Université François Rabelais – Tours
UFR Arts et Sciences Humaines
Département des Sciences de l’Education et de la Formation
Année Universitaire 2011-2012
L’accompagnement par les livres
Présenté par
Geniaut Sarah
Sous la direction de Laurence Cornu
En vue de l’obtention du
Master 2 Professionnel SIFA
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SOMMAIRE
Sommaire ……………………………………………………………………………………………………………2
Introduction du mémoire ……………………………………………………………………………………….3
Partie I Du trajet au projet, formations et projets …………………………………………………..5
Introduction…………………………………………………………………………………………………………5
I. Mon récit de vie ……………………………………………………………………………………………6
II. Mon projet………………………………………………………………………………………………….19
Conclusion ………………………………………………………………………………………………………..21
Partie II Contexte, la dévalorisation des Lettres ……………………………………………………22
Introduction……………………………………………………………………………………………………….22
I. Histoire des Humanités et début de la formation en France ………………………………22
II. Contexte actuel des Lettres …………………………………………………………………………..34
Conclusion, la nécessité des Lettres ?……………………………………………………………………43
Partie III Concepts……………………………………………………………………………………………….44
Introduction……………………………………………………………………………………………………….44
I. Accompagnement / Autonomie …………………………………………………………………….45
II. Récit de vie / Expérience ……………………………………………………………………………102
III.
Interculturalité / Altérité…………………………………………………………………………..124
Conclusion ………………………………………………………………………………………………………137
Partie IV Méthodologie ………………………………………………………………………………………138
Introduction……………………………………………………………………………………………………..138
I. Méthodologie et traitement des données ………………………………………………………139
II. L’analyse de contenu des entretiens …………………………………………………………….150
Conclusion ………………………………………………………………………………………………………210
Partie V Encouragements et propositions ……………………………………………………………211
Introduction……………………………………………………………………………………………………..211
I.
Pratique Histoire de vie………………………………………………………………………………211
II. Education Nationale…………………………………………………………………………………..217
III. Dispositifs dans les savoirs de base …………………………………………………………..235
IV. Ateliers d’écriture……………………………………………………………………………………238
Conclusion ………………………………………………………………………………………………………242
Conclusion du mémoire………………………………………………………………………………………243
Références et index …………………………………………………………………………………………….245
I.
Figures …………………………………………………………………………………………………….245
II. Références Bibliographiques ………………………………………………………………………301
Table des Matières ……………………………………………………………………………………………303
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Introduction du mémoire
Les livres nous parlent de nous-mêmes. Lire, même des histoires qui nous semblent très
éloignées de la réalité nous dévoile quelque chose sur nous. C’est du moins l’hypothèse
que nous faisons et que nous espérons démontrer grâce à ces recherches. Cette idée
semble subversive dans cette société dirigée par le capitalisme et la consommation.
Dans ce monde, la temporalité paraît s’être déréglée et tout va désormais à une vitesse
incroyable. Lire, c’est prendre du temps et activer son cerveau. Pourquoi se lancer dans
cette activité laborieuse alors qu’il suffit de s’installer confortablement dans son canapé
pour recevoir tout « prémâché » des récits à travers nos écrans ?
Mais nous supposons que le mouvement réflexif entraîné par la lecture est supérieur à
celui créé par les images (films, télévisions…). Nous pensons que la littérature peut
concrètement nous accompagner, c’est-à-dire influencer notre vie et tenir une part
importante dans notre éducation. Certes, on peut rétorquer, et à juste titre, que certains
films poussent à la réflexion. Cependant, les livres imposent deux mouvements, deux
décalages qui favorisent la pensée quand les films n’en imposent qu’un. En effet, lire
c’est mettre des images sur des mots puis s’approprier une histoire pour la mettre en
corrélation avec sa propre existence, tandis que les films ratent l’étape de l’imagination.
Nous allons tenter de voir, par nos recherches, ce qu’apporte cette double médiation.
Bettelheim a pu psychanalyser des contes de fée et Propp a démontré que les
mythes racontent comment on surmonte une épreuve, n’importe quelle épreuve.
L’imaginaire des textes nous ramènerait donc à notre propre vie et ils porteraient des
messages universels ?
Pour savoir si la littérature touche les hommes en général et non uniquement
quelques rares spécimens, il faudrait mener des entretiens semi-directifs avec des
apprenants. Il s’agirait en partie de poser les questions suivantes : « qu’est-ce qui vous
parle dans tel texte ? », « que vous apporte la littérature ? », « que recherchez-vous en
lisant ? », « quel type de texte lisez-vous ? »… Ainsi nous pourrions observer si la
lecture apporte, à tous quel que soit leur rapport aux livres.
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Nous faisons l’hypothèse que certaines œuvres ne font pas qu’accompagner les
hommes mais parlent d’accompagnement et sont proches de la théorisation de
l’accompagnement comme certains mythes. Ces ouvrages seraient donc d’une aide
précieuse pour les Sciences humaines et plus particulièrement les Sciences de
l’éducation.
forme d’autonomie ?
Que nous révèlent les œuvres littéraires sur l’accompagnement ? Que nous
apprennent-elles ? Que nous dévoilent-elles subjectivement qui permet d’acquérir une
Pour répondre à ces questions, nous proposons de faire une étude en cinq parties.
Tout d’abord, nous proposons de faire notre récit de vie ou plutôt une
autobiographie raisonnée. Cette première partie sera l’occasion de nous questionner à
propos de notre passion pour les lettres, l’orientation professionnelle que nous avons
prise et les projets professionnels que nous construisons.
Ensuite, nous nous interrogerons sur le contexte actuel des lettres. En quoi sont-
elles liées à l’idée d’éducation ? Qu’est-ce qui nous a amené à un délaissement des
lettres ? Cette partie se basera sur une sociohistoire de l’accompagnement mêlée à une
sociohistoire des humanités. Ce travail nous aidera à comprendre l’évolution des mœurs
vis-à-vis de la littérature.
Une troisième partie sera focalisée sur l’analyse des concepts que nous avons
choisis. Les deux parties précédentes nous aideront à dégager trois duos de concepts :
l’accompagnement et l’autonomie qui nous permettront de faire un point sur
l’apprentissage de la lecture et de l’écriture puis un second sur l’autonomie qu’elles
peuvent apporter une fois acquises ; les récits de vie et l’expérience seront l’occasion
d’étudier différents types de dispositifs d’accompagnement qui sont ou pourraient être
traversés par l’écriture et la lecture ; et l’interculturalité et l’altérité dont la rencontre
sera favorisée par la lecture.
Une quatrième partie basée sur la méthodologie traitera en majorité des entretiens
effectués. Nous présenterons le cadre de recherche et les personnes interrogées. La
méthodologie employée sera clairement explicitée et les entretiens analysés de plusieurs
manières.
La dernière partie traitera des préconisations que nous pourrons, grâce à nos
recherches, suggérer. Nous tenterons de voir dans quels dispositifs la lecture et
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l’écriture pourraient être introduites ou comment des dispositifs existants auraient la
possibilité d’être améliorés. Cette dernière partie relèvera de l’ingénierie pédagogique et
de la stratégie.
Partie I Du trajet au projet, formations et
projets
INTRODUCTION
Pour la première fois dans ma courte vie, je vais raconter mon histoire. Tout
comme je trouve ridicule qu’un chanteur novice sorte un best of, je trouve difficile de
parler de la vie d’une jeune femme de vingt-quatre ans n’ayant connu quasiment que le
monde de la formation. C’est du moins ce que je pensais avant d’entrer en master SIFA
et d’expérimenter des pratiques telles que le GAP et l’Histoire de vie.
La vie est souvent plus riche qu’on ne le croit et si un enfant peut faire un récit
de vie, pourquoi pas moi ? En réalité, j’ai connu comme toute personne autre chose que
les études. Ma vie pourrait être représentée par les lignes de Lainé et c’est d’ailleurs ce
que j’ai fait lors de l’option Histoire de vie. J’ai représenté sur une grande feuille de
paperboard et à l’aide de feutres mes études, mes emplois et mon monde privé. J’ai eu
de nombreuses expériences professionnelles qui ont toujours servi à ouvrir mon esprit :
comprendre le travail d’une hôtesse de caisse, celui d’un ouvrier d’usine dans une
chambre froide, celui de postier… Chaque expérience a modifié ma vision des choses
de même que chaque événement personnel (rencontres, décès, maladie, histoires de
cœurs…) a contribué à faire de moi ce que je suis. Merleau-Ponty expliquait que les
données biographiques avaient un rapport dialectique avec le moi ainsi :
MOI
Mon avenir
Mais puisque ce récit de vie contribue à l’élaboration de mon mémoire, il faut
qu’il contribue à ma thématique de recherche et s’oriente autour de mon projet.
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Données
biographiques
Qu’est-ce qui m’a amené à vouloir devenir formatrice ? Pourquoi les Lettres
sont-elles aussi importantes dans ma vie ?
Pour répondre à ces questions, j’ai commencé par faire un récit de vie
chronologique. J’ai ensuite tenté d’analyser ce récit. Enfin, j’ai voulu traiter de mes
projets de recherches et professionnels.
I. MON RECIT DE VIE
1. Jeunesse
Enfance (hommage à Nathalie Sarraute)
Il était une fois un beau prince et une mère « bonne 1» qui eurent deux petites
princesses qui n’avaient que 13 mois d’écart. Le couple aspirait à de grandes
perspectives quant à l’avenir de leurs filles : le père rêvait de gloire (des diplômes et un
métier bien payé) et la mère voulait voir ses enfants heureux. Tout semblait parfait,
cette petite famille ne connut jamais la faim ni le chômage car, bien que ayant une
origine modeste (du côté paternel il s’agit d’une famille paysanne et du côté maternel
d’ouvriers), le couple était devenu fonctionnaire en passant le concours d’infirmier.
Cependant, ce travail convenait fort peu aux rythmes de la petite enfance et les parents
devaient jouer sur des contres-postes pour pouvoir garder à tour de rôle leurs deux
chérubins. Ces conditions difficiles pour eux, avec un enfant malade (moi) pleurant sans
cesse à cause de démangeaisons, les empêchèrent de fonder une famille unie et de
trouver sommeil. La mère étant suffisamment bonne décida de passer le concours
d’institutrice pour pouvoir passer plus de temps avec ses petits en bas âge. C’est ainsi
que pour moi, le métier d’institutrice à toujours été assimilé à l’image d’une bonne
mère. Une mère présente et capable d’aider et comprendre ses enfants au quotidien.
1 Winnicott, Conversations ordinaires, Paris, Gallimard, 1988.
Adolescence
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J’ai donc grandi auprès de cette mère qui à la fois s’occupait beaucoup de moi et
ma petite sœur et semblait s’épanouir dans son travail. Elle parlait souvent des enfants
de sa classe, de ses collègues, ramenait du travail et se mettait à proximité de nous pour
effectuer ses préparations de cours… Elle pouvait nous aider pour faire nos devoirs,
avait des bases en psychologie de l’enfant et donc pouvait nous comprendre… De plus,
notre famille étendue ne comprenait désormais que des instituteurs, professeurs ou
infirmiers que ce soit du côté paternel ou maternel. J’ai donc été totalement entourée par
ces métiers.
Arrivée au collège, période la plus sombre de ma vie, je me repliai sur mes
études et je devins très solitaire. Je n’étais pas aimée, voire détestée et je subis un
harcèlement violent de la part de mes camarades me reprochant d’une part d’être en
surpoids et d’autre part d’avoir de trop bonnes notes. Dans ces conditions, je ne voyais
plus que deux solutions : tout abandonner ou travailler davantage.
Je me réconfortai alors dans la poésie. J’avais commencé à écrire à l’âge de huit
ans, pour faire des cadeaux à mes proches. Au collège, j’ouvris un cahier où je notais
tout ce que j’avais écrit auparavant et où j’inscrivais chaque nouveau poème. Il me
servait à exprimer tout le mal que je ressentais, à sortir de moi la colère et la tristesse
que j’éprouvais à cause de mes camarades. En parallèle, je lisais pour m’occuper et pour
me changer les idées. J’aimais les livres drôles de Roal Dahl, la collection « Buffy » qui
reprenait la série télévisée et les ouvrages sur les chats, mes animaux préférés et
l’Egypte Antique qui me fascinait. La lecture qui me marqua le plus à cette période, et
je pourrais dire dans toute ma vie, fut un livre que mon père m’obligea à lire : L’Herbe
Bleue. Il s’agit du journal intime d’une jeune droguée américaine qui a été retrouvé puis
publié. C’est donc une histoire vraie et particulièrement choquante. J’ai dû m’y prendre
à plusieurs reprises pour arriver au bout. Mon père est infirmier psychiatrique en
addictologie. Je crois qu’il voulait que je lise ce bouquin pour que je ne me drogue
jamais. Il faut dire que ça a plutôt bien réussi, toutes les fois où j’eus des amis qui se
droguaient d’une manière ou d’une autre (joints ou pire), j’ai toujours refusé en me
rappelant cette horrible lecture où la jeune fille finit par se prostituer pour obtenir
l’argent nécessaire à son addiction puis meurt d’une overdose. On peut dire que ce livre
a été un accompagnement douloureux voire traumatisant pour une fillette de douze ans
mais particulièrement efficace.
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Face aux railleries, je persévérai et me mis dans la tête que je voulais devenir
professeur sans savoir vers quelle matière me tourner car tout me plaisait et mes notes
étaient excellentes et homogènes (hormis en EPS !). Cela me valut encore plus de
moqueries de la part des autres collégiens qui m’imaginaient dévorée par mes futurs
élèves puisque je n’arrivais pas à me défendre contre eux. Je ne perdis pas espoir, et la
période bénie du lycée arriva.
Le lycée
Je me souviendrai toujours du premier jour de lycée. J’étais dans un coin, seule
et toujours aussi ronde, je m’étais habillée du mieux que j’avais pu et sentant que si je
restais là seule sans bouger, il m’arriverait sans doute la même chose qu’au collège, je
me suis dit : « PLUS JAMAIS ÇA !!! ». Je pris mon courage à deux mains, il ne fallait
pas attendre que quelqu’un ait pitié de moi et daigne venir me parler. Il fallait que j’aille
vers les autres. Je me mis à discuter avec plusieurs filles isolées au départ, puis nous
avons rapidement constitué un groupe.
Je devins vite populaire, je disais bonjour à tout le monde et j’avais beaucoup
d’amis. Pourtant, je poursuivis mon cahier de poèmes qui accidentellement fut
découvert par une amie. Elle voulut y jeter un coup d’œil et me demanda de lui en écrire
un. Mon écriture étant appréciée puis dévoilée aux autres, on me passa d’autres
« commandes ». Cela me donna l’idée d’utiliser les talents de certains de mes
camarades pour créer un journal du lycée. Un élève de ma classe était passionné de
cinéma classique, ma meilleure amie dessinait merveilleusement bien des mangas et je
décidais de mener des interviews de lycéens sur leurs passions (la moto, l’astrologie…).
Ce journal plaisait à tout le monde, malheureusement il demandait un peu de travail et
d’implication ce qui déplut à certains membres de l’équipe que j’avais constituée. Le
journal s’arrêta donc rapidement.
Suite à une rupture amoureuse (la première), je pris la décision de perdre du
poids de manière un peu idiote étant donné que je n’avais pas la notion de l’équilibre
alimentaire. Je me suis mise en danger mais une fois de plus, ma mère suffisamment
bonne était là pour moi et fit le nécessaire. Elle m’emmena voir un médecin puis un
nutritionniste. J’ai perdu treize kilogrammes que je n’ai jamais repris !
Valeurs et leçons tirées de mon enfance
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