Alain Meunier
La naissance de la Terre
De sa formation
à l’apparition de la vie
À ma tribu :
Claire, Sébastien, Julien, Magali
Denis, Benoît, Jessica
Concepteur de la maquette de couverture : Raphaël Tardif
Illustration de couverture : © NASA-JPL-CalTech Double the Rubble
© Dunod, Paris, 2013
ISBN : 978-2-10-070682-2
Prologue
D’où venons-nous ? Cette question est un moteur de réflexion
puissant qui, selon la réponse qu’on y apporte, finit par orienter
la société comme l’individu, le collectif comme l’intime. Sous la
simplicité de la formulation, se cachent de redoutables interroga-
tions. L’une d’elles est particulièrement fondamentale : elle vient
du besoin quasi viscéral de comprendre comment s’est formé le
monde qui nous entoure et de savoir quelle place il occupe dans
l’Univers. Il faut alors élargir le champ de l’investigation à ce qui
nous échappe et nous paraît hors de la compréhension humaine.
Mythes et religions ont donné des réponses qui s’imposent soit
par la croyance en une vérité révélée soit par une stricte inter-
prétation de ce que perçoivent nos sens. Dans l’un et l’autre des
cas, la certitude est établie ; elle écarte le doute et procure un
confort intellectuel mais au prix d’un aveuglement. C’est comme
cela que, depuis Aristote, le Soleil tourne autour de la Terre ou
que, depuis la publication de la Bible, notre planète ne peut être
âgée de plus de 6 000 ans. Face à ce scénario définitif et acclamé
par la multitude, certains se dressent, mus par une exigence par-
ticulière : le doute ! C’est là que commence la science. Vérifier,
contrôler, remettre en question ce qui paraît pourtant certain :
c’est prendre un risque et pas seulement intellectuel. Combien de
Giordano Bruno ont-ils été martyrisés ? Le droit de se poser des
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LA NAISSANCE DE LA TERRE
questions a été conquis difficilement et la victoire n’est jamais
définitive.
La formation du Soleil, l’origine de la Lune, la structuration
de la Terre, l’apparition de la vie, tout cela soulève des myriades
de problèmes qui peuvent, s’ils ne sont pas organisés en une
séquence logique, amener à un foisonnement anarchique et
improductif. L’ombre de René Descartes nous guide alors dans
cette jungle : il faut commencer par le début de tout, c’est-à-
dire la fabrication même des atomes qui composent la matière
que nous observons. C’est à ce prix qu’il devient possible de
comprendre comment, ensuite, le Soleil et les planètes se sont
formés et comment en dater l’acte de naissance. Ce faisant, il
devient alors possible de considérer les mécanismes géologiques
qui ont achevé de construire notre Terre pour l’amener à ce
que nous connaissons d’elle actuellement, c’est-à-dire un corps
composé d’une croûte, d’un manteau et d’un noyau. Certaines
étapes de ce long processus sont particulièrement importantes :
il s’agit de retrouver l’origine de ce qui n’est même pas de la
roche mais constitue pourtant notre environnement quotidien :
les océans et l’atmosphère. Question difficile mais qu’il est
indispensable de traiter car elle en introduit une autre encore
plus essentielle : comment la vie est-elle apparue sur cette pla-
nète ? L’enchaînement des interrogations nous conduit dans
un voyage qui se mesure en milliards d’années, du Big Bang à
l’apparition des premiers êtres pluricellulaires complexes. C’est
une grande difficulté car le temps de l’astrophysicien et du géo-
logue est hors de la perception commune. Néanmoins, pour
aussi immensément long que soit un milliard d’années, ce n’est
pas l’éternité. Il y a un début et une fin avec, entre les deux, des
événements qui se succèdent et qui font l’histoire.
Ce petit ouvrage a une grande ambition : mettre à la portée de
qui s’intéresse un peu à la science ou de qui débute en géologie,
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PROLOGUE
les raisonnements des spécialistes en physique nucléaire, astro-
physique, géochimie, pétrographie, tectonique. Plutôt que de pré-
senter un compte rendu exhaustif des découvertes publiées dans
ces différents domaines, il cherche à établir une vision logique de
cette très longue période (trois milliards et demi d’années) qui
correspond à la « jeunesse » de la Terre : l’Hadéen, l’Archéen et
le Protérozoïque. Après cela, elle ressemble plus à ce que nous
connaissons d’elle aujourd’hui. C’est tout aussi passionnant mais
c’est une autre histoire.
Afin d’aider le lecteur à se repérer dans l’ouvrage, voici une
échelle simplifiée des temps géologiques depuis 4,568 milliards
d’années, la date de naissance officielle du système solaire. Une
échelle plus détaillée est donnée dans l’épilogue.
Milliards d’années
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D’où viennent les atomes ?
Nous sommes tellement habitués à marcher sur des roches ou des
sols, à naviguer sur l’eau ou même, simplement à respirer, que
cet environnement familier nous semble être là depuis toujours.
Et pourtant, ce n’est pas le cas. Mais alors, d’où tout cela vient-
il ? En d’autres termes, d’où proviennent les briques essentielles,
c’est-à-dire, les éléments du tableau périodique qui composent les
solides, les liquides et les gaz ? Ce que nous voyons, ce que nous
touchons, bref, tout (nous y compris) est formé d’assemblages
plus ou moins complexes d’atomes, le plus souvent sous la forme
de molécules ou d’ions (atomes auxquels il manque des électrons
ou, au contraire, qui en possèdent plus qu’ils n’ont de protons).
Des cristaux aux composés du vivant, toute matière tire son
origine de combinaisons électroniques qui agissent comme des
liens entre les éléments chimiques. Or, si la chimie nous explique
comment tout cela se forme ou se défait, elle reste muette sur la
question des origines. D’où viennent les atomes ? Pourquoi sont-ils
présents dans les proportions qui font le monde ? Répondre à ces
interrogations oblige à remonter le temps jusqu’à un événement
ou plutôt, selon les astrophysiciens, une singularité, que la théorie
du Big Bang décrit le mieux pour le moment. Le géologue doit
leur laisser la place, son temps viendra plus tard. Nous sommes
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LA NAISSANCE DE LA TERRE
donc au point de départ d’un long voyage dont l’unité de temps
est le milliard d’années. Avant de nous lancer, il convient de
payer tribut aux géants qui nous ont précédés et dont les décou-
vertes nous nourrissent : Galilée , Kepler , Newton , Einstein… et
bien d’autres. Parmi eux, certains sont injustement peu connus
hors du petit monde des spécialistes. C’est le cas par exemple,
du prêtre belge Georges Lemaître, un grand savant, qui, par le
biais de la physique théorique, est arrivé à ce modèle totalement
contre-intuitif du commencement de l’ Univers. Bravant l’ironie
de quelques grands noms de l’astrophysique de l’époque, il a
montré qu’il était possible d’avoir une vie spirituelle tout en étant
un chercheur génial. Venons-en au but de ce chapitre : présenter
les conséquences palpables de la physique nucléaire et de l’astro-
physique dont les développements mathématiques demeurent
inaccessibles à la plupart d’entre nous.
De l’origine de l’hydrogène et de l’hélium
Quelle ne fut la surprise de la communauté scientifique lorsqu’en
1925 l’astronome américain Edwin Hubble démontra que les
galaxies, découvertes depuis peu, n’étaient pas fixes dans l’ espace
mais s’éloignaient de nous d’autant plus rapidement qu’elles étaient
lointaines. Le plus beau dans cette découverte bouleversante est
qu’elle s’exprime par une loi simple : la vitesse de récession (v) est
directement proportionnelle à la distance (d) qui sépare l’observa-
teur de la galaxie visée, distance exprimée en mégaparsecs (1 Mpc
≈ 3·1022 m soit 10 milliards de milliards de kilomètres). Ainsi,
même sans avoir un bagage notable en mathématiques, on peut
comprendre cette très simple (et très belle) équation : v = H × d.
La constante de Hubble H valant environ 72 ± 8 km/s (pratique-
ment 360 000 kilomètres par heure), on parle donc ici de vitesses
considérables. La conséquence de cette découverte fondamentale
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