La formation professionnelle en Tunisie :
Forces et faiblesses1
Cette version : janvier 2009
Jamal BOUOIYOUR
CATT, Université de Pau. France
jamal.bouoiyour@univ-pau.fr
This paper offers an analysis of institutional aspects of professional training in Tunisia. We describe briefly the
genesis of this system and pointed out that Tunisia in spite of remarkable progress, suffers from some problems
related to the low and partial integration of the professional training system in the general system of training. In a
more precise way, the implement of professional training turns out incapable to anticipate future professions.
Furthermore, when certain professions are not any more asked on the labour market, the implement continues to
form candidates without taking into account the change of demand in labour market. Also, the output of the
professional training system continues to convey a negative image with the public as well as companies. Finally,
linkages between professional training and the other elements of the system of training are little numerous, or even
inexistent. All these dysfunctionalities, and many others, exist well and truly in both countries.
Abstract
Résumé
Cet article traite des aspects institutionnels de la formation professionnelle en Tunisie. On décrit brièvement la genèse de
ce système. On remarque que la Tunisie, malgré des progrès remarquables, souffre de certains maux liés à l’intégration
très partielle du sous- système de la formation professionnelle dans son système général de formation. De manière plus
précise, le dispositif de la formation professionnelle s’avère incapable d’anticiper les métiers d’avenir. Pis encore, quand
certains métiers ne sont plus demandés sur le marché du travail, le dispositif continue à former des candidats en faisant-fi
des mutations de la demande en main d’œuvre. De même, l’output de la formation professionnelle continue à véhiculer,
comme au Maroc, une image négative auprès du grand public, mais aussi auprès des entreprises. Enfin, les passerelles
entre la formation continue et les autres composantes du système de formation sont peu nombreuses, voir inexistantes
1 Cet article est extrait d’une étude effectuée au profit de la Commission européenne dans la cadre du
programme de recherche du Forum Euro-Méditerranéen des Instituts Economiques (FEMISE, FEM 31-023), intitulée
« Evaluation de la qualité du système de la formation professionnelle et son impact sur la développement:
Comparaison Maroc- Tunisie ».
1
1. Introduction
Les développements récents de la théorie économique soulignent le rôle potentiel que
jouent les connaissances, le capital humain et la R&D dans la croissance économique; ce qui
donne la possibilité à l’apparition des rendements d’échelle croissants et des externalités positives.
En effet, ces nouvelles théories insistent sur le fait que l’augmentation continue sur une longue
période de la production par tête nécessite un progrès soutenu des connaissances techniques,
lesquelles peuvent être incorporées dans des biens, des services ou des procédés nouveaux. D’où
le rôle primordial joué par le capital humain.
Par ailleurs, la mondialisation joue un rôle, de plus en plus important, dans l’accélération des
réformes du marché du travail et de la formation. En effet, l’abolition des frontières, le
décloisonnement des marchés et
l’ouverture des économies commencent à avoir des
conséquences importantes sur l’organisation du travail de la main-d’œuvre. Les différentes fusions
et acquisitions auxquelles nous assistons auront très tôt des conséquences sur l’organisation des
entreprises entraînant un accroissement des besoins en matière de R&D. On assiste aujourd’hui à
de nouvelles configurations organisationnelles dans lesquelles l’interactivité occupe une place de
choix. Dans ce nouveau modèle interactif, l’innovation et l’apprentissage permanent vont de pair
avec une articulation plus étroite avec des marchés marqués par la différenciation, la nouveauté, la
qualité et le service. Ces nouveaux principes de compétitivité impliquent l’existence d’un vivier
important de main d’œuvre qualifiée.
Parce que la technologie est plus globale que par le passé, l’aptitude à l’utiliser avec efficacité
et profit dépend de la qualité des relations entre recherche et entreprises, de la nature des
programmes publics, des formes d’organisation des droits de propriété intellectuelle et bien sûr
de la formation et de la polyvalence de la main d’œuvre, à condition que cette dernière soit
disponible en quantité suffisante.
Et c’est là où un pays comme la Tunisie peut profiter de ces nouvelles configurations pour
« tirer son épingle » du jeu de la mondialisation. Ce pays s’est, en effet, engagé dans un processus
d’insertion dans l’économie mondiale (accords d’association avec l’Union européenne, accord
d’Agadir, pourparlers avec l’OMC,…). Cette ouverture est importante et peut générer une
2
croissance forte et durable. La politique de réformes mise en place par les autorités tunisiennes
depuis le début des années quatre vingt a contribué à maintenir une croissance stable et durable.
Cependant, pour importantes qu’elles soient, ces réformes n’ont pas pu modifier la structure des
échanges. Le commerce extérieur tunisien n’a pas encore connu de saut qualitatif et la
spécialisation dans des produits à faible valeur ajoutée ne permet pas d’envisager de changement
radical, du moins dans le court et moyen termes. De même la présence étrangère, à travers les
investissements directs étranges (IDE), n’a pas produit les effets escomptés2. Les effets de
débordement des IDE n’ont pas eu lieu, malgré le développement récent de nouvelles activités
liées aux secteurs d’internet, télécommunication, offshoring…
Dès lors, le rôle de l’Etat devient crucial pour accélérer les réformes tant au niveau de la
formation qu’au niveau de la gouvernance.
Pour bien saisir le chemin à parcourir, nous fournissons quelques chiffres sur le niveau
d’instruction de la population active tunisienne. En 2001, la main d’œuvre sans qualification
représentait 60% du total de la population active, le niveau intermédiaire 30% et le supérieur
10%. Pour la même année, et à titre de comparaison, la main d’œuvre sans qualification
représentait en Europe 20% du total, les qualifications intermédiaires 60% et les supérieures 20%.
Ceci montre que la restructuration de l’économie tunisienne passe impérativement par
l’amélioration du niveau d’instruction de la population active, et en particulier le niveau
intermédiaire. De même, la formation professionnelle, avec toutes ses composantes, est à même
d’améliorer l’employabilité et la mise à niveau des entreprises tunisiennes.
L’objectif affiché par le gouvernement est d’arriver 50% pour les qualifications intermédiaires
à l’horizon 2011.
Dans ce cadre, les besoins en FP ont été estimés pour le 11ème plan (2007-2011) à 337000
lauréats ; ce qui donne une estimation annuelle moyenne de 67000 lauréats.
C’est dans ce sens que le gouvernement tunisien a mis en place un plan de réorganisation de la
formation professionnelle et de l’emploi afin de mieux de répondre aux impératifs quantitatifs et
qualitatifs du marché du travail.
Les études et rapports concernant les aspects institutionnels de la formation professionnelle
sont assez nombreux (Agence française de Développement, OCDE, UNESCO, gouvernement
tunisien…). Il n’est pas question pour nous dans le cadre de ce travail de revenir en détail sur ces
aspects. En revanche, nous essaierons de mettre en exergue les points faibles et les points forts de
la formation professionnelle et les développements récents qu’a connus ce secteur.
2 Voir Bouoiyour, Hanchane et El Mouhoud (2009).
3
2. La formation professionnelle en Tunisie
La formation professionnelle en Tunisie est assurée par des acteurs privés et publics. Les
organismes publics sont les différents ministères techniques qui prodiguent des formations dans
les domaines dont ils ont la charge. Le plus important est le Ministère de la Formation
Professionnelle et de l ‘Emploi, crée en 1990 et dont relève l’Agence Tunisienne de la Formation
Professionnelle (ATFP). Mais il existe d’autres opérateurs tels que les Ministères de l’Agriculture,
du Tourisme et de l’Artisanat, de la Santé Publique. L’ATFP assure une tutelle pédagogique sur
l’ensemble des intervenants publics dans le domaine de la FP et délivre les autorisations aux
organismes privés prestataires de formation. C’est en 1993 que les dispositions de la loi
d’orientation de la formation professionnelle ont été promulguées. Cette loi comblait un vide
juridique et visait la concentration et la coordination de la formation professionnelle. Elle visait
aussi l’organisation du secteur privé de la formation professionnelle, de la formation initiale, et de
la formation continue ainsi que l’homologation des diplômes et certificats de formation
A partir 2002, la tutelle de la formation professionnelle a été assurée par le ministère de
l’Education et de la Formation, endossé d’un secrétariat d’Etat chargé de la formation
professionnelle.
professionnelle.
2.1. La formation initiale
La loi de 1993 a défini la formation initiale comme ayant ” pour but de dispenser une
formation générale de base, et de conférer des capacités et connaissances professionnelles, en vue
de l’exercice d’un métier ou d’une profession qualifiée. Elle prépare à l’entrée dans la vie
professionnelle à tous les niveaux de qualification, et facilite l’accès à des formations ultérieures.”
Après une formation initiale, les diplômes délivrés sont de trois niveaux :
– Le Certificat d’Aptitude Professionnelle qui sanctionne un cycle de formation d’une durée
minimale d’une année après l’enseignement de base.
– Le Brevet de Technicien Professionnel qui sanctionne un cycle de formation d’une durée
minimale d’une année après la fin du premier cycle de l’enseignement secondaire ou après
l’obtention du Certificat d’Aptitude professionnelle dans une spécialité de même nature.
4
– Le Brevet de Technicien Supérieur qui sanctionne un cycle de formation d’une durée minimale
de deux années après le Baccalauréat ou après l’obtention du Brevet de Technicien Professionnel
dans une spécialité de même nature.
Il existe, par ailleurs, d’autres formations qui ne sont pas sanctionnées par un diplôme qu’on
appelle communément formation non diplômante. Elles sont prodiguées par des centres qui
relèvent de l’Union Nationale des Femmes Tunisienne et des centres de la Jeune Fille Rurale. Ces
centres aident les jeunes filles à s’insérer dans la vie active à travers des formations dans le
domaine de la santé (par exemple nutrition, petite enfance…), mais aussi des formations dans des
spécialités agricoles et artisanales.
2 .2. La formation continue
La formation continue a été définie comme ayant “pour objet de consolider les
connaissances générales et professionnelles acquises, de les développer et de les adapter à
l’évolution de la technologie et des conditions de travail ; elle vise également à conférer d’autres
compétences et qualifications professionnelles en vue de l’exercice d’une nouvelle activité
professionnelle, et à assurer la promotion sociale et professionnelle des travailleurs”.
Pour encourager et développer la formation continue au sein de l’entreprise, les autorités
tunisiennes ont utilisé plusieurs instruments tels que la taxe sur la formation professionnelle
(TFP). Cette dernière est calculée sur la base de la masse salariale (1% pour les entreprises
manufacturières, 2% pour les autres). Le second instrument mis en place par l’Etat tunisien est le
Programme National de Formation Continue (PRONAFOC). Ce dernier finance les actions de
formations engagées par les entreprises de petites et moyennes tailles (employant moins d’une
centaine de personne). Ce programme a connu une refonte totale en 2001 (décret du 27 mai
2001). Cette dernière visait à ce que le système de financement de la formation continue soit
assuré par la demande et non plus par l’offre.
2.3. MANFORME
Les autorités tunisiennes ont crée, avec l’aide et l’appui technique et financier de la
Banque Mondiale, de l’Union européenne et l’Agence Française de Développement (AFD), un
programme de mise à niveau de la formation professionnelle et de l’emploi en créant de
5
nouveaux centres de formation ou en réhabilitant les centres déjà existants. Ce programme
fournit plusieurs indicateurs quantitatifs et qualitatifs permettant le suivi des actions de
développement de la formation professionnelle sur une période de 7 ans (1996-2002). Le
dispositif vise à mieux maîtriser les coûts de la formation professionnelle, à mieux cibler le public
concerné et à appuyer le management des structures de la formation professionnelle. Il s’agit
aussi d’adapter une démarche qualité dans chaque processus d’offre de demande de formation
professionnelle (UNESCO, 2000). Trois lignes de crédit ont été mobilisées ; la dernière finissant
3. Evolution des effectifs de la formation professionnelle
3.1. La formation initiale
« La formation professionnelle initiale a pour but de dispenser une formation générale de
base, et de conférer des capacités et connaissances professionnelles, en vue de l’exercice d’un
métier ou d’une profession qualifiée » (loi de février 1993). Cette formation initiale est
sanctionnée par l’un des trois diplômes :
i) Certificat d’Aptitude Professionnelle,
ii) Brevet de Technicien Professionnel,
iii) Brevet de Technicien Supérieur.
formation à caractère social.
La loi de 1993 distingue la formation normalisée (sanctionnée par un diplôme) et la
3.1.1. La formation normalisée
La formation normalisée est celle qui est en conformité avec les normes définies par la loi
d’orientation de la formation professionnelle, promulguée en 1993, notamment concernant les
conditions d’accès aux différentes filières sanctionnées par les diplômes du Certificat d’Aptitude
Professionnelle, du Brevet de Technicien Professionnel et du Brevet de Technicien Supérieur.
La capacité d’accueil de la formation normalisée au sein des centres de FP a été multipliée par
trois en 1997 et 2005.
en 2008.
6
Tableau 1 : Evolution des effectifs de la formation normalisée
Secteur public
Agence Tunisienne de la
Formation Professionnelle
(A.T.F.P)
Agence de Vulgarisation et
de Formation Agricole
(A.V.F.A)
Office National du
Tourisme
(O.N.T)
Ministère de la Santé
Publique
(M.S.P)
Ministère de la Défense
Nationale
(M.D.N)
Secteur privé
Total
1997
18303
12834
1229
1827
2285
128
170
18473
2001
33427
27363
1143
2076
2516
329
1398
34825
2005
52160
45080
1335
2258
2971
516
3837
55997
Source : Ministère de l’Education et de la Formation, Tunisie.
On remarque, d’après le tableau 1, que l’effectif a été multiplié par 3 entre 1997 et 2005, mais la
part du secteur privé demeure faible. Le nombre de stagiaires du secteur privé est de 3837, ce qui
représente 30% des capacités de ce secteur, estimées à 12000 stagiaires. On reviendra plus loin
sur les faiblesses inhérentes à ce secteur.
Par ailleurs, l’ATFP compte actuellement 134 centres répartis de la manière suivante:
• 47 centres sectoriels
• 60 centres de formation et d’apprentissage
• 14 centres de la jeune fille rurale
• 13 centres de formation et d’apprentissage aux métiers de l’artisanat.
7
Tableau 2 : Evolution du nombre de diplômés de la formation normalisée
1997
8043
5832
676
808
603
124
Secteur public
Agence Tunisienne de la
Formation Professionnelle
(A.T.F.P)
Agence de Vulgarisation et
de Formation Agricole
(A.V.F.A)
Office National du
Tourisme
(O.N.T)
Ministère de la Santé
Publique
(M.S.P)
Ministère de la Défense
Nationale
(M.D.N)
Secteur privé
Total
2001
13033
10653
588
867
644
281
2005
15333
12603
585
682
1167
296
1200
16533
N’existe pas
8043
250
13283
Source : Ministère de l’Education et de la Formation, 2006 Tunisie.
3.1.2. Formation à caractère sociale
La formation dispensée dans les centres de la jeune fille rurale et dans ceux qui relèvent
de l’association de l’Union Nationale de la Femme Tunisienne n’est pas considérée comme
normalisée au sens de la loi d’orientation de la formation professionnelle. Cette formation
s’adresse à une population vulnérable, avec des modules dans le domaine de l’éducation, la
planification familiale, la santé… Cette formation a été enrichie par d’autres modules permettant
aux jeunes filles de développer des activités génératrices de revenus (arboriculture, aviculture,
artisanat…).
formés en 1997 à 56000 en 2005.
L’effectif de la formation à caractère social a diminué de façon sensible passant de 63000
8