Formation emploi
Revue française de sciences sociales
142 | Avril-Juin 2018
Génération 2010 : diversité des parcours de réussite
Emploi des jeunes sans diplôme : la prime au rural
Employment for young people without school-leaving certificates : the rural
premium
Beschäftigung junger Menschen ohne Abschluss : Rolle der Regionpolitik
Empleo de los jóvenes sin diploma : el plus de lo rural
Joël Zaffran
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/5616
DOI : 10.4000/formationemploi.5616
ISSN : 2107-0946
Éditeur
La Documentation française
Édition imprimée
Date de publication : 23 août 2018
Pagination : 99-117
ISSN : 0759-6340
Référence électronique
Joël Zaffran, « Emploi des jeunes sans diplôme : la prime au rural », Formation emploi [En ligne], 142 |
Avril-Juin 2018, mis en ligne le 23 août 2020, consulté le 30 octobre 2020. URL : http://
journals.openedition.org/formationemploi/5616 ; DOI : https://doi.org/10.4000/formationemploi.5616
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Emploi des jeunes sans diplôme :
la prime au rural
Joël Zaffran
Professeur des Universités, université de Bordeaux, Faculté de sociologie, Centre Émile
Durkheim, Centre associé Céreq de Bordeaux
Résumé
n Emploi des jeunes sans diplôme : la prime au rural
La situation des jeunes sans diplôme dépend de leurs caractéristiques sociales, mais
aussi du tissu économique et des politiques publiques régionales en faveur de la jeu-
nesse. Dès lors, la mesure des facteurs influençant l’accès au marché du travail ou à la
formation est biaisée sans le contrôle du contexte régional. L’article met d’abord en évi-
dence la part du niveau régional sur la situation d’emploi, de chômage ou de formation
des jeunes sans diplôme. L’analyse multiniveau, menée à partir de l’enquête Génération
du Céreq, estime ensuite le poids des caractéristiques sociodémographiques et scolaires
sur leur situation, puis souligne l’effet du statut rural de la commune de résidence
sur l’emploi. Enfin, l’article replace les résultats dans la perspective de la « régionali-
sation », confiant aux Régions de nouvelles compétences en matière de formation et
d’insertion des jeunes.
Mots clés : emploi des jeunes ; chômage des jeunes ; non diplômé ; abandon des
études ; mesure jeune ; politique régionale de la FPC ; insertion professionnelle ;
disparité régionale ; région ; commune ; milieu rural ; enquête d’insertion
Abstract
n Employment for young people without school-leaving certificates: the rural
premium
The situation of young people without diploma depends on their social characteristics.
It also depends on the economic fabric and regional public policies for youth. Hence,
the measurement of factors influencing access to the labour market or access to trai-
ning is biased without the control of the regional context. The article first presents
the impact of the regional level on the situation of employment, unemployment or
training. Then, the multilevel analysis conducted from the Generation survey from
Céreq estimates the weight of the weight of sociodemographic and school characteris-
tics on their situation, and emphasizes the effect of the rural status of the main place of
residence on employment. Finally, the results are put into the perspective of “regiona-
lization”, which gives Regional Councils new competences for vocational training and
employability of young people.
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Dossier
Keywords: youth employment ; youth unemployment ; non graduate ; drop out ; youth
employment scheme ; regional CVT policy ; transition from school to work ; regional
disparity ; region ; municipality ; rural environment ; school-to-work transition survey.
Journal Of Economic Literarure : J 24 ; R 11
Traduction : Auteur.
La plus grande difficulté d’insertion professionnelle des jeunes sans diplôme, com-
parativement aux jeunes diplômés, ainsi que le poids des caractéristiques sociales sur
leur situation sont des faits établis (Depp 2014)1. Souvent issus de milieux défavorisés
et portés par des aspirations scolaires moins ambitieuses (Grelet & Vivent, 2011), ils
font face à des obstacles à l’accès au marché du travail plus nombreux et, quand ils
y entrent, leur condition est nettement plus pénible et instable que celle des autres
jeunes (Le Rhun & al., 2013). Prenant acte de ces difficultés, des politiques publiques
sont conduites à l’échelle nationale, avec un adossement aux Régions, qui contribuent,
à leur manière, mais aussi selon leurs opportunités économiques et les choix opérés en
matière de formation, à l’employabilité ou au retour aux études des jeunes sans diplôme
(Weixler, 2014). De sorte que la mesure des caractéristiques sociales des jeunes sans
diplôme sur l’emploi, la formation ou le chômage est incomplète sans un emboîtement
de leur situation dans une échelle régionale, c’est-à-dire des aires urbaines et rurales
administrées par un Conseil régional doté de compétences en matière d’orientation et
de formation professionnelle notamment.
À la suite des travaux du Céreq (2014) ou de l’Insee (voir par exemple Bouhia & al.,
2011) sur les jeunes sans diplôme, on peut donc s’attacher à identifier d’emblée les
facteurs qui accentuent ou allègent les difficultés des jeunes sans diplôme de retour
en formation ou en insertion professionnelle, non sans avoir contrôlé préalablement
l’effet du territoire qui intervient aux niveaux individuel et régional. Dans le premier
cas, le lieu d’habitation peut représenter un handicap supplémentaire que les jeunes
sans diplôme devront surmonter, comme les jeunes qui résident dans une ZUS (zone
urbaine sensible), cibles des mesures liées à l’action publique mises en œuvre sur des
territoires urbains précis. Dans le second cas, des différences proviennent du tissu éco-
nomique de la région de résidence des jeunes (voir le rapport 2016 de l’Observatoire
social des territoires de l’Insee). Ainsi, les régions du nord et du sud de la France
restent les plus touchées par le chômage, avec des taux supérieurs à 10 %. En consé-
quence, les jeunes, a fortiori non diplômés, sont les plus touchés par la montée du chô-
mage (Gaubert & al., 2017), mais dans des contextes variables sur le plan de l’emploi
(Bessone & al., 2015). Cette variation due aux territoires existe aussi dans l’accès aux
1. L’auteur remercie les membres du Département Entrées et Évolutions dans la Vie Active (DEEVA) du
Céreq. L’article est une contribution à l’ANR 14-CE30-0009 Territoires et décrochages scolaires (TEDS).
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dispositifs de formation (Zaffran & Vollet, 2018). En effet, le retour aux études dépend
du nombre et de la nature des dispositifs que chaque région aura choisi de financer. En
Île-de-France, par exemple, le Conseil régional rappelle, en 2016, qu’il lui incombe de
renforcer le travail en commun de tous les acteurs d’un territoire, en particulier ceux
qui relèvent de l’Éducation nationale et des missions locales (Rapport pour le conseil
régional Île-de-France, 2016). En Région PACA, un dispositif entre la mission locale
et le rectorat n’a pas eu le succès escompté par le Conseil régional. Il n’a pas survécu
à la mauvaise circulation de l’information, à l’hétérogénéité des motivations et à la
divergence des objectifs des intervenants (Rouaud, 2013).
Ces éléments de contexte obligent à intégrer l’effet du territoire dans l’étude de l’in-
fluence des caractéristiques sociales sur la situation des jeunes après qu’ils ont quitté
l’école sans diplôme. Cet article vise donc à expliquer la situation de chômage, de
retour en formation ou d’emploi des jeunes sans diplôme par des paramètres classiques
(sexe, niveau de sortie, profession du père) et ad hoc (le statut urbain ou rural de la
commune de résidence) à l’aide d’une modélisation multiniveau qui contrôle la varia-
tion due aux régions lors de la mesure de ces paramètres.
On s’appuie sur l’enquête Génération 2010 du Céreq (voir Encadré 1) pour, dans un
premier temps, présenter la population des jeunes sans diplôme et, dans un second
temps, expliquer la situation d’emploi ou de formation comparativement à la situation
de chômage (voir Encadré 2).
Encadré 1. Définition de l’échantillon
Les données proviennent de l’enquête « Génération 2010 » du Céreq, qui est un dispositif d’in-
terrogation, au printemps 2013, des 33 500 sortants de tous niveaux de formation, représen-
tatifs des 708 000 jeunes sortis du système éducatif en 2010. Dans cet article, les jeunes sans
diplôme ont quitté le collège, le lycée professionnel ou le lycée d’enseignement général ou bien
des études secondaires générales, sans obtenir le certificat d’aptitude professionnelle (CAP),
le brevet d’études professionnelles (BEP) ou le baccalauréat général, technologique ou profes-
sionnel. Ces sortants précoces ne détiennent toujours aucun titre scolaire dans les trois ans qui
suivent la sortie de l’école. Les jeunes avec un diplôme sont ceux ayant obtenu, soit un CAP ou
un BEP, soit un baccalauréat général, technologique ou professionnel après avoir quitté l’école
en 2010 ou au cours des trois années suivant la sortie de l’école. Après avoir comparé les jeunes
sans diplôme et les jeunes avec un diplôme, l’article réduit la focale sur les premiers.
Tous les résultats sont significatifs avec une marge d’erreur d’au moins 5 %. Les calculs sont
effectués sur la base des effectifs pondérés.
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Dossier
Préalablement à cette analyse, on s’attendait à ce que le statut urbain de la commune
de résidence augmente la probabilité des jeunes sans diplôme d’être en formation ou en
emploi plutôt qu’au chômage, en raison notamment des orientations de la politique de
la ville et de la concentration des emplois en zone urbaine (Rapport du Commissariat
général à l’égalité des territoires, 2015). Les résultats montrent l’inverse, puisque le
statut rural de la commune de résidence a un effet positif sur l’emploi.
Dans un troisième temps, on met en discussion cet effet, que l’on articule ensuite à la
régionalisation des politiques de formation et d’insertion des jeunes sortant du système
de formation initiale sans un diplôme national ou une certification professionnelle.
1I Qui sont les jeunes
sans diplôme ?
Les jeunes sans diplôme présentent des différences attendues par rapport aux jeunes
diplômés. Le Tableau 1 affiche des résultats qui vont dans le sens des données dispo-
nibles sur les sorties de l’école sans qualification (Caille, 2000 ; Afsa, 2013). Il confirme
aussi le poids des facteurs scolaires et sociaux, puisque les jeunes sans diplôme sont
plus souvent des garçons, des enfants d’ouvriers et d’employés, avec l’inactivité, pour
situation dominante, d’un père le plus souvent né hors de France. En outre, ils sortent
du système de formation sans diplôme majoritairement après un passage dans l’ensei-
gnement professionnel, avec des différences selon le niveau court (CAP ou BEP) et
le niveau long (baccalauréat général, technologique ou professionnel). Enfin, ils sont
plus nombreux dans les zones urbaines en général, et les zones urbaines sensibles en
particulier.
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Tableau 1. Caractéristiques des jeunes sans et avec diplôme (%)
Caractéristiques
Jeunes sans diplôme
Jeunes avec un diplôme
Technicien, agent de maîtrise, VRP, profession intermédiaire
Cadre, ingénieur, profession libérale, professeur
Artisan, commerçant, chef d’entreprise
Sexe
Garçon
Fille
Ouvrier
Employé
Profession du père
Agriculteur
Pays de naissance du père
En France
Hors de France
Niveau de sortie
Collège
CAP/BEP
Bac général, technologique ou professionnel
Statut de la commune de résidence
Urbain
Rural
Appartenance à une ZUS (zone urbaine sensible)
62,5
37,5
29,8
21,5
5,7
7,1
9,7
1,6
75
25
13,9
35,4
50,7
82,4
17,1
27,8
49,1
50,9
21,9
17,8
8,6
24,2
10,6
3
82,2
17,8
78,1
21,7
14,8
Lecture : parmi les jeunes sans diplôme, on compte 62,5 % de garçons. Ils sont 49,1 % parmi les jeunes ayant quitté l’école avec un diplôme. (voir
Encadré 1 pour les catégories « jeunes sans diplômes » et « jeunes avec un diplôme »).
Source : Enquête Génération 2010 – Interrogation 2013.
Sur le plan de l’insertion professionnelle, les jeunes sans diplôme sont moins souvent en
emploi que les jeunes diplômés. Le Tableau 2 montre qu’un écart de 33 % les sépare,
puisque 50 % des jeunes sans diplôme sont en emploi, alors que cette situation concerne
plus de 80 % des jeunes diplômés. Ce résultat, trivialement prévisible, évoque le han-
dicap de l’absence de diplôme sur le marché du travail, et rappelle que les demandes des
employeurs en matière de compétences s’élèvent à mesure que les exigences de la pro-
ductivité immédiate sont fortes et que diminue le plein emploi (Rose, 2012). La hausse
du nombre et du niveau des diplômés qui se présentent sur le marché du travail fait de
l’absence de diplôme un mauvais signal envoyé aux recruteurs (Marchal, 2015).
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Tableau 2. La situation dominante des jeunes sans et avec diplôme (%)
Sans diplôme
Avec diplôme
Total
Chômage
38,1
Formation
11,7
9
13,6
7,8
8,4
Emploi
50,1
83,2
78
Lecture : 38 % des jeunes sans diplôme connaissent un chômage plus ou moins durable.
Source : Enquête Génération 2010 – Interrogation 2013.
Les enquêtes sur les jeunes sans diplôme pointent la vulnérabilité inhérente à leur condi-
tion. Leur parcours d’insertion est chaotique, alternant des emplois précaires et des périodes
plus ou moins longues d’inactivité (Mazari & al., 2011). Les données issues de l’enquête
Génération 2010 révèlent cette vulnérabilité par le nombre de mois passés au chômage,
deux fois plus élevé pour les jeunes sans diplôme (14,1 mois en moyenne contre 7,4 mois),
un temps d’accès au 1er emploi presque trois fois plus long (8,6 mois contre 3,4 mois), et un
nombre de mois passés en emploi plus court (14,6 mois contre 25,4). Enfin, les jeunes sans
diplôme sont plus nombreux que les autres à être en formation, ce qui est dû (comme dans
l’exemple d’Île-de-France cité plus haut) à l’inflexion des mesures d’accès à la formation des
jeunes sans diplôme (Aeberhardt & al., 2011). Ces constats faits, comment les situations
varient-elles à l’échelle des régions ?
2I L’effet variable du niveau régional
sur la situation des jeunes sans diplôme
La formation et l’insertion professionnelle des jeunes sans diplôme sont la combinaison, sur
une aire régionale, d’une action publique avec un ensemble de sphères d’activités écono-
miques. Des différences existent en matière de chômage, formation, emploi.
Le Graphique 1 croise le taux de chômage (en abscisse), avec le taux d’emploi (en ordonnée)
et le taux de retour en formation (représenté par les cercles), répartit les régions sur une
diagonale dont les pôles sont constitués par un fort taux d’inactivité (Nord-Pas-de-Calais)
et un fort taux d’emploi (Auvergne). En outre, ces deux régions se distinguent sur le plan
de la formation. Ainsi, le taux de retour en formation est plus élevé en Nord-Pas-de-Calais
qu’en Auvergne. Au milieu du graphique, on trouve les régions qui compensent l’inactivité
par le retour en formation (Provence-Alpes-Côte d’Azur ou Champagne-Ardenne), ou qui
complètent leur bon taux d’emploi par un taux de retour en formation plus élevé qu’ailleurs
(Aquitaine ou Bretagne).
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Graphique 1. La situation dominante des jeunes sans diplôme selon l’échelle régionale
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Lecture : Le retour en formation est représenté par un cercle plus ou moins large selon le taux. En Auvergne, il est égal à 11,3 %, ; en Poitou-Charentes,
à 7,1 %. La région Nord-Pas-de-Calais a un taux de chômage de 50,3 %, un taux de retour en formation de 12.6 %, et un taux d’emploi de 37,1 %.
Source : Enquête Génération 2010 – Interrogation 2013.
Plus avant, le Graphique 1 montre qu’il en est de la situation des jeunes sans diplôme
comme du décrochage scolaire, puisque le phénomène se forme dans l’interaction
entre l’individu et les dimensions de son environnement (Boudesseul, Caro, Grelet
& Vivent, 2014). Il importe donc de prendre en compte la structure hiérarchique des
données pour ne pas dissocier les disparités régionales des caractéristiques sociales des
jeunes et, ce faisant, éviter l’erreur écologique qui biaise l’intensité des relations analy-
sées au niveau individuel et au niveau agrégé (Robinson, 1950).
L’intérêt de l’analyse multiniveau est de mesurer les facteurs du retour en formation, le
chômage ou l’emploi des jeunes sans diplôme, en contrôlant l’effet du niveau régional2.
2. La démarche est peu ou prou identique à celle que proposent Couppié, Dzikowski & Goffette (2014,
p. 28) au sujet des jeunes accueillis dans les missions locales lorraines. Ils montrent qu’à suivi et caractéris-
tiques identiques par la mission locale, un jeune d’une communauté de communes a 1.5 fois plus de chances
de connaître une insertion professionnelle qu’un jeune d’un territoire « moyen ».
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