Formation emploi
Revue française de sciences sociales
123 | Juillet-Septembre 2013
Pêle-mêle
Les salariés de première ligne d’un Fongecif : un
nouveau rapport au travail dans la prise en charge
des usagers
The frontline employees of a Fongecif: a new relationship to work in users
management
Frontline-Mitarbeiter eines Verwaltungsfonds für individuellen Bildungsurlaub
‘Fongecif’: ein neuer Bezug zur Arbeit bei der Betreuung von Nutzern
Los asalariados de primera línea de un Fongecif : una nueva relación con el
trabajo en el trato con los usuarios
Solène Coursaget
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/4026
DOI : 10.4000/formationemploi.4026
ISSN : 2107-0946
Éditeur
La Documentation française
Édition imprimée
Date de publication : 30 septembre 2013
ISSN : 0759-6340
Référence électronique
Solène Coursaget, « Les salariés de première ligne d’un Fongecif : un nouveau rapport au travail dans
la prise en charge des usagers », Formation emploi [En ligne], 123 | Juillet-Septembre 2013, mis en ligne
le 10 octobre 2013, consulté le 30 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/
formationemploi/4026 ; DOI : https://doi.org/10.4000/formationemploi.4026
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Les salariés de première ligne d’un
Fongecif : un nouveau rapport au travail
dans la prise en charge des usagers
Solène Coursaget
Doctorante CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) en sociologie au
Centre Pierre Naville de l’université d’Evry-Val d’Essonne,
sous la direction d’Emmanuel Quenson
Résumé
n Les salariés de première ligne d’un Fongecif : un nouveau rapport au travail dans la
prise en charge des usagers
Dans un contexte de mutations économiques et de montée du chômage, la question de la
formation des adultes et de leur orientation, parmi une offre complexe, se pose. Cet article
interroge les représentations professionnelles des acteurs des services de première ligne ou
front-office (services en relation avec le public) d’un Fongecif (Fonds de gestion du congé
individuel de formation), instance régionale de pilotage et de gestion de la formation, et
le rapport qu’ils entretiennent à leur activité. Ces derniers se trouvent en effet confrontés
à d’importantes transformations, à la fois internes et externes à la structure, qui ques-
tionnent leur rapport au travail.
Mots clés : Formation des adultes, Relation de service, Agent d’accueil
Abstract
n The frontline employees of a Fongecif: a new relationship to work in users
management
In a context of economic changes and rising of unemployment, the issue of adult education
and vocational guidance among a complex system arises. This article examines professional
representations of the front-office agents (service in relation to the public) of a Fongecif, a
regional instance of training’s governance and management, and their relationship to their
activity. Indeed, these agents are facing significant changes, both internal and external to
the structure, which question their relationship to work.
Keywords: adult training, service relationship, receptionist
Journal of Economic Literature: M 54, L 84
Traduction : Auteur
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Le système de formation professionnelle fait actuellement l’objet de nombreux débats
publics en France et en Europe, comme en témoigne la succession de rapports émis sur le
sujet1. Jamais les attentes à son égard n’ont semblé aussi fortes, la formation étant censée
protéger les individus des risques de chômage et favoriser la compétitivité des entreprises
tout en fluidifiant le marché du travail.
Cette actualité, à la fois sociale, économique et législative, met l’accent sur la nécessité
d’un traitement individualisé des parcours, qui doivent désormais être « sécurisés », c’est-à-
dire prémunis de toute rupture, à travers une maîtrise plus fine du processus d’orientation.
Les Fongecif (Fonds de gestion du congé individuel de formation) détiennent une place
prépondérante dans ce paysage, notamment parce qu’ils décident de l’accès à la formation
individuelle sur un territoire spécifique et pour un public donné.
L’objectif de cet article est d’interroger ce maillon constitutif des relations formation-
emploi, à un moment où le champ de la formation et de l’orientation est en pleine muta-
tion, suscitant des incertitudes autour des missions attribuées aux Fongecif. Il s’agira de
saisir le vécu des salariés en contact avec les usagers, afin d’appréhender les effets de ces
transformations sur leur activité quotidienne et leur rapport subjectif au travail. C’est
donc à l’expérience professionnelle subjective et à la question de son sens que nous avons
choisi de nous intéresser.
Après avoir évoqué ces transformations et leurs effets sur l’action délivrée par les Fongecif,
nous centrerons notre propos sur l’organisation du travail en première ligne (front-office),
telle qu’elle est perçue par les salariés. Dans cette perspective, nous montrerons que l’en-
semble des contenus d’emploi sont impactés par un processus d’intensification du travail
et de diversification des profils d’usagers traités traditionnellement par la structure. Ces
éléments nous permettront enfin de mettre en exergue d’une part, l’existence de visions
professionnelles différenciées, résultant à la fois de parcours antérieurs qui ont contribué
à façonner deux profils distincts d’acteurs et, d’autre part, une absence de langage collec-
tivement partagé.
1 Rapport de la Cour des comptes (2008), La formation professionnelle tout au long de la vie. Rapports de
l’OCDE (2010), Formation et emploi, relever le défi de la réussite ; Apprendre pour le monde du travail. Rapport
du CESE (2011), 40 ans de formation professionnelle : bilan et perspectives. Rapport de l’Institut Montaigne
(2011), Formation professionnelle : pour en finir avec les réformes inabouties, etc.
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Encadré 1
Méthodologie
Le matériau de cette recherche est constitué de dix-sept entretiens réalisés avec les profession-
nels des services en relation avec le public, appelés « front-office », par opposition à ceux du
« back-office », en charge d’aspects administratifs et financiers. Avec 150 salariés, le Fongecif
étudié compte parmi les structures les plus importantes de ce type ; il constitue un exemple
emblématique des transformations qui traversent actuellement ce champ.
Notre objectif a consisté à prendre en compte les points de vue et les manières de percevoir
la réalité de ces personnels en les articulant aux dimensions organisationnelles et bureaucra-
tiques. Des professionnels de chacune des catégories de salariés impliqués au sein de l’espace
dédié à l’accueil et au renseignement ont été rencontrés dans le cadre d’entretiens semi-direc-
tifs dont la durée n’a pas excédé une heure et demie. Ce guide d’entretien a pu être élaboré à
partir de plusieurs réunions de travail, effectuées en amont avec des membres de chacun des
services investigués. Réalisés sur le lieu de travail des enquêtés, durant la période estivale, et en
accord avec la hiérarchie, ces entretiens se sont principalement attachés à questionner les repré-
sentations portées par ces acteurs à l’égard de leur activité professionnelle, de son évolution
(organisation du travail, contenus de poste, rôle vécu et perçu au sein de la structure), et de leur
pratiques vis-à-vis des publics dont ils assurent la prise en charge.
En revanche, à ce stade de la recherche, les organisations syndicales n’ont pas fait l’objet d’une
interrogation spécifique. Les investigations nous ont conduit à sélectionner un échantillon repré-
sentatif des salariés des services enquêtés en termes d’âge, de sexe, d’ancienneté, de diplômes
et de type de contrat de travail. Six conseillers en parcours professionnel, cinq chargés d’orien-
tation et d’animation, deux documentalistes ainsi que quatre chargés d’information télépho-
nique ont donc été choisis. Pour procéder à l’analyse de contenu des matériaux récoltés, nous
avons élaboré une liste de critères de pertinence afin de construire des classes d’équivalence
thématiques entre les entretiens ; parmi ces classes, nous pouvons citer les pratiques concrètes
déployées à l’égard des usagers, les valeurs professionnelles portées ou encore les représen-
tations du public reçu. À la manière des méthodes proposées par R. Ghiglione et B. Matalon
(1991), ce système de codage a constitué un guide de premier ordre dans l’organisation des
données, leur interprétation et la systématisation de leur traitement.
1I D’une logique administrative et financière
à une prise en charge du processus d’orientation
L’étude du rapport au travail des salariés nous paraît indissociable d’une analyse contex-
tuelle de la structure à laquelle nous nous intéressons. Cet environnement de travail sera
ensuite articulé et mis en relation avec l’activité vécue et décrite par les acteurs.
1.1 Les Fongecif : des structures inscrites dans un environnement
fluctuant
Les Fongecif sont des organismes paritaires agréés par l’État, apparus en 1983, et chargés
de la collecte et de la gestion des contributions des employeurs pour le financement du
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Congé Individuel de Formation, du Bilan de Compétences2, de la Validation des acquis
de l’expérience3 et de la Formation hors temps de travail depuis 2009. Caractérisées par
une implantation territoriale forte4, ces structures ont des compétences interprofession-
nelles, leur champ d’intervention concernant la majorité des salariés du secteur privé5.
Enfin, contrairement aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) qui gèrent les
fonds destinés à la formation des salariés dans le cadre de démarches liées à l’entreprise5,
les Fongecif prennent uniquement en charge les actions de formation à l’initiative des
salariés ; ces derniers pouvant, en conséquence, opter pour une formation de leur choix
sans lien direct avec leur poste de travail.
Avant tout chargés de l’instruction et du financement de formations, les Fongecif rem-
plissent, depuis 1997, une mission d’information des financements (Ghaffari, Podevin,
2008), chaque salarié pouvant théoriquement recevoir des conseils individualisés sur l’éla-
boration de son projet professionnel, les dispositifs existants, les métiers ou encore les
formations. Les Fongecif s’engagent alors vers une recherche croissante de proximité, aussi
bien physique, géographique qu’organisationnelle ; ils façonnent peu à peu les outils d’une
personnalisation de la « relation de service », censée s’ajuster à la pluralité des situations
(Dubois, 1999)6. Plus largement, ces évolutions s’inscrivent dans un mouvement d’indi-
vidualisation de la formation et de responsabilisation de l’individu à l’égard de son par-
cours professionnel ; la mise en place du droit individuel à la formation, en 2004, en est
une illustration. Symbole d’une recherche de compromis dans l’articulation entre dimen-
sion individuelle et collective, ce dispositif se présente en effet comme la pierre angulaire
d’un système au sein duquel les salariés, en disposant de nouvelles marges de manœuvre,
seraient les principaux acteurs (Merle, Lichtenberger, 2001).
Se trouve donc posée, en filigrane, la question de la gestion des parcours professionnels
des individus et des informations dont ces derniers disposent afin de s’orienter, rendant
d’autant plus nécessaire un accompagnement en la matière. Il est vrai que ces transfor-
mations placent désormais les usagers au cœur des dispositifs, comme cela peut être le cas
dans d’autres institutions sociales (Weller, 1999).
2 Loi du 31 décembre 1991.
3 Loi dite de modernisation sociale du 17 janvier 2002.
4 Il existe un Fongecif par région qui anime un réseau départemental « de proximité » composé d’antennes
fixes, de permanences ponctuelles et de points d’accueil et d’information. Ce réseau a été initié dans le cadre
d’un partenariat établi avec les structures locales en charge d’une politique et d’une animation du territoire.
Il permet au public de bénéficier d’une aide au montage de dossier de financement.
5 Il peut s’agir du plan de formation, du contrat ou de la période de professionnalisation, ou encore du droit
individuel à la formation (DIF).
6 Le processus d’instruction d’un dossier est composé d’interventions successives. Un gestionnaire étudie
la recevabilité du dossier et en chiffre le coût ; un conseiller intervient ensuite pour étudier le dossier afin
de le présenter en commission paritaire, cette dernière décidant de la prise en charge ou non du projet. En
amont, le salarié dispose de plusieurs prestations possibles : réunions d’information, ateliers ciblés ou encore
entretiens individuels.
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Les Fongecif ont progressivement été confrontés à la nécessité d’adapter leur offre de ser-
vices. Récemment, deux nouvelles évolutions ont traversé le champ d’intervention de ces
structures.
La première est relative à l’émergence d’un « droit à l’information et à l’orientation »
promu par la loi de novembre 2009. Cette intervention du législateur tente d’encadrer un
processus recouvrant des réalités transversales aux champs de l’éducation, de la formation
et de l’emploi, dont la mise en place effective s’avère complexe. Elle renforce par ailleurs
la responsabilisation des individus, en leur conférant un droit dont ils sont censés se saisir.
La seconde est liée à la nécessité, pour les Fongecif, d’affirmer leur place et leur rôle dans un
champ éclaté et souffrant d’une faible régulation d’ensemble – phénomène qu’E. Verdier
désigne par le terme de « balkanisation » (2010)7. En effet, les processus conjoints de
territorialisation et de décentralisation ont fait évoluer les modes de gestion de l’action
publique, à travers la volonté de mieux prendre en compte la diversité des situations d’un
territoire, nouvel outil de lecture des inégalités sociales. Un foisonnement de contrats
locaux a alors vu le jour dans des champs aussi variés que l’éducation, l’action sociale ou la
santé, dont le but est de rassembler sur un territoire tous les acteurs susceptibles de relayer
l’action publique. De fait, ils ont permis la multiplication d’acteurs dans la mise en œuvre
de programmes d’orientation, d’accompagnement des jeunes et des salariés et de place-
ment des chômeurs (Georges, 2007).
Renforcés par la demande croissante d’accompagnement et la diversité des sources d’infor-
mation, ces processus ont participé à la création d’un marché de l’orientation, sur lequel
des opérateurs privés se sont également positionnés pour effectuer des tâches auparavant
gérées par des structures publiques.
La reprise en main par l’État de ce champ se manifeste actuellement par la volonté d’ins-
taurer un guichet unique dans le cadre du Service public de l’orientation (SPO), accom-
pagné d’un processus de labellisation des structures partenaires. L’objectif est de rendre
visible l’information sur la formation et les métiers, avec la volonté de faciliter le service
à l’usager.
Ces évolutions mettent au jour une idéologie du travail sur soi qui impacte l’ensemble des
espaces sociaux : il s’agit d’encourager l’individu à être l’acteur du pilotage de son évolution
professionnelle, en mettant à sa disposition des outils susceptibles de favoriser son auto-
nomie et sa capacité à décider de son avenir. On retrouve ici la montée en puissance d’un
système de croyances valorisant la construction de soi et la réussite individuelle qui touche
7 Pas moins d’une vingtaine de réseaux publics (Pôle Emploi, AFPA – Association nationale pour la forma-
tion professionnelle des adultes –, Missions locales, Cités des métiers, Chambres de commerces et d’indus-
trie, etc.) ou privés (Orient’ action, Apprendre à réussir, etc.) interviennent selon des logiques de spéciali-
sation de l’offre et des publics. Cette offre pléthorique conduit à l’existence d’une multitude de services, de
procédures, de langages, et d’approches variées.
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,le champ de la formation (Quenson, 2007) mais aussi, plus globalement, l’ensemble
du champ de l’action sociale (Castel, 1995 ; Ion, 2005 ; Osty, 2003). L’introduction de
nouveaux modes d’organisation, et l’hétérogénéité8 croissante des publics pris en charge
impliquent de fait, pour les professionnels de terrain, une redéfinition progressive de leur
mode d’intervention allant dans le sens d’une réduction de leurs marges de manœuvre par
une rationalisation de leur activité (Cousin, 1996).
1.2 Vers une reconfiguration de l’activité des salariés du « front-office » ?
De nombreux chercheurs, à l’instar de S. Ebersold (2001), considèrent les dispositifs
d’orientation et d’accompagnement, tels qu’ils sont conçus, comme les vecteurs d’une
même logique entrepreneuriale consistant à encadrer les transitions professionnelles des
actifs afin de maintenir leur employabilité. La politique du Fongecif étudié s’inscrit, selon
nous, dans cette croyance qui érige l’orientation comme un moyen de « gérer les transi-
tions » et de « sécuriser » les parcours. Aussi, la prise en charge de l’orientation permettrait
au Fongecif d’encadrer ce processus et de contrôler l’interface entre la demande de l’usager
et le dépôt du dossier (Divay, Pérez, 2010). L’intégration de cette phase deviendrait donc
un moyen efficace pour favoriser la conformité des demandes aux exigences internes du
Fongecif, par un meilleur ciblage des projets. Il est aussi attendu de cette rationalisa-
tion une plus grande fluidification du processus d’instruction des dossiers, en réduisant
l’incertitude et l’instabilité de certains projets9. En intervenant en amont de la formation
proprement dite, les Fongecif tentent de faire évoluer leur positionnement sur le marché
de l’orientation des adultes en cours de structuration. En effet, ils conservent leur rôle
traditionnel en matière d’administration et de financement des actions, auquel s’ajoutent
désormais des activités plus nouvelles d’orientation professionnelle. Cette hétérogénéité
des missions impacte directement le travail des personnels du front-office.
Dès lors, dans quelle mesure ces derniers vont-ils investir cette mission d’orientation, alors
qu’une part de leur activité reste dédiée à la gestion des dossiers ? Incités à répondre aux
mutations de leurs publics et aux demandes de plus en plus fortes du corps social, com-
ment vont-ils mettre en œuvre les missions différentes qui leur sont confiées ? Plus généra-
lement, de quelle manière ce changement vient-il reconfigurer leur activité et questionner
leur professionnalité ? Nous verrons que l’intégration de la mission d’orientation dans les
activités se heurte à la nécessité, pour le Fongecif, de s’adapter à un contexte marqué par
une intensification et une diversification des flux d’usagers. Ces éléments renforcent les
8 Le constat d’un public aux caractéristiques socio-économiques (en termes d’âge, de niveau de diplôme, ou
encore de catégorie socioprofessionnelle) plus fragilisées qu’auparavant est formulé de manière récurrente par
les enquêtés, et vérifié lorsque l’on compare les rapports d’activité pour les années 2009 et 2012.
9 Dans cette perspective, certains Fongecif proposent des actions visant à préparer l’entrée des usagers dans
les dispositifs de formation et à limiter les abandons en cours de parcours. C’est le cas, par exemple, du
Fongecif PACA (Provence Alpes Côte d’Azur), qui finance des prestations de « pré-VAE », pour développer
l’accès au dispositif (Dépêche AEF, n° 158172, vendredi 18 novembre 2011).
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crispations du personnel parce qu’ils tendent à substituer, dans l’activité quotidienne, des
impératifs quantitatifs aux prestations qualitatives d’accompagnement revendiquées par
les salariés.
2 I Des contraintes professionnelles exacerbées
par une pluralité de facteurs externes
Cette partie est consacrée à l’analyse du travail des salariés tel qu’il est vécu et décrit au
quotidien au front-office. Les résultats révèlent d’abord l’existence d’une division accrue du
travail censée permettre à chacun de saisir sa position et la portée de son intervention dans
le processus d’instruction d’un dossier de financement. Mais ils mettent en lumière la réa-
lité complexe, pluri-contextuelle, dans laquelle s’inscrit le Fongecif étudié et qui déstabilise
la perception professionnelle de ces salariés et impacte leur mode d’action.
2.1 Entre organisation bureaucratique et spécialisation fonctionnelle
Les services de front-office constituent un maillon essentiel des prestations prodiguées par
le Fongecif. C’est là que s’accomplit la rencontre entre l’usager et l’organisation, censée
prendre en charge ses demandes et besoins. Symboles du processus de rapprochement
physique de l’usager avec les institutions qui s’est opéré depuis une dizaine d’années, ils
sont également des lieux d’arbitrage et de sélection effectués par les salariés dans la situa-
tion d’interaction10. Pour l’ensemble des catégories de salariés évoquées, la relation directe
au public, par son imprévisibilité et la charge émotionnelle qu’elle suppose, constitue la
composante fondamentale de l’activité quotidienne, bien que chaque catégorie soit diffé-
remment exposée.
Parmi les quatre catégories d’acteurs concernés par l’accueil (physique ou téléphonique)
des usagers, les chargés d’orientation et d’animation (COA) sont les premiers à intervenir.
Leur activité se compose de deux missions principales : l’accueil du public et l’animation
de réunions collectives et d’ateliers11. Positionnés au cœur de l’espace, les COA fournissent
10 De nombreux chercheurs ont porté leur attention sur cette situation d’interaction productrice de normes
et de comportements, à travers l’étude de la « relation administrative » à l’usager dans les services publics
(Warin, 1997 ; Chevallier, 1983). D’autres ont donné une interprétation sociologique de ces métiers de la
relation, en montrant leur complexité et leur spécificité, et les mutations organisationnelles et profession-
nelles qu’ils subissent (Demailly, 2008 ; Jeannot, 2010). Ils ont notamment révélé le développement quan-
titatif de ces professionnels, symbole d’une place de plus en plus importante de la relation psychologique au
sein des rapports sociaux.
11 Les réunions d’information collective permettent de fournir à un groupe de personnes une information
générale sur le rôle du Fongecif, les dispositifs existants et leurs conditions d’éligibilité et de financement. Les
ateliers sont, quant à eux, ciblés sur une problématique en particulier et approfondissent souvent les aspects
méthodologiques liés au projet. Ces prestations, proposées en libre accès, visent à favoriser une dynamique
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