nécessaire de définir le concept de rendement. En vue de bien
situer ce concept dans le cadre de la formation, nous présenterons ensuite des démarches
d’évaluation de la formation, à savoir le modèle d’évaluation de la formation de Kirkpatrick
(1959) et celui du retour sur l’investissement de Philips (1996).
Dans sa plus vaste acception, le concept de rendement fait référence au rapport entre les coûts
d’une intervention et les résultats qui en résultent. Par exemple, selon Dion (1986), le rendement
concerne « [le] rapport, calculé avec plus ou moins de précision, entre le résultat obtenu et les
moyens utilisés pour le produire : matières premières, capital, personnes employées, temps
requis ». Dans le contexte de la formation, le rendement ferait ainsi référence au rapport entre les
avantages et les coûts de la formation (Benabou, 1997). Rivard (2000) précise d’ailleurs
l’importance de faire l’analyse, non pas du rendement des investissements en matière de
formation, mais des rendements de la formation. Ainsi, il est nécessaire de considérer la somme
des avantages dans le temps.
Bien que ces définitions mettent clairement en évidence la nécessité de mettre en relation la
somme des effets ou conséquences de la formation et ses coûts, elles ne précisent pas la nature
des effets ou conséquences à considérer. Pour les définir, il est indispensable de revenir aux trois
objectifs de la formation (motivation à apprendre, apprentissage, transfert d’apprentissage). On
constate alors que pour les deux premiers objectifs de la formation (motivation à apprendre et
apprentissage) les effets de la formation ne se produisent que sur le plan de l’individu (ex. :
amélioration des connaissances, des habiletés) sans pour autant que des changements ne se
manifestent au niveau des activités de production. Par conséquent, la réalisation des deux
premiers objectifs de la formation ne procure pas d’avantages directs à l’organisation. Elle en
retire des avantages uniquement dans la mesure où l’objectif de transfert d’apprentissage est
atteint, c’est-à-dire lorsque les employés utilisent leurs apprentissages au cours des activités de
production. Le rendement de la formation ne concerne donc que les effets ou les conséquences
de la formation sur les activités de production, desquelles dépendent les résultats d’affaires : la
quantité d’unités produites/vendues, la qualité de ces unités, les délais de production et de
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