La formation à distance : enjeux et perspectives
Allocution lors du Séminaire sur la formation à distance organisé par le Centre collégial
de formation à distance, le 5 avril 2001
par Paul Inchauspé
Enjeux et perspectives de la formation à distance, tel est le thème que les organisateurs
de ce séminaire m’ont proposé de traiter devant vous. Répondre à cette question, il y a
cinq ans ou même il y a trois ans, aurait été pour moi assez facile. J’aurais dit : en tant
que centre de formation à distance, vous avez déjà l’expérience des contraintes et des
conditions d’une formation à distance de qualité. Cette formation emprunte pour le
moment une forme d’enseignement individuel à distance, pouvant être disponible en
tout temps (asynchrone) et utilisant le papier et le crayon.
Les nouvelles technologies de l’information vous rendront encore plus efficaces dans ce
que vous faîtes déjà. De plus, ces technologies et les possibilités qu’elles permettent
susciteront sans doute une augmentation de demandes pour ce type de formation et
créeront un marché nouveau de la formation.Votre avenir passe donc par l’utilisation
plus intensive de ces nouvelles technologies pour la formation à distance. Ce faisant, et
n’ayant pas les pesanteurs institutionnelles des établissements traditionnels
d’enseignement, vous pouvez, dans le réseau collégial, être un des pôles importants du
développement de l’utilisation des technologies de l’information dans l’enseignement
Aujourd’hui, il me sera plus difficile de dire simplement cela.
Sans doute, au bout de l’examen que je m’apprête à faire devant vous, je conclurai la
même chose. Mais pour y arriver, il me faut aujourd’hui faire un détour, donner plus
d’ampleur à l’analyse pour, ainsi, éclairer mieux le paysage, dissiper des malentendus et
les confusions, distinguer les questions. Pourquoi ? parce que la manière même dont,
dans les réseaux d’éducation et dans le débat public, se pose désormais la question de
la formation à distance a complètement changé. Ce changement a atteint l’Europe et le
Canada depuis un an, les États‐Unis depuis 3 ans.
En effet, pour peu qu’on s’intéresse à ce sujet, on peut faire deux constats.
Tout d’abord, la question de la formation à distance suscite désormais l’intérêt,
l’engouement et même des revendications passionnées. L’enseignement organisé à
distance existe dans les systèmes scolaires depuis un peu plus de 100 ans. Personne ou
presque, sauf quelques visionnaires entêtés ‐ et je voudrais rendre ici hommage à
Gaston Boulanger1, sans la détermination de qui l’enseignement collégial n’aurait pas de
Centre de formation à distance2 ‐ ne se préoccupait jusqu’à présent du développement
de cette forme d’enseignement. Or voilà que l’enseignement à distance prend soudain
de l’importance quand il devient l’enseignement en ligne. Désormais, on s’intéresse de
toutes parts à cette question à cause de la modernité que suppose l’utilisation des
nouvelles technologies mais aussi parce qu’on entrevoit que les possibilités nouvelles et
à venir des technologies de communication touchent et toucheront toutes les activités
humaines. Elles transforment déjà les formes traditionnelles de production des biens et
services et aussi celles de leur commerce, celles de l’éducation seront donc elles aussi
touchées. Et donc les classes virtuelles remplaceraient les classes traditionnelles et
seules survivraient les institutions qui se seraient transformées pour entrer dans le
marché de l’e‐éducation.
Bref dans ce nouveau contexte, ce qu’on nous annonce, ou ce qu’on nous propose, c’est
l’ouverture de tous les établissements d’enseignement supérieur à l’enseignement à
distance par l’enseignement en ligne, et, à terme, leur transformation complète. De
même que certaines entreprises œuvrant dans l’ancienne économie ont migré vers la
nouvelle économie pour grandir et prospérer sur le terrain de la compétition
internationale et pour ne pas laisser ce nouveau terrain aux seules start‐up, de même
on nous dit qu’il faut faire migrer les établissements d’enseignement supérieurs actuels
vers la e‐éducation. Seuls ceux qui réaliseraient une telle mutation se développeraient,
tous les autres seraient condamnés à régresser, sinon à disparaître.
Ce discours à caractère utopique et à saveur millénariste était déjà tenu par les gourous
qui annoncent depuis quelques années le changement de paradigme produit par le
développement de la société du savoir ou celle de la société en réseaux. Mais depuis
quelques mois, ‐ et c’est la deuxième observation que j’ai annoncée ‐ ce discours est
repris, martelé par les instances économiques et les instances politiques. Du même
coup, ce discours prend soudain de l’importance. Il bénéficie de la crédibilité et de
l’influence qu’ont sur l’opinion publique de telles instances, et il peut, de plus, profiter
alors de l’amplification médiatique. Le discours public qui se développe actuellement sur
l’utilisation de technologies de l’information en éducation et plus particulièrement à
l’enseignement supérieur exerce une forte pression sur le contenu même du débat. Le
développement de l’apprentissage en ligne tend même à devenir pour des instances
politiques un enjeu national. Dans ce contexte, tous les établissements d’enseignement
supérieur sont conviés à se transformer, à développer l’enseignement en ligne, si elles
veulent ne pas manquer les marchés nouveaux qui se développent, car la concurrence,
dit‐on, sera féroce et les retards pris ne sauraient être rattrapés. Bref, ce qui se passe
déjà, dans le domaine de la production des biens et des services, c’est‐à‐dire la lutte
entre l’ancienne et la nouvelle économie, se passerait aussi, et à court terme, dans le
domaine de l’éducation, du moins dans celui de l’enseignement supérieur.
Vous pensez que j’exagère, alors écoutez ceci. Un comité consultatif3 créé par Industrie‐
Canada vient de produire un rapport intitulé L’Évolution de l’apprentissage en ligne : Un
défi pan canadien4. Le 8 février dernier, ce rapport était remis à M.Brian Tobin ministre
de l’Industrie. Le communiqué qui annonce le fait est intitulé Un comité consultatif
réclame une action rapide au chapitre de l’éducation postsecondaire en ligne. Je cite,
selon ce communiqué, des paroles prononcées lors de cet événement. M. Hagel
ministre de l’enseignement postsecondaire et de la formation professionnelle de la
Saskatchewan : ” Le rapport définit un cadre solide pour mieux répondre aux besoins
des apprenants au Canada, en mettant les ressources à leur portée n’importe où,
n’importe quand “. M Tobin, le ministre : ” Le savoir et les compétences comptent parmi
les plus importantes ressources nationales. Une démarche visant à créer des cours et
des didacticiels accessibles en ligne peut procurer à la population canadienne des
avantages socio‐économiques énormes. Le Canada est bien placé pour figurer parmi les
chefs de file mondiaux au chapitre de l’apprentissage en ligne, et ce rapport sera pour
nous un guide précieux “. M. David Johnston, recteur de l’Université de Waterloo5 et
président du comité qui a produit le rapport : ” Le plan d’action issu du mandat que
nous ont confié les deux ordres de gouvernement exprime le sentiment que le temps
presse. Nos étudiants doivent avoir accès à un contenu canadien en ligne, et nous
devons profiter au maximum de la possibilité que nous avons de construire une
industrie des didacticiels. Autrement, nous risquons de voir nos étudiants suivre des
cours fournis par des établissements non canadiens, moins sensibles à nos intérêts
locaux, régionaux, nationaux “.
Ces propos sont clairs. Je ne peux donc traiter de façon détachée des perspectives et
des enjeux de l’enseignement à distance, sans faire référence à cet intérêt soudain et
tonitruant pour ce type de formation qui devient enseignement en ligne. Mais
évidemment il est difficile dans ce contexte de voir clair et de maintenir un espace de
réflexion pour dégager de justes perspectives sur l’avenir de la formation à distance. Il
me faut naviguer entre l’annonce utopique de la nouvelle société du savoir et de sa
nouvelle économie et le scepticisme que peut susciter un tel engouement soudain.
C’est pourtant ce que j’essaierai de faire, en vous livrant mes observations sur trois
points. Pour éclairer les enjeux et les perspectives du développement de l’enseignement
à distance il faut, me semble‐t‐il, :
•
se méfier du caractère syncrétique de certains discours actuels sur le
développement de l’enseignement en ligne,
• prendre conscience, en les mesurant, des transformations que les systèmes
d’éducation et plus particulièrement les établissements d’enseignement
supérieur auront à affronter dans les années qui viennent par suite du
développement des technologies de l’information et de la constitution d’un
marché de l’éducation,
• prendre conscience de la position stratégique privilégiée qu’ont les systèmes
actuels de formation à distance dans le développement de l’enseignement en
ligne et de façon plus générale dans l’intégration des technologies de
l’information dans l’enseignement.
1e partie ‐ Pour essayer d’y voir clair, il faut, tout d’abord, se méfier du caractère
syncrétique des discours sur le développement de l’enseignement en ligne.
La transformation prochaine et inéluctable des institutions d’éducation en campus
virtuels et en acteurs du marché de l’e‐éducation repose :
•
•
sur un discours inflationniste sur les transformations attendues,
sur un amalgame, de tous les usages des technologies de l’information en
éducation, sous le seul chapeau de la dénomination formation en ligne.
Un discours inflationniste sur les transformations attendues.
Les citations que je viens de faire sont un bon échantillon des discours qui annoncent
une transformation radicale de l’école. Ces raisons ne sont pas fausses en soi, mais elles
pèchent par extrapolation sur ce qui se passera en éducation et par un usage immodéré
du raisonnement par inférence.
Ainsi, il est vrai que l’évolution technologique a toujours marqué dans l’histoire de
l’humanité le développement économique et social, aussi bien durant l’âge de fer que
dans celui du bronze ou à l’époque industrielle. Il est donc certain que les technologies
de l’information qui ont actuellement un impact déterminant sur l’économie auront et
ont déjà un effet sur la transformation des modes d’organisation du travail et donc aussi
sur l’école. Cependant ces transformations sont visibles rétrospectivement et dans le
long terme. Mais comment prévoir, dans le court terme, leur rythme et leur progression
et surtout la nature exacte des transformations qu’elles entraîneront ? Il est trop facile
pour moi de rappeler ici que Marshall McLuan annonçait, il y a 40 ans, la fin du livre, qui
serait entraînée, selon lui, par l’invention technologique de la télévision ! Et faut‐il
rappeler à ceux qui disent, de façon bien sommaire6, que l’imprimerie a produit la
réforme protestante et l’école obligatoire, qu’elle n’a véritablement atteint l’école et
transformé la pédagogie que 500 ans plus tard quand la reproduction de textes a été
facile pour tout enseignant. Certains d’entre nous, n’ont‐ils pas connu l’époque, qui
n’est quand même pas si lointaine, où l’on passait la majeure partie des cours à écrire
un texte dicté par le professeur et parfois même à recopier ce qu’il écrivait au tableau.
Ainsi, il est vrai que les règles du commerce sont en train de changer : les marchés
s’ouvrent, le commerce électronique à distance se développe, la demande de formation
continue augmente, un marché de l’e‐éducation apparaît. Mais on présente cela comme
un Eldorado déjà réalisé. Or se pencher sur les chiffres du commerce électronique
permet de faire la part entre les rêves et la réalité. Ce marché représente actuellement
moins de 1 % du commerce mondial que ce soit au niveau du chiffre dégagé, de la
clientèle concernée, du type de produits vendus. Amazon nous cache la forêt ! Quant à
l’augmentation du volume de formation dans les entreprises, il est réel, mais faut‐il
rappeler qu’actuellement cette formation est trop souvent une formation sur le tas et
non une formation structurée7 ? Le passage d’une formation sur le tas à une formation
structurée est déjà problématique en soi, mais que dire du saut que représente le
passage à une formation par media électronique ?
Ainsi il est vrai qu’Internet rend possible l’accès aux informations en ligne comme jamais
auparavant dans l’histoire de l’humanité8. Mais la quantité disponible d’informations est
tellement surabondante que faute de cadres conceptuels préalables qui permettent de
se retrouver dans une telle profusion, on risque ce qu’on a appelé la ” noyade cognitive
“. Quant à la bibliothèque virtuelle universelle où se trouveraient rassemblés tous les
savoirs du monde, elle est techniquement possible grâce à la numérisation. Cependant
elle se heurte à des contraintes économiques, celles du coût de cette numérisation et
aussi à des contraintes juridiques. Seule la mise en ligne d’ouvrages qui sont du domaine
public est autorisée par le droit d’auteur, la consultation en ligne des autres documents
est donc limitée pour plusieurs dizaines d’années. Et, faut‐il rappeler, ici encore, que
l’information n’est pas la connaissance et que c’est l’appropriation des savoirs et des
connaissances qui est l’objectif de toute formation, fut‐elle en ligne et que, par
conséquent, ce sont des outils spécifiques élaborés pour la formation qui l’assureront ?
À ces discours, souvent inflationnistes, vient s’ajouter ces derniers mois un discours
politique, à caractère dramatique. Des organismes, comme le Conseil supérieur de
l’éducation sont déjà intervenus auprès des pouvoirs publics pour promouvoir
l’introduction des technologies de l’information dans le système scolaire et montrer les
avantages que la formation en retirerait9. Mais le nouveau discours est d’une autre
nature, il fait appel à des arguments commerciaux de compétition internationale et de
défense de culture nationale10. Qu’est‐ce qui explique ce changement ? Des
investissements énormes sont consentis dans le développement des contenants11, ils ne
seront rentables que si des contenus nouveaux, ceux du divertissement et ceux de la
formation sont produits et ensuite utilisés dans ces contenants12. Mais le déclencheur
de cette réaction est l’explosion de l’e‐éducation aux Etats‐Unis. Cette explosion se fait
dans un environnement propre à ce pays : volonté concurrentielle forte des universités
entre elles, présence importante d’un enseignement supérieur privé et création rapide
d’entreprises d’e‐éducation liées à la nouvelle économie. Cette suprématie des États‐
Unis dans le développement de l’e‐éducation préoccupe les gouvernements des pays
anglophones : Angleterre13, Australie, puis maintenant Canada qui s’inquiètent de voir
une offre d’enseignement supérieur en ligne américaine concurrencer leurs propres
universités nationales14.
Ces arguments avancés pour développer la formation en ligne ne sont pas en soi faux,
mais il faut prendre garde aux raccourcis et aux analogies discutables sur lesquels ils
reposent. On saute vite et comme par magie aux conclusions. Ce sont là des procédés
classiques de vente sous pression qui cachent les difficultés réelles auxquelles il faut
s’attaquer pour réaliser de tels développements. Pour mieux dégager les vrais enjeux, il
faut, par salubrité intellectuelle, donner quelques coups d’épingle à ces boursouflures
dont se nourrissent les engouements passagers. Mais le plus pernicieux de ces discours
n’est pas dans l’inflation verbale, il est sans doute dans l’amalgame, car il pousse à
mélanger des choses qui mériteraient d’être distinguées.
Un amalgame de tous les usages des technologies de l’information en éducation sous le
chapeau de l’apprentissage en ligne
Le terme d’apprentissage en ligne recoupe dans certains textes aussi bien l’offre de
cours à support technologique dans une classe ordinaire que le téléapprentissage chez
soi ou au travail. Actuellement, plusieurs universités se donnent des plans en ce
domaine. Pratiquement tous ces plans sont intitulés du titre accrocheur de L’Université
en ligne. En les lisant, on constate qu’il s’agit essentiellement de plans d’action,
d’ailleurs excellents, qui visent l’utilisation des technologies de l’information dans
l’enseignement sur les campus. Par contre, les possibilités de la formation à distance
sont entrevues de façon très générale et selon des modèles théoriques, mais les plans
concrets pour ces développements sont reportés à plus tard.
Ce type d’amalgame peut faire sourire, car l’usage de l’expression, formation ou
apprentissage en ligne, pour couvrir tous les usages des technologies de l’information
dans le domaine de la formation, relève du marketing et démontre le souci de faire
moderne. Mais cet usage, à mes yeux abusif, vient d’être accrédité au Canada. En effet,
le Comité consultatif pour l’apprentissage en ligne y recourt lui aussi. ” L’apprentissage
en ligne…peut être défini comme ce qui se produit quand l’enseignement et la
formation (autrement dit des cours en général avec crédits mais aussi sans crédits) sont
offerts et appuyés par des réseaux comme Internet ou des intranets. Grâce à lui, on
peut apprendre n’importe quand et n’importe où. Pour les fins de ce rapport,
apprentissage en ligne et apprentissage électronique sont synonymes. Dans un cas
comme dans l’autre, ils s’entendent à la fois du téléapprentissage et de l’offre de cours
à support électronique dans une classe ordinaire, un amphithéâtre ou un laboratoire. ” (
Rapport du Comité consultatif pour l’apprentissage en ligne, Sommaire p. 3)
Or, si on veut essayer d’y voir clair, je pense qu’il faut faire des distinctions entre d’un
côté un enseignement sur campus, utilisant des technologies électroniques : par
exemple cours ou laboratoires enrichis par des contenus multimédias, l’accès aux
ressources Internet et l’utilisation du courrier électronique pour l’information,
l’encadrement personnalisé et l’échange, et, d’un autre côté, les différents modèles des
cours de formation à distance : téléenseignement individualisé visant l’autoformation
selon une approche asynchrone (en tout temps) et dont le matériel didactique et
l’encadrement sont enrichis par l’utilisation plus ou moins intensive des technologies de
l’information, cours accessibles à distance en groupe, selon un mode synchrone (des
téléclasses), ou encore cours multimédias, accessibles en tout lieu et en tout temps
(asynchrones) et permettant l’auto‐formation (classes virtuelles)15.
Même si on utilise des technologies de l’information dans toutes ces situations et si
plusieurs d’entre elles sont les mêmes dans l’enseignement conventionnel et dans
l’enseignement à distance, il faut, si on veut se comprendre, essayer d’y voir clair et
prévoir ce qui va se passer, maintenir la distinction entre l’utilisation de ces technologies
pour améliorer la classe traditionnelle (ce qui dans les réseaux du primaire, secondaire
ou collégial est souvent appelé, les APO16) et leur utilisation pour améliorer
l’enseignement à distance ou la permettre autrement. Les étudiants peuvent utiliser les
mêmes technologies, mais ils sont cependant dans des ensembles organisationnels à
visée différente, l’une mise d’abord sur leur présence, l’autre sur leur distance. Pour
l’analyse que je fais ici, elle concerne l’enseignement à distance, cette distinction m’est
donc nécessaire.
Sur la base de cette distinction, je formule l’hypothèse suivante : les nouvelles
technologies conduiront davantage à la transformation des modes d’apprentissage à
l’intérieur des institutions traditionnelles qu’à la transformation de ces institutions
d’enseignement en service de téléenseignement. Le développement du
téléenseignement, qui est un des enjeux auxquels auront à répondre les établissements
d’enseignement supérieur, doit donc s’appuyer sur les services de formation à distance
existant déjà. Les deux prochaines parties de mon exposé me serviront à étayer ces
affirmations.
Mais, je le sais, c’est là une opinion contraire à ceux qui disent que les règles de la
nouvelle économie, celles qui entraînent déjà des mutations dans la production des
biens et services, marqueront de façon identique le secteur de l’éducation. Dans la
mouvance de la nouvelle économie, les Américains ont établi la distinction entre les
entreprises de l’ancienne économie, celles des briques et des mortiers (brick and
mortar) et celles de la nouvelle économie, les entreprises du clic (click). Au zénith de la
trajectoire boursière, la pensée dominante voulait qu’une entreprise comme Amazon,
qui opère dans le clic, absorbe bientôt un distributeur à l’ancienne, une entreprise de
brique et mortier. La clef du succès et de la notoriété serait dorénavant dans le passage
de la brique et du mortier au clic, même pour les institutions d’enseignement
supérieur17. Cette thèse a cependant pris du plomb dans l’aile depuis les problèmes
boursiers des dragons de la nouvelle économie18.
2e partie ‐ Pour essayer d’y voir clair, il faut aussi prendre conscience et mesurer les
transformations que les systèmes d’éducation et plus particulièrement les
établissements d’enseignement supérieur auront à affronter dans les années qui
viennent par suite du développement des technologies de l’information et de la
constitution d’un marché de l’éducation.
Il est de plus en plus reconnu que les technologies de l’information permettent le
renouvellement des pratiques d’enseignement dans quatre domaines‐clefs de la
pédagogie : l’autonomie de l’étudiant dans la construction personnelle des
connaissances, l’interdisciplinarité des contenus, la mise en place de pédagogies
différenciées, la mise en place de pratiques coopératives. Ces simples raisons suffisent à
justifier la généralisation dans les écoles de l’utilisation de ces technologies. Elles
permettent le renouvellement des pratiques d’enseignement dans le cadre
d’établissements traditionnels requérant la présence des étudiants. Mais je ne traiterai
pas de cette question ici parce qu’elle concerne l’amélioration de l’activité pédagogique
dans la classe ordinaire par les moyens technologiques19.
Mais qu’en est‐il de la formation à distance ?
Deux forces puissantes poussent actuellement vers l’augmentation de cette forme de
formation. Ce sont les forces qui poussent à la délocalisation des activités et à la
globalisation des marchés. Il ne s’agit pas de nier ces forces, mais de mesurer leurs
effets plausibles, à plus ou moins long terme, sur la transformation des établissements
d’enseignement supérieur et plus particulièrement sur celle des collèges.
2‐1 Les nouvelles technologies de l’information et la poussée vers la délocalisation des
activités
Les technologies éducatives ont de tout temps été des supports pour les diverses
méthodes pédagogiques, mais les nouvelles technologies dont nous parlons, les
potentiels d’Internet, des CD et DVD‐Roms, avec l’hypertexte et la communication
ultrarapide à distance, les tutoriels, les produits mulimedias ne vont‐ils pas introduire
des changements radicaux et produire dans les établissements traditionnels, la
généralisation de la formation à distance ?
Il est tout d’abord certain que les possibilités des technologies de l’information sont de
nature à dépouiller l’institution scolaire des trois éléments qui assurent son autorité
symbolique, l’empreinte sur l’espace, l’empreinte sur le temps, l’empreinte de la
présence du professeur. L’école est traditionnellement ce lieu de loisir20 où l’on va
apprendre ensemble. Le pédagogue grec est l’esclave qui conduit l’enfant à l’école. Ce
lieu est chargé affectivement au point qu’au Québec, la fermeture d’une école de village
suscite plus de réactions que la fermeture des églises21. L’école marque l’espace et un
espace urbain se reconnaît à ses écoles, à leurs styles de construction, à l’emplacement
qu’occupent les plus prestigieuses d’entre elles, les universités, sur la montagne, dans
un jardin ou sur une station de métro. L’école marque aussi de son empreinte le temps.
Le temps social, celui des vacances, a dû se plier au système du temps scolaire. L’école
marque aussi de son empreinte par le maître, le professeur. Toute l’organisation de nos
écoles est basée sur le postulat suivant : un professeur présent est le médiateur de
l’accès aux connaissances de ses élèves.
Les technologies de l’information sont de nature à enlever à l’école ces trois
prérogatives. Elles rendent possible l’accès rapide aux connaissances, là où on le veut,
quand on le veut. Elles offrent aussi la possibilité d’intégrer sur un support matériel ce
qui était auparavant intégré par le professeur présent : la voix, le son, l’image, l’écriture,
les bases d’information, l’impulsion interactive. Ce sont là des blessures narcissiques qui