LA FORMATION
DES
JOURNALISTES
REMERCIEMENTS
(qui ne sont pas seulement d’usage)
Au cours de la mission que nous a confiée Madame la ministre de la Culture et
de la Communication, nous avons eu le plaisir de rencontrer 70 personnes environ :
les directeurs d’écoles reconnues par la profession ainsi que les responsables d’autres
formations (non reconnues); les syndicats de journalistes; les responsables des
principaux syndicats patronaux; des directeurs de publication, de rédaction, des
rédacteurs en chef, des directeurs de ressources humaines de la presse écrite et
audiovisuelle, le SJTI et la commission de la carte.
Nous nous sommes entretenus également avec de nombreux confrères.
L’intérêt, la passion parfois, que les uns et les autres ont porté à la formation
des journalistes, aux difficultés présentes et aux moyens de les surmonter est
exemplaire. Comment ne pas y voir un signe que le pire n’est pas toujours sûr et
qu’avec un peu de (bonne) volonté, on peut nouer ou renouer entre les employeurs et
les écoles de nouveaux liens.
Qu’ils soient en tous cas remerciés de leur collaboration.
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Faisons un rêve… Imaginons un lycéen intelligent, curieux, lecteur de journaux,
passionné par l’actualité. Son désir : devenir journaliste. Hélas ! Ou tant mieux ! Il ne
connaît personne dans la profession, pas plus que ses parents. Par un de ces miracles
qui n’arrivent jamais, ce jeune homme a réussi a réunir une table ronde de tous les
partenaires de la profession. Il y a donc là des directeurs d’école, des directeurs de
publications, des rédateurs en chefs, des syndicalistes et quelques journalistes de
quotidiens, d’hebdos… Ebloui de se trouver devant un tel aréopage d’experts, de
praticiens et d’hommes de l’art, notre candidat se dit : “enfin, je vais savoir!”. Bien
décidé à ne pas perdre une miette de la divine parole journalistique il se jette à l’eau :
Le lycéen – Mesdames, messieurs, merci d’avoir bien voulu répondre à mon
invitation. Je n’ai qu’une question à vous poser : je veux devenir journaliste; que
faut-il faire ?
plusieurs voix.
Un grand silence répond d’abord à cette interrogation. Comme si elle était
d’ordre métaphysique, comme si chacun attendait que l’autre se dévoile avant de
prendre la parole. Et puis quelqu’un se lance dans la bataille, dans un dialogue à
– Le mieux, me semble-t-il, serait que vous entriez dans une école de
journalisme reconnue par la profession.
Le lycéen – Reconnues par la profession ?
– Oui, cela signifie qu’elles ont le label des patrons de presse et des syndicats de
journalistes. Il y en a huit en France avec deux ans d’études.
– Certes, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’autres formations.
Le lycéen – Ça prouve que le métier est ouvert.
– Tout à fait. N’importe qui peut devenir journaliste. Mais dans la réalité, la
grande majorité des journalistes aujourd’hui ont fait des études supérieures.
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Le lycéen – Pour entrer dans les écoles reconnues, il y a un concours. Quand
puis-je le passer ? Tout de suite après le bac ou bien …
– Tout de suite après le bachot dans les IUT de Bordeaux et de Tours. Mais
pour les autres écoles, il vaut mieux avoir fait sciences-Po, ou le droit, ou les lettres.
Bac +3 en général.
autres à bac +5 ou 6.
Le lycéen – Ça fait donc deux sortes de journalistes. Les uns à bac +2 et les
– Non, non, pas du tout, vous vous trompez.
Le lycéen – Je ne comprends pas.
– Le métier ne se juge pas seulement sur les études, mais sur la pratique… et le
– Jeune homme, ne soyez pas obsédé par les écoles de journalisme. Faites
Sciences-Po ou hypokhagne et khagne … et des stages. Ou bien si vous vous
intéressez à l’économie faites HEC ou l’ESSEC. Ce sera plus efficace.
Le lycéen – Des stages, je veux bien mais je ne connais personne dans la
talent.
presse.
– Je le reconnais, ce n’est pas facile. Il faut se débrouiller.
– Dans ce cas, les écoles sont la meilleure voie. Et pas seulement celles
reconnues par la profession.
– Mais dites-nous quels journaux vous intéressent.
Le lycéen – Ceux que je lis, ceux que je connais : Le Monde, Libération, le
Figaro, les hebdomadaires.
– Toujours les mêmes, vous oubliez la presse régionale !
– Et les magazines spécialisés : Géo, Grand reporter, le Chasseur Français… et
la presse télé, et la presse pour enfants, et la presse féminine, scientifique, familiale…
Le lycéen – Je connais mal.
– Hélas ! Et les écoles ne vous y prépareront guère. C’est pourtant là qu’il y a de
l’emploi.
Le lycéen – Parce que ailleurs…
– Il vaut mieux le savoir : la profession n’embauche guère.
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Le lycéen – Tout le monde dit qu’Internet va créer des emplois.
– Peut-être, mais pas dans l’immédiat.
– Ça arrivera plus vite qu’on ne pense.
Le lycéen – Alors, que faire ?
– Vous êtes encore sûr d’avoir la vocation.
Le lycéen – Oui !
– Alors, faites des piges !
Ne restons pas sur cette cruelle injonction sinon le rêve deviendrait cauchemar.
Heureusement le débat continue et notre candidat – tel Candide déniaisé – découvre
peu à peu un monde qui se révèle à lui plus complexe, plus obscur qu’il ne pensait :
la variété des métiers que recouvre le mot journaliste, la diversité des titres, les
mutations subies par la presse au cours de ces dernières décennies, les défis que
constitue une formation au journalisme et de ce fait les relations conflictuelles (ou
dialectiques) que les écoles entretiennent avec les employeurs sous l’oeil attentif des
syndicats.
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LES SOURCES D’UN MALAISE
Ecoles – employeurs, deux planètes ?
D’une première exploration dans les huit écoles de journalisme (celles
reconnues par la profession), mais aussi d’autres filières universitaires ou privées et
auprès des employeurs, une conclusion semble s’imposer : “rien ne va plus”.
Directeurs de pubications, mais aussi directeurs de rédaction, rédacteurs en chefs et
encore DRH pour les groupes de presse importants qui considèrent dans leur
ensemble (en dépit de quelques exceptions) que les écoles ne forment pas ou forment
mal les jeunes journalistes qu’ils sont susceptibles d’embaucher. Manque de culture
générale, ignorance du droit de la presse, savoir faire insuffisant. On n’en finirait pas
d’énumérer les reproches adressés aux écoles. Et la plupart de chanter les louanges de
la “formation sur le tas”, seule susceptible, à leurs yeux, de donner à de jeunes
candidats les capacités nécessaires. Certains même n’hésitent pas à déclarer tout de
go : “Moi pour embaucher je ne passe plus par les écoles. Je préfère un jeune de
Normale sup ou d’HEC…” Bref, les écoles seraient sur une autre planète que celle de
la presse.
Le paradoxe est que – sur ce fond de mécontentement – le “rien ne vas plus” se
transforme parfois en “ça ne va pas si mal … mais ! “Pour peu que la conversation se
prolonge, tel directeur de rédaction reconnaît volontiers que telle école lui a fourni au
cours de ces dernières années des jeunes journalistes qui se sont fort bien adaptés à
son équipe. Un autre admet que la formation donnée par les écoles est une bonne
base. Un troisième souligne que la spécialisation dans tel domaine constitue une
vraie compétence.
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De leur côté, les directeurs d’école dans les rapports qu’ils entretiennent avec
les employeurs sont plutôt satisfaits. Certes ils regettent parfois que ces relations ne
soient pas plus fécondes. Mais – contrairement à une rumeur parfois injustement
colportée – il n’y a pas de leur part à l’égard des patrons de presse une réserve ou une
méfiance systématique. Comme si les écoles étaient les gardiens du temple
journalistique et les journaux les lieux de la compromission. Il suffit de regarder avec
un peu d’attention les procédures de sélection et les programmes d’enseignement, de
lire les journaux-école, d’entendre le souci que les écoles ont de l’avenir de leurs
étudiants pour remarquer de vraies exigences professionnelles.
Mais il convient d’affiner l’analyse si l’on veut mieux appréhender la réalité.
Parler des écoles d’un côté, des patrons de presse de l’autre, c’est demeurer dans une
généralité trop floue. Ce qui apparaît dans une enquête plus approfondie, ce sont les
liens spécifiques noués entre telle école ou plutôt tel directeur d’école avec tel patron
de presse pour l’amélioration de la formation dans un secteur particulier ou la
création d’une nouvelle filière. On est alors quelque peu stupéfait d’entendre l’un des
responsables d’un des plus grand groupe de presse expliquer longuement pourquoi il
n’embauche aucun élève sorti des écoles et … conclure : “Il y une exception, c’est X
(X étant le directeur d’une école)”. Ainsi les écoles ont mauvaise presse sauf “celle
avec laquelle je travaille”. Ce qui apparaît aussi c’est une hiérarchie entre les écoles,
évidemment non écrite, et qui peut varier selon les années, les responsables de
publications et les spécialités.
Il convient d’emblée de se méfier des affirmations trop roides. Il serait absurde
de nier le malaise entre organismes de formation et employeurs, mais de là à
considérer que les uns et les autres appartiennent à deux planètes différentes il y a un
pas à ne pas franchir. Des liens existent, plus forts qu’on ne croit.
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Toutefois, ils sont davantage dûs aux personnes qu’aux structures. Jadis on disait Le
Monde de Beuve Méry, le Figaro de Pierre Brisson, le France-Soir de Pierre
Lazareff, l’AFP de Jean Marin, Europe 1 de Siegel et Gorini. Il en est de même
aujourd’hui, mais ne citons pas de noms afin de ne pas faire de jaloux! Les écoles
aussi ont un nom; un ou plusieurs.
Embauche : des réseaux et des viviers.
Ce malaise, cette distance entre les écoles et les employeurs, se traduit de façon
plus grave par les nouvelles procédures d’embauche. Il y a encore une quinzaine
d’année, un étudiant sortant d’une école de journalisme était en règle générale à peu
près assuré de trouver un emploi l’année suivant l’obtention de son diplôme. Un
stage de 3 ou 4 mois dans un organe de presse accompagné éventuellement d’un autre
stage ou de quelques piges lui permettait d’entrer dans la profession. Tel n’est plus le
cas aujourd’hui. A en juger par les déclarations aussi bien des employeurs que des
directeurs d’école ou des syndicats de journalistes, les procédures d’embauche ont été
dans l’ensemble radicalement modifiées.
On constate une embauche par “réseau” conduisant à un “vivier”. Le jeune
étudiant effectue certes toujours un stage à sa sortie d’école, mais ce stage ne lui
ouvre les portes d’aucun journal. Il l’autorise au mieux à faire partie d’un ensemble de
jeunes journalistes qui pendant deux, trois ou quatre ans, de piges en CDD vont lui
permettre de faire preuve de ses capacités ou de son talent, jusqu’au jour ou le
directeur de rédaction, un rédacteur en chef ou un chef de service disposant d’un
poste budgétaire et ayant apprécié ses qualités lui proposera un CDI.
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